SARABA

Edgar Fabar

La fin du monde arrive, une femme.

Ils avaient fermé l'animalerie, peu après que l'odeur des chiens eut changé. Ils s'étaient mis à suer et à sentir mauvais comme au mois d'août et pourtant on était en hiver. Trois jours avant que l'astéroïde ne déchiquette l'atmosphère, ils étaient devenus comme fous : ils se projetaient sur les vitrines jusqu'à se défoncer le crâne. Et on aurait fini par les abattre, s'ils n'étaient passés de la violence la plus aberrante à la plus totale des catatonies. Saraba allait frapper la Terre vendredi. Les chiens s'y étaient faits, pour les humains c'était une histoire différente.

Le pommeau de douche à la main, l'angoisse avait cessé de lui ronger les nerfs. Elle était satisfaite de voir se consumer les papiers au fond de la baignoire. Elle les observa longuement avant de les recouvrir d'eau et de fumée. Lorsqu'elle sortit de son appartement, elle ne remarqua pas le chaos qui régnait dans les rues. Elle s'était enfermée chez elle pendant treize ans. Jusqu'à la découverte de Saraba, elle en avait la certitude absolue : elle était incapable de se trouver en présence de quelqu'un d'autre qu'elle-même, car les rapports humains mêmes les plus anodins la terrorisaient. Parler de la pluie et du beau temps ou soutenir le regard d'un inconnu l'aurait tué à l'époque. A l'instar de la lèpre, la phobie avait recouvert sa vie sociale d'une carapace repoussante. Cloitrée, elle avait fonctionné par téléphone. Des conversations étranges, où elle dévissait totalement, où si un silence était plus long que le précédent, elle raccrochait. Mais elle s'accrochait à cette vie, et avant d'appeler quelqu'un, elle rédigeait sur un petit bout de papier les mots qu'elle allait prononcer. De cette manière, elle gérait les contacts vitaux qu'elle ne pouvait éviter, ceux qui étaient obligatoires à sa survie : ceux qui lui permettaient de manger, de boire, de se soigner et d'être en règle avec l'administration.

Les gens courraient partout, elle marchait avec sérénité, comme si toutes les rues la menaient chez Louis XIV un soir de bal à Versailles. Elle souriait à chaque personne qu'elle croisait. Les yeux injectés, les bouches fermées, la panique triste, rien ne la touchait : apprendre qu'elle allait mourir bientôt lui avait été utile. Poussée par un élan inespéré, elle s'était trouvé une raison de vivre.

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