Sarreguemines Dort : l'arrivée

tromatojuice

Il arrive que la vie nous transporte dans des endroits étranges. A la manière du fleuve qui charrie un baril de déchet radioactif. Ou bien du chat qui nous fait l'offrande d'un piaf décapité et partiellement plumé.

Tout voyageur peut donc un jour se retrouver égaré à Sarreguemines. Cependant ce ne sera pas un hasard, puisque dit-on, celui-ci fait bien les choses. Or l'arrivée à Sarreguemines en plein hiver n'a rien d'une orgie rupestre ou des nains en rut chevaucheraient des femelles elfiques sous le soleil printanier.

Au sortir de la gare, un choix cornélien s'offre à l'usager de la SNCF. A droite quelques ruines post-industrielles. A gauche un square qui sert de seuil au palais de justice. En face s'étale une rue bordée de bar aux intérieurs sombres qui laissent penser qu'ils sont à l'abandon.

Peut-être l'intrépide, dans un sursaut d'ennui, poussera-t-il la porte de l'un de ces établissements pour découvrir une étrange clientèle. Des consommateurs qui n'auraient pas dépareillé pour le casting d' « Hostel III – Europe is a tank of inbred lowlives maniacs ». Pris d'un élan d'audace le voyageur assoiffé commandera un café. Peut-être y jettera-t-il un morceau de sucre.

A sa droite, le patron mangera le contenu de son assiette en le dévisageant. Après avoir englouti la totalité de son repas, il s'essuiera la bouche avec un serviette en papier, qu'il posera négligemment sur le comptoir.

« C'est marrant, vous me rappelez mon frère. Quand vous êtes rentré j'ai cru que c'était lui » lancera le tenancier au voyageur. « Vous avez exactement les mêmes mimiques que lui ! Il a fait polytechnique vous savez. » Le voyageur profitera de l'occasion pour s'enquérir de la situation de la ville, du bar, et d'autres banalités.

« Oh vous savez, depuis qu'il est interdit de fumer, les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient. J'espère que la clientèle sera de retour avec es beaux jours. »

En sortant du bar, le voyageur sera frappé par une violente bourrasque. Se promenant dans les rue de la ville, le nouvel arrivant décidera de combler un vide qui grogne au fond de son estomac. Il poussera d'une main innocente la porte de la première boulangerie qui croisera son chemine. Souriant à la vendeuse il demandera un pain au raisins, s'il vous plaît. Devant sa requête, la boulangère ouvrira des yeux injectés d'incompréhension, comme si le voyageur lui avait offert de la sodomiser sur le comptoir, la tête dans les paris-brest.

« Comment ? » s'inquiète-t-elle.

« Je voudrais un pain au raisin. » Persiste l'affamé.

Elle hausse les épaules. Il lui montre du doigt l'objet de son désir.

« Aaaah » gémit la boulangère qui n'a toujours pas la tête dans crème pâtissière, «  une schneck aux raisins ! »

Le voyageur acquiescera, un sourire gêné figé sur le visage. Puis il rentrera dans son nouveau « chez lui », balançant triomphalement le pain aux raisin au bout de sa main.

Peut-être un jour se perdra-t-il ce voyageur. Il se résignera à demander son chemin à une grand-mère qui attendait là. A peine aura-t-il eu le temps d'ouvrir la bouche, que le pacemaker de la mamie se sera transformé en pile nucléaire capable d'alimenter toute la France. La vielle femme, comme possédée par un démon hyperactif, se mettra à hurler qu'il n'a qu'a se débrouiller, qu'il sait lire et que le nom des rues est écrit sur chacune d'elles.

Tremblant de peur, il s'éloignera en pensant suggérer à la municipalité d'équiper son troisième âge en muselière et en camisole. A bien y réfléchir, la meilleur solution serait d'organiser un safari, et de tirer a vue des seringues hypodermiques remplies de somnifère pour hippopotame en rut.

Le voyageur trouvera refuge dans un restaurant indien où il flattera ses papilles gustatives. Le patron lui lancera un amical « ah, tiens vous, vous n'êtes pas d'ici. » Effectivement, il n'est pas d'ici.

Il sourira et discutera quelques minutes avec le patron avant de rentrer se coucher.

[Mars 2008]

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