Sartre et moi

mamzelle-vivi

L’Enfer c’est Les Autres.

Sartre avait raison.

La salle d’attente est pleine.

4 paires d’yeux me scrutent et me transpercent dès que je franchis la porte.

Déjà que j’ai horreur d’attendre.

Rester détendue. Je marmonne un bonjour qui n’obtient qu’un marmonnement de réponse.

Tout va bien.

Je me dandine vers les journaux abandonnés depuis des lustres. Un « Voici » de l’an dernier et des « Madame Figaro » hors d’âge.

Malheur.

Je n’ai pas la possibilité de m’asseoir. Mon royaume pour une chaise où je puisse me calfeutrer. Mon Empire de petite princesse pour un recoin du coin.

Je renifle. Pas de mouchoir. Je résiste vaillamment.

4 paires d’yeux dont une myope me lancent un regard en coin. Une renifleuse, manquait plus que cela. Eviter de respirer tant qu’à faire. Je suffoque intérieurement.

Ma mère m’accompagne. Elle me parle comme si nous étions seules dans cette salle d’attente.

J’ai l’impression d’avoir douze ans et devant ces gens, cela me fait presque honte.

Cela me fait honte. Si l’enfer c’est les autres, la salle d’attente est l’antichambre de l’enfer. On nous montre ce qui nous attend au cas où.

A moins que je ne sois déjà dans ce cas.

Sartre avait raison. Mille fois raison.

Hum. On se reprends ma vieille, on est plus une gamine.

J’ai 21 ans, je suis une jeune femme fière qui renifle certes, mais avec grâce. Je relève la tête et je fixe un point vers l’infini.

Nous devrions rire de cela, nous tous sur nos chaises de paille. Dans cette situation grotesque, nous devrions prendre cela avec détachement. Se dire bon, puisque l’on est là, autant faire connaissance, on ne s’est pas déjà vus quelque part, ah vous habitez dans la même rue comme c’est drôle…

Mais les regards qui se croisent se gênent et s’évitent. Personne ne veut voir le même reflet  de désespoir dans les yeux des autres.

Nous sommes tous des adultes responsables et nous agissons comme des gamins pris en faute.

C’est une situation si ordinaire, et je la tourne en ridicule.

Pourquoi être gênés ?

Je crois que chez le médecin, c’est pire. On dévoile un peu de nos faiblesses à tous ces inconnus que nous pourrions, en plus, recroiser. Des inconnus intimes en quelque sorte.

Je reste stoïque mais mon nez me chatouille.

Un fou rire me prend.

 Je décide d’observer mon entourage.

Le gars à ma gauche est parfait. Il porte encore les stigmates de l’adolescence et les chaussettes blanches repassées par maman. Il a reposé l’Equipe pour se plonger dans le magazine Renault. Je trouverais cela risible.. mais je ne suis pas mieux dans mon vieux manteau dépareillé, en train de faire semblant de feuilleter Madame Figaro.

On s’occupe comme on peut.

Les salles d’attentes, pleines en l’occurrence, constituent des exemplaires terrains d’études des mœurs humaines. On s’observe, on se scrute, mais jamais on ne dépasse la ligne, la limite inconsciente de protection. On devient soudainement un microcosme fragile à la frontière infranchissable. Sans rire, ce mec pourrait être mon voisin que je lui décocherai à peine un sourire.

Mes compagnons d’une heure me quittent peu à peu. Chacun sait quand c’est son tour, anonyme après anonyme, enfin.

Je renifle toujours. La fille avant moi me regarde excédée, mais je souris en moi-même. Cette fille qui s’agace pour un rien c’est tellement moi, c’est tout à fait moi.

Nous voilà seules dans la salle d’attente.

Mes compagnons peut être à jamais inconnus sont partis.

Je me marre. Cette réflexion abracadabrante dans une simple salle d’attente me fait penser à toutes ces situations que j’ai un jour connues, quand j’étais soudain confrontée aux Autres. Ces Autres au A majuscule, soudainement cruellement palpables, proches, intimes. Passage au tableau, discours gênés aux anniversaires, mais aussi tous les jours dans le métro, quand les gens s’évitent du regard et se concentrent sur un livre alibi ou leurs chaussures. C’est fou ce que nos lacets deviennent intéressants soudain. A quelle station je descends déjà ?

Pourtant ce n’est pas si grave de se regarder. De se voir. Ca peut même être le début de jolies histoires. Je me souviens de quelques fous rires avec de parfaits inconnus au détour d’une situation commune. Des inconnus devenus vraiment intimes, pour le compte. Pas vous ?

Oh je sais, pas toujours, peut être même pas souvent, mais il faut aussi croire aux bons exemples plutôt qu’aux mauvais, de temps en temps.

L’enfer c’est les Autres.

Pour l’Au -delà Sartre a sûrement raison.

Pour l’Au-delà je dis pas, mais pour ici…

Et s’il fallait juste faire un effort ?

  • Le théâtre, je souhaite que tu y accroches bien bien! Le rôle que j'ai le plus aimé en le jouant: Astrov! Le docteur écolo-humaniste-séducteur dans "Oncle Vania" de Tchékov . Bien cordialement!

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

  • Hello Astov
    Merci pour ton com ! Moi meme cette annee je commence des cours de theatre au conservatoire de ma ville pour mettre un pied dans l ´univers du theatre amateur car j'adorerai un jour faire partie d'une troupe ! Tu as de la place ? Lol ;)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Img 0392 orig

    mamzelle-vivi

  • Regarder les Autres, tenter le contact, vous avez raison, c'est pas si facile. Il y a un contre-exemple: la plage. C'est plein de contacts à l'eau de mer... Pour surmonter ce problème de contact, dès ma classe de terminale et sans arrêt depuis, je fais du théâtre (j'en écris aussi) en amateur. Et toc! C'est les Autres qui se
    déplacent pour me voir; Si l'Enfer, c'est les Autres, les
    coulisses avant le spectacle, c'est l'antichambre du
    Paradis. Une salle de spectacle, c'est une salle d'attente avec plein de patients en mal de rêve...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

  • Un regard plein de justesse!
    Bravo mamzelle vivi!

    · Il y a plus de 13 ans ·
    S5001282 orig

    amouami

  • Très bonne idée mamzelle vivi. J'aime beaucoup ce texte. Si vrai.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Extraterrestre noir et blanc orig

    bibine-poivron

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