Scène 6: Le professeur ne sait plus rêver

ernestin-frenelius

Scène 6

Gus et le professeur

 

 

L’appartement de Gus. L’horloge indique qu’il est quatre et demi.  Gus est assis à son bureau il étudie. La sonnette retentit. Il se lève pour aller ouvrir.

 

Gus : Bonjour.

 

Professeur : (Ton sec et ferme) Bonjour, vous êtes le dénommé Gus.

 

Gus : Lui-même.

 

Professeur : Vous êtes donc bien l’auteur de cette missive.

 

Présente à bout de bras une feuille chiffonnée.

 

Gus : (Sur le ton de la conversation) Vous me voyez ravi qu’il soit arrivé à son destinataire.

 

Professeur : (levant un peu le ton) Vous ne manquez pas de toupet ! Mais pour qui vous vous prenez ?! Comment osez vous vous permettre, depuis votre fenêtre, de jugez la façon dont je fais mon travail ?!

 

Gus : (très calme) Je me permets c’est tout, je ne peux pas m’empêcher d’ouvrir ma gueule quand je suis indigné et d’ici j’ai une vue imprenable sur la cour et vos méfaits.

 

Professeur : Mais vous êtes un voyeur !

 

Gus : (Idem) Oui absolument, je n’ai aucune honte à avouer que je profite du spectacle de la récréation, j’aime bien.

 

Professeur : Quel genre de taré pervers êtes vous ?!

 

Gus : (idem) Mais allez-y Suspectez moi de pédophilie pendant que vous y êtes, j’en ai rien à foutre, j’ai ma conscience pour moi. Que vous soyez surpris que l’on puisse apprécier sans perversité le spectacle d’une cour de récréation, ça ne m’étonne absolument pas de la part d’un professeur qui a des méthodes telles que les vôtres.

 

Professeur : Mais comment osez-vous critiquer la manière dont je fais mon travail, je…

 

Gus (S’énerve un peu) Et vous, comment osez vous impunément tirez l’oreille d’un élève ?! Celui qui a ramassé mon avion postal ! Celui que vous avez puni parce qu’il vous avait envoyé un ballon dessus ! Celui qui se faisait tabasser quelques minutes avant pendant que vous papotiez avec vos collègues plutôt que d’être attentif et de faire votre boulot !  Violence et injustice et incompétence ! Ca me révulse !

 

Professeur : (très calmement) Ah, mais je ne me laisserais pas récriminer aussi injustement, vous n’avez absolument aucun droit à juger de mes compétences. Vous espionnez depuis votre fenêtre ce qui se passe dans la cour et croyez tout comprendre ? Détrompez –vous. Je suis avec ces élèves plus de vingt cinq heures par semaine et personne ne met en doute mes compétences, je suis un professeur respecté qui …

 

Gus : (calmement) Respecté ou craint ? Faut pas confondre ; certains respectent encore la fonction, d’autres récriminent les profs, mais la plupart les ménage, surtout les mauvais profs, de peur qu’ils ne fassent encore plus de mal. Moi j’en ai rien à foutre, je dénonce le mal, je dis ce que je pense, et ce que je vois depuis ma fenêtre me laisse à penser ce que je vous dis. (Levant progressivement le ton pour que le professeur ne le coupe pas) Et si vous avez des arguments à votre décharge et si vous ressentez le besoin de les déballer pour vous amender allez-y je vous écoute, je suis prêt a les réfuter et espère que vous reverrez la façon dont vous vous y prenez !

 

Professeur : Vous êtes un monstre d’orgueil ! Un imbécile qui s’érige en défenseur des écoliers alors qu’il ne sait pas de quoi il parle et qu’il est incapable d’imaginer à quel point ce boulot est compliqué. J’aimerais vous y voir avec les élèves que j’ai, je ne suis pas sur que vous aimeriez vous les coltinez…

 

Gus : Eh bien figurez-vous que si ! Je me destine à la profession. Je l’ai déjà exercé, je remplaçais de mauvais profs comme vous ! Et c’étais pas facile. Et là ! (Il  se tourne et désigne la table) Je me prépare pour ce satané concours qui ne sélectionne pas que des bons profs. (Regardant à nouveau le professeur) Il est vrai que dans aucun de ces bouquins je n’ai pu explicitement lire qu’on ne puni pas un élève parce qu’il vous a envoyé un ballon dessus ou qu’il ne faut pas leur tirer les oreilles aux élèves néanmoins...

 

Professeur : (S’énervant au fur et à mesure de la réplique) Mais vous êtes un dangereux psychopathe ! J’espère que vous ne serez jamais profs et ne vous avisez plus d’espionnez et de vous mêlez de la façon dont je fais mon travail ou je porte plainte, je vous envoie les flics !

 

Il se retourne et s’en va. Gus se penche dans l’embrasure de la porte pour crier sur le ton du maître d’école qui rabroue un élève.

 

Gus : Et vous ne vous avisez plus de tirer les oreilles des élèves ou j’écris une lettre au recteur pour vous dénoncer petit fumier !

 

Il claque la porte Et tourne rond dans la pièce pendant un moment. Puis soudain va dans sa chambre y prend un cahier et un stylo tourne encore un peu en rond puis s’installe sur le canapé et commence à écrire. Gus écrit, lit, barre, réécrit, relit. La lumière décroit doucement jusqu’à s'éteindre un instant puis se rallumer progressivement. Gus termine d’écrire, met un point final. Il se lève et marche dans la pièce en continuant à lire silencieusement. Puis, il s’arrête de marcher et commence à lire à voix haute.

 

Gus : Le professeur en a mal dormi.

Il s’est – et c’est un comble - interrogé sur sa pédagogie.

Doit-il rouspéter les élèves qui veulent qu’on les rouspète et qui font ce qu’il faut pour qu’on les rouspète ?

Mince, se dit-il sans s’endormir, rouspéter dans ce cas perd toute essence !

L’éducation partirait-elle en dégénérescence ?

Cet élève est-il bien normal ?

Est-ce une ruse de sa part ?

Il n’est pourtant pas très malin, simplement doué de ce machiavélisme enfantin.

Le professeur préoccupé s’en retourne dans son lit en gambergeant – car c’est un sujet important- sur les élèves méchants.

Qu’on ne peut même plus mettre au pas en les rouspétant,

Ceux qui font de la profession un impossible calvaire éreintant.

Il faut bien si ce n’est complètement les conditionner ou les lobotomiser, du moins les neutraliser et les faire taire.

Le professeur trop éveillé et trop sensible se torture, s’interrogeant profondément – ce qui est pour le moins surprenant - sur sa fonction et la façon d’éduquer des élèves aussi méchants alors qu’on ne peut ni les bâillonner, ni les ligoter, ni les molester… à peine les brimer.

Le professeur ne sait plus rêver.

  • un texte avec un lourd poids moral pour les profs, ce métier est de plus en plus dur et bientôt il faudra un master pour enseigné, nous y allons tout droit...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Pyry1dhyoryai0xtssnv3g 1  300

    Salvatore Pepe

  • BRAVO !!! gros coup de coeur et encouragements : je jubile ! Je viens de lire un article du Monde qui montre comment l'école est devenu un lieu d'angoisse et d'autorité... (je viens d'être saquée dans un entretien pour redevenir prof, opposition syndicale au recrutement extérieur... ainsi que par une prof sur fb qui ne supportait pas la critique et me disait qu'aimer les élèves est une mauvaise chose car dans ce cas on ne dure pas dans la profession, qui est composée d'une bande de psychorigides, l'exception confirmant la règle)

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

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