Séquestration

jenna

Mon histoire cachée...
2003. Pologne. Début novembre. Vacances de la Toussaint. J'ai 7 ans, je suis assise sur le rehausseur à l'arrière de la voiture. Papa conduit vite. En voyage, nous avons traversé la France, puis l'Allemagne. Avant d'arriver à la frontière Allemagne/Pologne, nous nous arrêtons à une station service pour prendre du gazole (à l'époque, on se plaignait déjà du prix du carburant). Papa claque la porte, il part payer et entre dans un bâtiment qui se trouve en face de la voiture. Il discute avec la caissière, une jolie jeune femme blonde, un peu rondelette. Je la vois sourire. Le temps passe et ils discutent toujours. Il doit sûrement la draguer. Soudain, la porte arrière de la voiture s'ouvre, je tourne la tourne la tête pour voir et là, e, une fraction de secondes, une main gantée m'attrape, me détache la ceinture et m'arrache de la voiture. Je crie, mais papa regarde toujours la dame. Je hurle de toute mes forces et tente de me débattre. Je suis jetée violemment à l'arrière d'une petite camionnette par 2 hommes cagoulés. Le véhicule démarre en trombe. C'est apparemment à ce moment que papa détourne la tête, mais il est trop tard... Immeuble vide en pleine campagne, pas de voisinage, perdu au milieu de nulle part. Je suis enfermée dans une salle carrée sans fenêtre. Il y a un grand lit vétuste et des étagères pleines de livres. Je suis restée ici pendant plusieurs jours sans jamais sortir ni voir la lumière du soleil. On m'a donné 2 bouteilles d'eau et quelque fois de la soupe de légumes dans une assiette creuse. Au début, je restais recroquevillée sur le lit. Ensuite, je me suis mise à feuilleter les seuls objets de cette pièce : les livres. Il y a des livres étrangers sur la sexualité "Comment faire l'amour à une femme ?", "Comment avoir et donner du plaisir au lit ?". Il y a des livres sur la médecine avec des images épouvantables, j'ai vu des visages défigurés, des corps déformés, des images affreusement choquantes. Ce ne sont que des livres pour adultes. J'ai 7 ans. J'ai vu des corps d'adultes nus, des positions sexuelles, des explications sur le fonctionnement des organes génitaux... Je n'avais rien d'autre à faire alors j'ai lu. Un livre parle de l'analyse de la psychologie des criminels. Et notamment des pédophiles. Il y a des dessins avec les expressions, les traits du visage que les prédateurs arborent le plus souvent. Il y a des explications sur le langage du corps et comment reconnaître le mensonge, les envies et les pensées cachées des personnes. Comme il n'y a pas de fenêtre et que la porte est close, je ne peux discerner le jour de la nuit et ne connais pas la date du jour. Les hommes entrent toujours un par un. L'un après l'autre. Toujours cagoulés. M'apportent la soupe. Disent "qu'il faut que je dorme, maintenant, tout de suite". Moi, je fais semblant de dormir, je m'allonge et ferme les yeux. On me demande si j'ai déjà embrassé un garçon. Je ne réponds pas. Ils ont un appareil photo noir et prennent des photos sans arrêt, surtout quand je fais semblant de dormir... Je suis restée 14 jours ici. Cliché avant, pendant, après. Beaucoup de photos... Certaines sont développées les jours qui suivent, et les photos sont étalées par terre. Je suis maigre, j'ai maigri mais à cette époque je ne m'en rends pas compte. On me jette de l'eau au visage car c'est plus sympa quand ça dégouline, ça fait un style sur les photos. Il n'y a que la photo qui compte. 14ème jour. J'entends que ça s'agite dans la pièce d'à côté. La porte de ma pièce est verouillée. J'entends des cris, puis des menaces. Cela dure quelques secondes. Un coup de feu. Puis 2, puis 3. Et, plus rien... On dit que la police est venue me libérer ce jour. On dit que c'étaient des fous et qu'ils ont sauté par la fenêtre... Mais j'avais entendu les coups de feu... J'avais perdu 14 kilos. Je n'ai pas eu la force de pleurer. On m'a dit "Ca sert à rien de porter plainte". J'ai dit "Pourquoi ?". On m'a répondu "On ne juge pas les morts."
  • Si c'est ça les Polonais, j'écouterai plus Chopin et je ne mangerai plus de domek au dessert !

    · Il y a plus d'un an ·
    Photos de la phablette 014

    amphicyon-ingens

  • Oh ! Waouh !
    L'écriture au kilomètre a tout son intérêt pour exprimer l'horreur de cette mésaventure qui fait basculer une fillette de 7 ans dans la perversité la plus abjecte et d'où il lui sera difficile de revenir... Les coupables sont morts mais la victime ?
    Bravo !

    · Il y a plus d'un an ·
    Mars 2010 orig

    maya

  • écriture efficace, chirurgicale, à l'essentiel... mais c'est quand la tendresse bordel ? ;)))

    · Il y a plus d'un an ·
    Img

    Patrick Gonzalez

  • Station sévices ?

    · Il y a plus d'un an ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • J'adore ce style pétillant, moitié script, moitié "stream of consciousness", je sais ça fait pédant, mais je ne sais pas comment traduire, ce flot de pensées dans la tête d'une petite fille qu'on est en train de détruire à jamais.

    · Il y a plus d'un an ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

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