Shrinking City

juliette_beth

Hommage à la plus déroutante des américaines.

On m'a cru morte.

Moi qui fût autrefois l'objet de toutes les convoitises, mon déclin fût aussi rapide que ma célébrité. Je témoigne ici que je viens de vivre les années les plus noires de toutes mon existence et vous en avez été les témoins impassibles. Je ne blâme personne, l'indifférence est monnaie courante dans le monde d'aujourd'hui.

Je suis née en 1701 dans le Michigan de père français. Pourtant ma vie ne commence réellement qu'en 1900. Je sais que vous pensez que je me suis probablement tromper dans les dates mais je vous l'assure il n'en ait rien.

A l'époque j'étais la plus belle du pays, celle qui incarne le raffinement et la volupté, le symbole de la démesure et l'objet de toutes les convoitises. Tous les yeux étaient braqués sur moi, j'étais l'égérie de tous un pays. J'étais l'avenir, la modernité incarnée, les hommes d'affaires m'auraient baisé les pieds si j'en avaient eu.

Celui qui me fit tourner la tête est l'homme qui bouleversera l'histoire de l'industrie et du travail.

C'était un américain aux ambitions vertigineuses.

Il s'appelait Henry Ford et s'installa chez moi en 1900.

Grâce à lui ma côte de popularité a explosé. On parlait de moi et de ce que j'étais capable d'offrir dans le monde entier. A nous deux nous étions la poule aux œufs d'or, et même tout le poulailler. Il fût très vite rejoins par deux amis aussi puissants que lui, on les appelait les 3 Géants. Ils étaient mes protecteurs, j'étais leur vitrine, le symbole de leur réussite. Notre vie n'était que fête, music-hall et mondanité. C'est la musique qui m'animait, j'organisais des dizaines de concerts jazz, rap, rock, rien ne m'arrêtait. On se déplaçait des 4 coins de la planète pour vibrer au son de mes artistes. J'attisais toutes les curiosités et toutes les ambitions. Les années 20 furent les plus belles de ma vie.

L'American Dream dans toutes sa splendeur c'était moi !

Pourtant dans les contes de fée, il arrive toujours un moment où l'on croit que tout est perdu pour l'héroïne. Ce fût très vite le cas. Les premiers symptômes de la maladie apparurent en 1929 et ne cesseront de s'aggraver jusque dans les années 50. Le diagnostic fût rapidement établit : grippe économique mortelle.

Après cette annonce au cœur d'une Amérique raciste, les blancs m'ont délaissé pour se tourner vers de plus jeunes et plus fraîches que moi. Les afro-américains s'empareront de ma popularité pour de nombreuses années. En 1967, alors que j'étais le sujet de tensions grandissantes entre blancs et afro-américains mon image implosa au sein des médias. La consigne fût de me fuir à tout prix. Alors une dizaine d'année plus tard, l'Amérique aura du mal à comprendre l'arrivée de Coleman Young, un homme noir, dans ma vie. Malgré mon impopularité il veillera sur moi jusqu'en 1993.

Je lui en suis reconnaissante mais rien n'apaisera presque 20 ans de frustration et de rancoeur de ma célébrité perdue. Pendant ces années, on me laissa définitivement pour compte. Je perdis tout ce que j'avais, il ne me restait presque rien. En 1988 on m'acheva en me privant de l'accès aux trains. J'étais à l'heure du déshonneur.

C'est ainsi que s'enchaînèrent des années de déchéances. Alliant drogues et criminalités en tous genres, l'ennui me gagna. J'étais une beauté déchue. Mes atouts tombèrent peu à peu en lambeaux je n'avais plus la force de les entretenir. Comme on pouvait s'y attendre mes protecteurs prirent le large.

Pourtant il fallut trouver de l'argent, pour vivre, pour survivre.

Il était encore trop tôt pour baisser tous les rideaux.

Je n'eu qu'une solution, vendre ce qu'il restait de mes charmes aux plus offrants. Je ne voulais pas perdre la face mais les offres étaient si rares... Je me vis obligée de pratiquer des prix tellement bas que s'en était pitoyable.

J'étais dévastée. J'avais beau taper aux portes pour que l'on m'aide, rien ne venait. On ne bougea pas un petit doigt, on me laissait crever la bouche ouverte. Les grands de ce monde me doivent beaucoup mais je vous le dis d'expérience il ne faut jamais donner dans le but d'avoir quelque chose en retour, vous n'aurez rien. Je me rend compte que l'indifférence est reine lorsque l'on a plus rien. La reconnaissance ad vitam eternam que l'on vous promettait au sommet de la gloire est aussi éphémère que le temps qu'il a fallu pour le dire.

Je tenais difficilement le coup et puis un jour se fût l'asphyxie.

Alors que j'étais en pleine agonie ce que je n'attendais plus va pourtant arriver. Je ne sais pas par quel miracle quelqu'un a entendu mon dernier souffle et in extrémis m'a tendu la main pour me sortir de l'abîme. Cette main tendue venait du plus au sommet de l'Etat. En 2013 je fis l'objet d'un long discours dans lequel le Président des Etat-unis en personne déclara qu'il allait m'aider à remonter la pente. Au péril de sa popularité, il me défendit bec et ongles pour prouver à l'Amérique que je pouvais encore être sauvée de la faillite. Les américains ne sont toujours pas très convaincus mais je me met à reprendre confiance en moi et en ce que je peux offrir. Je l'ai déjà fait.

Et puis si prévisibles qu'ils soient mes 3 Géants se souviennent de moi et des quelques affaires qu'ils ont laissées trainer avant leur départ. Je n'ai jamais rien jeté, je les avais gardées précieusement en pensant qu'un jour elles pourraient me servir. Ce jour est enfin arrivé.

C'est grâce aux rencontres que j'ai fait pendant ces années d'errances que je sais qu'il est possible de s'en sortir autrement, avec à des solutions alternatives.

Le système D comme on dit.

Je l'avais oublié mais cette lettre D est la mienne finalement, et après ce que je viens de traverser je trouve que cette expression me va comme un gant.

Les personnes qui sont passées sur mes routes depuis 30 ans vont m'aider à me relever. Je commence à me développer différemment et une pensée me sauve définitivement : Je n'ai plus rien à perdre alors autant prendre tous les risques et essayer tout ce que je veux. Ce ne peut pas être pire. Je décide de m'appuyer sur des choses moins futiles que ma splendeur passée, j'ai appris à connaître mes ressources cachées. L'instinct de survie m'a tenu debout. L'aide inespérée que je reçois me donne un regain d'optimisme et me permet de me lancer dans une nouvelle entreprise. On me soutient dans la création de jardins communautaires. Ils se multiplient à la vitesse de la lumière. En 10 ans j'en dirige plus de 1600. Grâce à cela non seulement je peux créer des emplois mais surtout je peux nourrir à moindre frais un grand nombre de personnes qui comme moi n'avaient plus rien.

Alors qu'on me croyait morte et vidée de mon énergie je montre aux grands distributeurs qu'ils peuvent me fuir, je ne me laisserai pas mourir de faim pour autant. Certes je ne rapporte pas autant d'argent qu'à la belle époque mais je deviens fédératrice de mouvement solidaires. On recommence à parler de moi mais cette fois-ci je suscite une admiration bienveillante.


Il m'a fallu 200 ans pour naître et 200 ans d'expériences pour acquérir suffisamment de sagesse pour me débrouiller seule.

Ceux qui me fréquentent ont une autre image de moi. La jeune génération a ouvert les yeux et les as posés sur moi. Je représente un nouvel espoir. Ils ont compris tout ce que j'avais à leur apporter. Cela prendra des années, ils le savent. Ils ont tout leur temps pour dépoussiérer le trésor que je suis. Mon image est loin, très loin d'être redorée mais je redeviendrais un Eldorado. .


Je fus la MotorCity, la Motown, la Paris des Etats-Unis, je m'appelle Détroit.


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