Soeurs de Sang (11)
Frédéric Lamoth
Jeudi soir à la Citadelle…Rajan sera là… J'y serai aussi…
Sibylle devrait être émue, bouleversée. Ce message qui tombe à l'improviste ravive une blessure, un souvenir, Alcides… Rajan… Elle a beau se répéter ces noms intérieurement, ils ne la troublent pas.
Presque trois mois ont passé depuis ces événements. Elle a peu à peu refait surface. Une nouvelle date a été fixée pour son mariage, l'été prochain. Tout le monde s'accordait sur le fait qu'il valait mieux ne pas presser les choses, se donner du temps. Elle a retrouvé l'appartement où elle habitait déjà avec Alex. Ils envisagent d'obtenir bientôt un crédit pour une maison. Elle est toujours en arrêt de travail et s'occupe de relever les petites annonces sur les sites des agences immobilières, tout en imaginant la villa de ses rêves. Alex a une excellente situation professionnelle, mais voyage beaucoup pour les affaires de sa compagnie. La semaine passée, elle s'est rendue avec Tamara dans une boutique de robes et d'accessoires de mariage. Elle n'a rien essayé et s'est contentée de regarder pour se faire une idée. Elle sait que cette cérémonie ne fera qu'officialiser leur union sans changer grand-chose à sa vie. Elle est calme et résignée. C'est peut-être la recette du bonheur. Cette résignation… Le fait de s'accommoder tant bien que mal aux aléas de l'existence, à ses imprévus surtout. N'est-ce pas ce qu'elle a appris à travers ce drame ? Elle s'est aussi faite à l'idée que des figures continueront à évoluer en marge de cette vie bien rangée. Tels des spectres qu'elle aurait appris à reconnaître par une sorte de sixième sens, à apprivoiser au point de les laisser venir à elle sans en avoir peur. Elle rêve parfois du meurtrier. Il s'approche de son lit et enfonce son couteau. Elle ne se défend pas, elle ne ressent rien. Alors, elle se réveille et pense à Alcides. Elle se souvient de son séjour à l'hôpital et au Hameau des Oliviers. Ses fantômes la visitent dans les drapés de l'aube, à l'heure où le jour frileux hésite encore à se découvrir. Ils ne lui parlent pas. Elle ne demande pas à Alcides la raison de son silence subit. Elle n'interroge pas Rajan à propos de son devenir, après avoir quitté la pension sans lui dire adieu.
Et voilà qu'ils reviennent, transgressant cette limite un peu floue entre le rêve et la réalité. Elle sait qu'elle court un risque, qu'elle pourrait se compromettre, corrompre ce bonheur si serein qui ne se doute de rien. Elle se contente de sourire, cédant à cette résignation, ce sens de la fatalité qu'elle a fini par adopter. Elle est décidée à se rendre à cette invitation.
La Citadelle est une ancienne forteresse située sur une colline en dehors de la ville. Elle date de l'époque des Cathares et s'entoure de nombreuses légendes. On y organise souvent des événements culturels. Un bar et une discothèque ont ouvert récemment leurs portes au pied des remparts. Sibylle a consulté le programme. On donne effectivement ce soir-là un spectacle avec des danses traditionnelles indiennes. Au dernier moment, elle décide d'inviter Tamara. Elle se dit que le fait d'être accompagnée dissiperait toute arrière-pensée quant aux intentions qui pourraient l'inciter à se rendre là-bas. C'est aussi une façon de démontrer qu'elle n'a plus peur de sortir. Bien sûr, elle ne lui dit rien à propos d'Alcides et de Rajan.
Les deux amies se donnent rendez-vous à huit heures du soir devant le bar « Le Charivari ». Sibylle arrive la première. Elle préfère attendre dehors, impressionnée par la foule et la lueur des torches qui vibre contre les murs de la Citadelle. Une musique envoûtante, mêlant harpe et cithare, s'élève telle une flamme invisible. Elle regarde les silhouettes étrangères qui descendent les quelques marches pour s'engouffrer dans l'antre éclairée. Un important dispositif de sécurité a été déployé et des agents inspectent le contenu des sacs. Une vague appréhension s'empare d'elle. Alors qu'elle est sur le point de céder à la panique et de rebrousser chemin, Tamara apparaît auprès d'elle.
- Excuse-moi, je t'ai fait attendre.
- Ce n'est rien. Je n'aurais pas pu entrer sans toi. Cette foule me fait peur.
Elles pénètrent à leur tour dans le boyau creusé dans la muraille. Des chaises ont été installées dans la cour, mais la plupart des gens ont pris place sur les escaliers et les chemins de ronde qui délimitent cette enceinte. La scène est située sur une sorte de contrefort. Des acrobates passent à travers des cerceaux enflammés. Sibylle évolue dans ce cratère avec l'impression de subir l'impact d'une météorite qui apporte la vie sur terre. Elle cherche en vain Alcides dans cette humanité grouillante qui se confond avec les ombres. Alors, un autre groupe d'artistes fait son apparition et elle reconnaît Rajan avec son masque et sa moitié de visage à découvert. Elle se rapproche des premiers rangs en entraînant Tamara à sa suite. Au son du gong, le danseur se met à ondoyer comme un roseau dans le vent. Le public est captivé par sa mimique qui semble raconter une histoire. Sibylle croise son regard et comprend qu'il l'a aussi reconnue. C'est alors qu'elle sent une main qui frôle la sienne. Alcides apparaît à ses côtés. Il ouvre la bouche, mais le bruit de la musique couvre sa voix. Sa face devient blême et il s'éloigne subitement quand Tamara se tourne vers eux.
- C'est trop bruyant ici, dit-elle. Tu ne veux pas plutôt aller boire quelque chose ?
- Tu as vu ? Ce garçon, tu le reconnais ? C'est lui qui m'est venu en aide. Il t'a rendu le téléphone.
- Alcides.
- C'est cela, tu as fini par retenir son prénom… Quelle coïncidence, n'est-ce pas ?
- Bon, allons prendre un verre, maintenant. Je crève de soif.
- Invitons-le.
- Que dis-tu ?
- Pourquoi pas ?
- Sibylle, je ne te comprends pas… Je croyais que tu avais tourné la page.
- Oui, j'ai tourné la page, mais cette page a été écrite. Que je le veuille ou non. Que tu le veuilles ou non. Cela fait partie de ma vie. Tout comme Alex, tout comme toi. C'est ainsi. Alors, viens avec moi.
Tamara affiche une mine contrariée, mais lui emboîte le pas sans protester. Entretemps, Alcides s'est réfugié sous un porche. Il voit les deux filles qui se dirigent vers lui et se sent comme un voleur pris en faute. Il n'avait pas prévu la présence de Tamara et ne sait pas comment gérer cette situation. Sibylle lui sourit; il lui trouve un air un peu mutin. Il récupère pourtant son sang-froid en rencontrant le vert hermétique des yeux de Tamara. Il comprend qu'elle a su garder le secret et partage en ce moment son embarras.
- Vous m'auriez oubliée ? Demande Sibylle.
- Je m'excuse. Il m'a semblé que c'était vous. Et puis j'ai cru que c'était une méprise.
- Est-ce que j'aurais tellement changé ?
- Non, je crois plutôt que j'ai eu tout à coup peur de vous importuner. Je me suis souvenu de ma promesse.
- Il ne faut rien promettre. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Et puis je crois qu'on peut se tutoyer. Si nous allions prendre un verre ?
- Avec plaisir, je vous invite.
Ils se dirigent tous les trois vers le Charivari. La salle est bondée, mais ils trouvent une place au fond, près de la piste de danse. Alcides va au bar pour prendre les consommations. Les deux filles l'observent. Elles se mettent à converser tout en s'évitant soigneusement du regard.
- Qu'en penses-tu ? Demande Sibylle.
- C'est un gentil garçon. Tu as eu de la chance de tomber sur lui, mais tu ne vas pas tout compromettre maintenant. Tu le connais à peine, tu ne sais même pas ce qu'il fait dans la vie.
- Non, mais toi, personnellement, qu'en penses-tu ? Il te plaît ?
Sibylle se retourne vers son amie et la dévisage avec gravité. Tamara baisse la tête et paraît secouée par une sorte de frisson.
- Tu ne vas pas recommencer.
- Tu peux me le dire, non ? Je suis ton amie.
- Ne recommence pas, je t'en prie.
- Tu l'as dit toi-même, ce garçon est très bien. Alors, pourquoi pas ? Il ne te plaît pas ?
- Laisse-moi tranquille. Pourquoi tu cherches toujours à me faire souffrir ?
- Je ne cherche pas à te faire souffrir, rétorque Sibylle. Je me disais seulement que vous iriez bien ensemble. S'il ne te plaît pas, tu n'as qu'à le dire. Moi, je le trouve très mignon, très attachant. Je sais que je lui plais, mais je ne vais pas tout compromettre, comme tu dis, maintenant que j'ai fait le choix de faire ma vie avec Alex.
Tamara ne répond pas. Elle regarde Alcides qui revient avec des bouteilles de soda sur un plateau. Elle s'efforce de lui sourire et de faire la conversation, car il semble remarquer le froid qui s'est installé entre les deux amies.
- Vous venez souvent ici ? Enfin, je veux dire: tu viens souvent ici ?
- Non, c'est la première fois.
- Et tu as aimé le spectacle ?
- Oui, surtout ce que nous venons de voir. Ce danseur est extraordinaire. Tellement expressif. Et ce masque lui donne une allure troublante.
Sibylle intervient :
- Comment connais-tu Rajan ?
- Tu m'as envoyé un jour sa photo. C'était tellement frappant, on ne pouvait l'oublier. Je l'ai immédiatement reconnu quand je l'ai vu danser avec sa troupe sur l'esplanade des Sycomores, l'autre jour. Mais toi, où l'as-tu rencontré ?
Tamara paraît un peu perdue et se tourne vers Sibylle, comme si elle attendait une explication.
- Rajan était aussi en convalescence au Hameau des Oliviers. Il a été brûlé au visage dans un accident de voiture.
- Une agression, précise Alcides. Des voyous ont arrêté la voiture dans laquelle il se trouvait avec des amis pour les détrousser. Il y eu une altercation et ils ont mis le feu au véhicule.
- Il t'a raconté cela ? Je ne savais pas, dit Sibylle, visiblement troublée, avant de poursuivre:
- Je n'aime pas trop ce qu'il a fait ce soir. Cette musique ne lui convient pas. Il est beaucoup plus émouvant dans le répertoire de la danse classique. Je le regardais quand il s'entraînait le soir, sans musique, sans public hormis moi-même qui l'observais dans la salle de séjour. C'est à cette occasion que j'ai pu le photographier un jour. Avec son visage nu. Il m'a donné la permission de t'envoyer le cliché.
Il est vingt et une heures et le barman annonce au micro l'ouverture de la piste de danse. Soirée plutôt tranquille en perspective, sans doute pour ne pas faire concurrence au spectacle qui se donne à côté. On passe des tubes des années quatre-vingt. Quelques couples se dirigent vers la piste. On commence par une petite mise en train avec du Polnareff. Puis la voix de Michel Berger entraîne les nostalgiques dans un slow avec son Paradis Blanc. La conversation s'est un peu enlisée. Ils regardent les danseurs qui évoluent, ne sachant trop quoi dire. Alcides comprend qu'il doit saisir sa chance maintenant. La gorge serrée, il se tourne vers Sibylle qui s'est mise à pianoter sur son smartphone. Il voudrait l'inviter à danser quand elle le prend de court en se redressant subitement.
- Je m'excuse. Je dois rappeler Alex. J'avais promis de la faire ce soir. Il est huit heures à Londres. Je reviens dans un instant.
Elle quitte le bar précipitamment et il se retrouve seul avec Tamara qui sourit avec une certaine tendresse devant son air médusé.
- Tu voulais danser avec elle, n'est-ce pas ?
- Pourquoi penses-tu cela ? Crois-tu qu'elle s'en doutait ?
- C'est une belle chanson. En fait, l'une de mes préférées.
- Alors… Allons-y.
Il se lève et lui tend la main un peu maladroitement. En la prenant par la taille, il a l'impression de se trouver une fois de plus dans un rêve où la fille qu'il désire et qu'il tient enfin entre ses bras s'efface soudain derrière une autre. Il voudrait se réveiller, mais le songe se prolonge. Alors, il se laisse partir à la dérive dans cette léthargie. Elle murmure en détournant la tête.
- Je ne suis pas la bonne personne. Je sais ce que tu penses. Nous nous prêtons à une sorte de jeu, nous assumons un rôle que nous n'avons pas choisi. Nous consentons, mais, au fond de nous, nous ne désirons rien.
Comme Sibylle et Alex, se dit-il. Ballottés par le courant, on lutte, on s'accroche. Au gré des envies, des circonstances, on croit tenir le fil de la vie quand c'est elle qui nous entraîne.
- Oui, je sais ce que tu penses… Tu te demandes pourquoi… Pourquoi j'ai agi ainsi la dernière fois. Eh bien, je ne sais pas. Je n'avais pas prévu cela. Contrairement à ce que tu crois, je ne cherche pas à t'éloigner d'elle et je ne suis pas jalouse. Je sais seulement qu'elle ne renoncera pas à son mariage avec Alex. Ils ont l'air si heureux ensemble, si bien assortis. Tu devrais les voir.
Elle parle avec une amertume au coin des lèvres, comme si c'était ce bonheur qu'elle enviait, cet amour tranquille et sans histoires qui demeure pour elle inaccessible. Il se souvient de leur étreinte. Un instant volé, la satisfaction d'un désir consommé à la hâte. Puis elle est partie, sans laisser d'adresse, sans l'espoir d'un lendemain, à la façon d'un voleur qui s'approprie ce qui ne lui appartient pas.
Elle s'est rapprochée de lui, presque insensiblement. Sa tête s'est inclinée sur son épaule. Il suit encore le tracé de la raie qui découvre une peau très blanche à la racine de ses cheveux, puis s'efface sur la plage du front lisse. Les paroles de Michel Berger restent en suspens dans la lumière trouble:
« Il y a tant de vagues et de fumée
Qu'on n'arrive plus à distinguer
Le blanc du noir
Et l'énergie du désespoir… »
Le blanc du noir… Sibylle… Tamara… Tant de vagues et de fumée... Et l'énergie du désespoir… L'écho de ces mots retentit encore dans son esprit quand la musique s'arrête. Il lâche sa main et se dirige avec elle vers la table du fond. Sibylle n'est pas revenue.
- Elle attend certainement dehors, dit Tamara. Je la connais… Vas-y. Moi, je rentre. Dis-lui que je suis fatiguée… Vraiment fatiguée.
Tamara ne lui laisse pas le temps de répondre. Une fois de plus, elle lui échappe, après l'avoir égaré dans un labyrinthe de sentiments. Il reste un moment debout, abasourdi, alors qu'une mélodie qui lui paraît étrangère entraîne à nouveau les danseurs sur la piste. Enfin, il prend son téléphone. Il s'apprête à envoyer un message à Sibylle, puis se décide à l'appeler. C'est la première fois qu'il compose son numéro pour lui parler de vive voix. Elle décroche aussitôt.
- Je suis sur les remparts, côté sud, près de la chapelle. La nuit est tellement belle que je me suis oubliée.
Une atmosphère étrangement calme règne dehors. Un son de cithare s'élève maintenant au-dessus de l'enceinte. Il suit le chemin de ronde éclairé jusqu'à la tour du clocher. Sibylle l'attend, assise entre deux créneaux, les yeux tournés vers la nuit profonde. Elle parait surprise de ne pas voir Tamara, mais ne pose aucune question.
- La vue ici est magnifique.
- Oui, répond-il. On voit toute la cité et le bassin du fleuve jusqu'aux montagnes.
- De jour, c'est encore plus beau. Il faut venir ici au crépuscule, avant que la nuit tombe… Excuse-moi si je suis partie un peu précipitamment. La foule me fait encore peur. J'essaie de me réhabituer, mais parfois c'est plus fort que moi.
- Comment vas-tu ? Je pense souvent à toi.
- Bien… Ma blessure a entièrement guéri. Je garde une cicatrice. J'essaie de ne plus y penser.
- Et ton fiancé ?
- Absorbé par son travail, comme d'habitude. Je crois que ça l'a aussi beaucoup touché. Lui aussi s'efforce de tourner la page… Il a changé… En bien… Il est moins pragmatique, plus réfléchi.
Elle semble hésiter avant de poursuivre sur un ton grave en baissant les yeux.
- Je ne voudrais pas te faire de peine. Je veux que tu comprennes. Je vais me marier. La vie doit continuer comme avant… Mais il y a entre nous un lien qui sera toujours présent. Tu me tends toujours la main. Chaque jour, j'y pense, je m'y accroche. Quand je sens que l'angoisse et la déprime vont me rattraper, je me souviens de cet instant. Les photos que tu m'envoyais étaient comme un rappel de cette main tendue. Elles m'aidaient à me relever, à regarder autour de moi, à apprécier le fait d'être en vie. Un fil d'Ariane, quoi… Tu es le seul avec qui je peux parler de cela. Le seul qui peut me comprendre… Mais tu vois, c'est mieux ainsi. Je ne peux pas t'aimer… Ou plutôt si, je t'aime d'une certaine manière, mais c'est différent.
- Je comprends. Je ne te demande rien. Je t'enverrai autant de photos que tu veux. Laisse-moi juste de temps en temps être avec toi.
- Et Tamara, elle ne te plaît pas ?
- Pourquoi me demandes-tu cela ? C'est une fille étrange…
- Tamara a une histoire triste. Je t'en parlerai une fois. Je voudrais l'aider, mais je ne peux pas. Peut-être qu'avec toi ce sera possible.
- Elle est partie. Elle a dit qu'elle était fatiguée.
- Je m'inquiète pour elle… Marchons un peu, veux-tu ?
Ils passent devant le porche de la chapelle qui, selon les historiens, aurait abrité autrefois, dans le plus grand secret, un concile réunissant des évêques hérétiques venant de toute l'Europe. Ils pénètrent dans la tour de garde où des mannequins portant des costumes de templiers sont exposés dans des vitrines. Sibylle passe entre les rangs de ces poupées de cire qui, les mains posées sur la garde de leur épée, semblent fixer un point dans le lointain, dans l'expectative d'un événement à la fois espéré et redouté. Elle l'entraîne sur un escalier en colimaçon. Ils parviennent au sommet de l'édifice, devant une sorte de parapet. Les contreforts de la muraille ont disparu et le vertige laisse place à un sentiment de quiétude quand on se penche au-dessus du vide noir de la falaise. Au-delà d'un bosquet, la ville scintille et semble flotter sur cette obscurité dense comme une armée de feux follets.
- Regarde, dit-elle. C'est le point le plus élevé d'où l'on peut contempler la ville… Là-bas, n'est-ce pas ? Juste avant ces blocs d'immeubles sombres. Dans cet essaim de lumière, c'est la banlieue nord. Là où nous nous sommes rencontrés.
- Oui, là-bas. On voit la tour de l'horloge à gauche et le stade sous les projecteurs.
- Il faut s'élever pour prendre conscience du monde dans lequel on vit. Si je pouvais, j'irais jusque dans l'espace. Je me tiendrais là au-dessus, en apesanteur.
Elle recule et se rapproche de lui tout en contemplant la vue. Sa silhouette se détache comme un prolongement de la nuit, un éclat issu de la même matière. Une légère brise soulève une mèche de ses cheveux qui paraissent plus blonds sur ce fond obscur. Il avance son visage, jusqu'à les effleurer, et se laisse gagner par le silence languide, presque inquiétant. Une arrière-pensée s'immisce dans son esprit, l'incite à parler pour ne pas être réduit à ce silence.
- Depuis ce jour, je fais un rêve récurrent. Je vois le visage d'une femme que je ne connais pas. Elle est calme, elle sourit, et ses cheveux s'étalent comme si elle flottait à la surface de l'eau. Alors, je vois le sang qui s'échappe de sa tempe, en jet, comme une colonne de fumée qui s'allonge indéfiniment et se met à serpenter au gré du courant.
- Qui est-elle ? Ce n'est pas moi.
- Il y avait une femme au Noir Tango. Elle portait un foulard ou une écharpe de couleur pourpre. Elle se tenait près de la porte quand je suis rentré. Je n'y ai pas prêté attention. Puis elle est partie en coup de vent, quand j'étais auprès de toi. C'est à ce moment que je me suis retourné, mais elle était déjà loin.
- Je ne me souviens pas. Il y avait au moins six ou sept personnes dans ce café. Tout est confus dans ma tête.
- J'ai une photo sur mon portable, prise à travers la vitrine, juste avant de traverser la rue.
- Je ne veux pas la voir.
Le ton est dur, cassant. Durant un bref instant, il a senti son corps se raidir tout contre lui. Puis elle s'est écartée.
- Excuse-moi.
- Ne me parle plus de ça, promets-le moi. Tu vas détruire cette photo. Fais-le, maintenant.
Il est décontenancé. Il hésite, mais n'ose résister à cette injonction.
- Je ferai tout ce que tu voudras.
A contre cœur, il prend son smartphone et efface la photo. Sibylle ne paraît nullement soulagée. Elle se tient toujours en retrait, comme si, rattrapée par le vertige, elle n'osait plus se rapprocher de la muraille et affronter ce spectacle.
- Je ne veux plus jamais entendre parler de ce qui s'est passé ce jour-là. Maintenant, rentrons. Il commence à faire froid.
Tamara m'agaçait à se mettre toujours entre Sibylle et Alcides, mais elle a fini par laisser la place. Sibylle fait certainement une erreur en voulant se marier avec Alex...
· Il y a presque 8 ans ·Elle a un comportement bizarre en demandant à Alcides d'effacer une certaine photo...
Louve
Oui, cela va s'éclaircir dans les episodes suivants. Et il y aura encore des rebondissements. Merci pour vos commentaires.
· Il y a presque 8 ans ·Frédéric Lamoth
Je m'en doute bien ! Je suis...
· Il y a presque 8 ans ·Louve