Sofia en peignoir

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Concours Airbnb. Word trip en peignoir...

   J'avais toujours eu peu d'intérêt pour les choses qui m'entouraient. Mon plaisir, je le tirais d'un unique fétiche : le peignoir. Jamais je ne quittais le mien et cela m'avait conduit à accumuler des centaines de modèles. Mon préféré était un peignoir jaune en éponge à l'effigie du marsupilami, agrémenté d'une queue de deux mètres qui traînait mollement derrière et donnait une prestance animale à mes déplacements.
Mes proches ne parvenaient pas à comprendre cette passion, eux qui ne s'affublaient que de robes de chambre bordeaux hideuses à des horaires très précis (tôt le matin et tard le soir), comme des fonctionnaires du mauvais goût. J'avais souhaité partir loin de ces turpitudes familiales, fuir la mode crasse de mes intolérants aïeux.
   Je choisis la Bulgarie, car le peignoir me donnait l'impression d'être une cuillère dans un yaourt bulgare. Aussi louais-je un petit appartement au cœur de Sofia.
Dès l'emménagement, je remarquai un étrange appartement dans l'immeuble d'en face : un penthouse immense dont les lumières changeaient régulièrement, passant du violet au jaune. Au début, je pensais que les aliens avaient enfin débarqué, étant donné la rotondité de la bâtisse et sa hauteur. Rapidement, mon attention se focalisa sur son locataire : un homme d'une trentaine d'années se pavanant continuellement dans un slip rouge, emmailloté dans un peignoir d'une grande beauté. Il s'agissait d'un peignoir céruléen où figurait dans le dos une tête d'Elvis tenant un micro. Aussitôt, j'entendis le King me héler :
- Porte-moi ! Porte-moi ! me criait-il.
Une véritable obsession me gagna, tant et si bien que je ne quittais plus la fenêtre et son délicieux spectacle.
Au bas de mon immeuble, il y avait un bar. Je demandais des renseignements sur le propriétaire du penthouse.
- C'est Georgi ! Son duplex est génial. Si tu veux voir l'intérieur, va regarder les photos sur Airbnb. Georgi le loue certains mois de l'année.
En effet, je découvrais en quelques clics cette habitation baroque. Le duplex affichait une ambiance polymorphe, un design moderne se lovant à des lignes chics et plus classiques. Il trônait comme une couronne stroboscopique sur un immeuble à l'architecture policée. D'un coup, d'un seul, je réservai frénétiquement pour la nuit suivante, guidé par ma fièvre pour le moelleux vêtement.
   Le lendemain, je me présentai devant le penthouse dans un peignoir smoking (noir et blanc avec une ceinture en forme de nœud papillon). Georgi était accoutré d'un jean et d'une chemise, vêture banale pour m'accueillir dans un environnement aussi truculent. Tandis qu'il me faisait visiter, je regardais avec angoisse la valise qu'il allait emmener, priant pour que le peignoir restât dans les lieux avec moi. Après m'avoir montré la chambre au lit fantastiquement rond, au pied duquel se trouvait une baignoire monumentale, et raconté une douzaine d'anecdotes autour du tapis zébré qui reposait près du canapé, il me salua d'une main virile.
    Sitôt qu'il fût parti, je me jetai dans toutes les pièces pour chercher mon trésor. Je le trouvai finalement dans la salle de bain. Je me débarrassai prestement de mon habit de soirée en coton et enfilai celui de mon hôte. Je n'avais pas ressenti une volupté pareille depuis des années. Mes sens étaient attisés par sa matière soyeuse qui caressait ma peau comme une tendre amante.
   Désireux d'examiner ses belles couleurs à la lumière, je passai devant la fenêtre quand, brusquement, derrière les vantaux de mon appartement, j'aperçus Georgi qui déambulait dans mon peignoir Dark Vador. Furieux, je courus jusqu'à lui, ouvrant la porte avec fracas. Je le toisai avec rage, serrant le poing, tandis qu'il bredouilla en bulgare :
- Attends ! Je suis comme toi ! Je te voyais à la fenêtre. Je voulais essayer tes peignoirs...
Je ne sus si c'était cette révélation autour de notre passion commune, ou bien mon admiration de voir à quel point mon peignoir lui donnait fière allure, mais je parvins à me calmer. Je lui proposai, pour éteindre les derniers brandons de mon ire, de fumer ensemble un petit joint, calumet de la paix entre deux fins esthètes . Je saisis alors mon pochon quand je vis Georgi devenir blême.
- T'en fais pas, lui dis-je, c'est de la drogue douce.
À ces mots, il m'arracha le pochon, emplissant ses mains de son contenu, puis il s'en frotta le visage avec délectation.
- Elle est douce ! Elle est douce ! répétait-il, tandis que je restais les yeux écarquillés devant ce fascinant tableau. Plus jamais je ne pus fumer après ça !
    Cette expérience nous fut profitable, à Georgi et à moi. Une idée avait germé dans nos cerveaux féconds après ces péripéties. Ensemble, nous fondâmes un site internet sur le modèle d'Airbnb, spécialisé dans l'échange de peignoirs classieux : sorte de guilde d'initiés, passionnés par les sorties de bain haut de gamme. Ainsi, grâce à nous, aux quatre coins de la planète, chacun put avoir une place chaude dans un peignoir exotique.

https://www.airbnb.fr/rooms/1788360?guests=2&s=6loI

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