Oublier au Mexique

joanandmom

Il y a parfois des moments dans la vie où on a besoin de changer d'air...

Aéroport PCG, pour partir rapidement, j'ai le choix entre Mexique et Suède, et comme j'ai besoin de chaleur… direction le Yucatan. Je me connecte sur l'appli Air bnb de mon phone, en 3 clics, je tombe sur LA MAISON : une cahute entre forêt et plage, très typique, tout en bois, au calme…parfait.

Vous devez vous dire qu'un départ à l'improviste sans destination précise ressemble à une fuite, et c'est le cas, mais rassurez-vous, je ne suis ni un tueur en série ni un grand criminel, je m'appelle Johan, j'ai 34 ans, et ce que je fuis aujourd'hui, c'est ma vie…

Après une nuit dans l'avion et quelques heures de bus, j'arrive à Tulum, lieu de ma villégiature… L'endroit est idyllique, Larisa environ 45 ans, m'accueille, elle parle un peu Français, elle adore cuisiner et me propose de diner avec elle et son mari le soir même. Je décline en évoquant la fatigue du voyage… Dans cette maison, je me sens bien, et pour tout vous dire, ça fait quelques mois que cela ne m'est pas arrivé. Tout est différent ici, on peut s'imaginer être une autre personne, dans une autre vie et c'est exactement ce dont j'ai besoin.

Deux jours plus tard, Larisa débarque à la maison, avec le sourire, et des petits gâteaux : «- On dirait que vous n'avez pas mis le nez dehors depuis que vous êtes arrivé ici, vous êtes tout pâle.» Elle ouvre le frigo que je n'ai évidemment pas rempli…

« - Il faut manger, il faut profiter, il y a tellement de choses à découvrir ici, les Cenotes, c'est typical ! et puis, êtes-vous au moins allé vous baigner ? » Je fais non de la tête, elle est dépité. Elle m'attrape par le bras:

« - La mer est à 10 mètres de la maison, ça ne vous demande pas vraiment d'effort quand même ! »

On marche ainsi sur la plage, paradisiaque effectivement, en silence. Cette femme me fait penser à ma mère, elle est bienveillante, prévenante, alors qu'on ne se connait pas.

« - Tu as l'air triste… Il ne faut pas être triste, c'est une perte de temps… Viens »

Je la suit sur cette plage, elle m'emmène à l'ombre des palmiers, il y a une table recouverte d'une serviette blanche.

« - Allonges toi !

- Non non, ça va aller, tout va bien, je suis juste un peu fatigué.

- Allonges toi, tu as besoin de te détendre… je suis têtue, allez. »

Devant sa détermination, je m'exécute. En me voyant torse nu, elle ne dit rien et commence  son massage, je suis perturbé, en colère contre moi parce que ce que je voulais fuir fait partie de moi, c'est là, où que j'aille ce sera là.

Ceci dit, son huile à la noix de coco et  son massage sont  un vrai bonheur… et contre toute attente, je me détends un peu, je lâche et ça fait un bien fou. Elle me dépose ensuite une serviette chaude qui me recouvre le dos, elle s'éloigne. Je reste là un moment allongé, sans bouger, réconcilié avec mon corps pour quelques instants.

A la nuit tombée, Larisa réapparait dans la maison, les bras chargés de plats qu'elle a confectionnés pour moi, une vraie mère je vous disais. Elle se pose devant moi, me regarde dans les yeux, je suis mal à l'aise. Je sais qu'elle attend que je lui parle mais je ne veux pas, je suis venu ici pour oublier et non pour ressasser. Alors devant mon mutisme, c'est elle qui prend la parole :

« - Je ne crois pas au hasard, il y a toujours une raison, parfois on ne la voit pas mais elle existe bel et bien. Toi, tu n'es pas tombé là par hasard, c'est sûr. Tu es en sécurité ici, tu peux me faire confiance. Que fuis-tu? C'est quoi cette cicatrice dans ton dos ? »

a jamais quitté.  Larisa est toujours plantée devant moi, imperturbable.

« - On m'a découvert il y a trois mois un cancer de la peau, la cicatrice c'est à la suite de la deuxième opération… Cette saloperie a changé ma vie, j'aimerais oublier mais je la sens-là, toujours, j'aimerais la cacher mais tu la vois, j'aurais dû partir en Suède…

- Pourquoi est-ce que ça change ta vie ?

- Parce que ça me rapproche de la mort, ça crée un lien entre elle et moi, je la sens qui rôde, en permanence. J'aimerais tellement oublier, je te jure… mais je n'y arrive pas, ça me paralyse, ça m'empêche de respirer … » Je sens que je vais chialer alors je décide de me taire, de toute façon, parler ne change rien.

« - Gandhi, a dit : Vis comme si tu devais mourir demain, apprends comme si tu devais vivre toujours. Ta douleur est là, réel, je n'en doute pas mais tu dois la transcender pour continuer d'exister, tu dois profiter de chaque instant. Je vais t'emmener avec moi tous les jours, tous les jours, tu m'entends ! Je vais te faire découvrir une merveille chaque jour, chaque jour un moment inoubliable, et on fera ça jusqu' à ce que tu aies retrouvé le goût de ces choses- là, jusqu'à ce que tu arrives à considérer chaque instant comme un petit moment de bonheur parce que la vie c'est ça. »

Elle s'est assise dans le canapé, à côté de moi, et elle m'a pris dans ses bras, comme une mère prend son enfant, et j'ai chialé comme un enfant, pour la première fois. Mes barrières sont tombées, je m'en suis remis à elle, à Larisa.

https://www.airbnb.fr/rooms/1268269

 

 

 

  • Une suite est-elle prévue avec votre retour à Paris et ce que ce voyage a changé dans votre vie ?

    · Il y a presque 9 ans ·
    Au rayon des livres

    chloe-n

    • Bonsoir, j'ai écrit ce texte pour un concours welovewords, je suis allé au Mexique mais pas dans ses conditions là, je connais le mal dont souffre mon personnage, et donc ses réactions pourraient être les miennes, mais l'histoire telle qu'elle est une fiction. Désolée.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Holi le festival des couleurs inde

      joanandmom

  • Quel beau texte!... J'ai voulu mettre 5 coeurs, mais on m'a déjà dit qu'ici ça ne faisait que 4.3 ou quelque chose comme ça, alors je ne sais pas.. Mais ça n'a pas d'importance, les notes ne sont pas la vie non plus! Ce que j'aime ici ce n'est pas quelque chose qu'on note, c'est ce bel espoir qui fait avancer chaque être. Votre texte est beau parce qu'il est vrai

    · Il y a presque 10 ans ·
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    koya-al-gaad

    • Merci pour ce jolie commentaire, je suis très touchée...

      · Il y a presque 10 ans ·
      Holi le festival des couleurs inde

      joanandmom

    • Votre texte m'a intimement rappelé un de mes écrits, le climat est le même que dans l'Île de mon enfance..Je me permets de vous donner ce lien, si vous voulez l'effacer ensuite cela ne me pose pas de soucis: http://welovewords.com/documents/une-femme-3

      J'espère qu'il aura le même écho chez vous que votre texte chez moi
      Sincères salutations

      · Il y a presque 10 ans ·
      21765009 129430894369158 8985084520168090888 n

      koya-al-gaad

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