soldat épilogue

Vincent Vigneron

je me rapproche du cœur de la bataille

loin des mortiers gueules ouvertes frappant de leur haleine

les veilleurs vides

loin des prunelles vivantes

j'ai assez de sang sur les mains pour peindre

une main positive

dès que j'avise une paroi faisant néolithique

je me rapproche des charniers

des vestibules où corps et bouches jeunes

recueillent l'eau de pluie

dans les cavités laissées par l'ennemi

faiseur de veuves ton absinthe partout

de moins en moins verte en allongeant le pas

voici ma mission honorée

je suis encore debout

j'ai beaucoup tué

comme on dirait j'ai beaucoup utilisé ma queue

dans des maisons portuaires

il fait maintenant crépusculaire

sur la colline sans auvent

autre que l'abri de fortune de frondaisons hachées

m'envoie pas de message capitaine je n'ai pas de réseau

absent au rapport faute d'antennes relais

je me rapproche du butin insensé

un cheval volé aux villageois

il cherche l'herbe où elle n'est pas

il est malhabile

il garde le souvenir d'une pâture bien plus sereine

et si ce n'est pas le cas je le garde pour lui

ce souvenir

j'entends siffler dans le ciel

une patrouille qui craque son fuselage

nous recensons - mon ombre portée et moi

une centaine de dormeurs du val

affublés de chasubles ridicules

(c'est la mort qui les rend ridicules - nota bene)

sur une surface plus petite qu'un terrain de cricket

ils adoptent des positions incroyables

figés l'air aigri de celui qui s'est vu refuser

une tournée de demis au bar

et s'est fait casser les jambes par le vigile

je me rapproche du cœur plus tranquille

de la bataille

il y a des flaques originales

sous elles l'empreinte des bottes

manufacture des armées cuir de pleine fleur

et maintenant le pétrole

ou un combustible apparenté

ou l'âme liquide d'un mammifère

qui commence à iriser la pelure de l'eau croupie

je me rapproche du plus jeune type

blessé

mortellement blessé en fait

j'ai l'impression de voir son cœur battre

comme dans ce film où le héros abusé

découvre un crapaud sous la chemise de son camarade mort

ce film qu'on avait vu en permission

un cinéma de la ville

après une journée barbecue fort belle

vraiment heureuse

elle est maintenant repliée sur elle-même

comme une patate en germination

ça germe mais c'est mort

c'est impropre à la consommation

quelque part planquée dans le système limbique

je me rapproche de ce gosse

habillé en ralph lauren dans la vraie vie

(existe-t-il une fausse vie ?)

désormais il se contrefout de l'ourlet

mal festonné

je vois bien qu'il porte un matricule familier

avec un glaive de damas couvrant ce qui était le torse

le tronc commun de nos vies

près de la petite fabrique de porcelaine où nous habitions

à côté coulait un mince filet d'eau

que les topographes persistaient à appeler rivière

aucun bon sens

et les rumeurs des jeux d'enfant veillaient jusqu'à très tard

dans les prunelles vivantes

je me rapproche de mon fils

Signaler ce texte