Son audace et sa fin
Sophie Dussol
".; j'ai eu un amant autrefois.. Une histoire de chair, une histoire de cul. ce qui ne veut strictement rien dire, nous sommes des êtres trop complexes pour que nos histoires ne soient faites que d'une seule étoffe.
Mais nous trouvons sans nous l'avouer jamais que l'impact moral est moindre s'il ne s'agit que de sexe. Et puis..on vit une aventure. Quelque chose de secret. et il y a une jouissance à savoir que ce que nous donnons à voir n'est pas la réalité.
Ainsi, nous échangeons avec nos voisins, nos collègues, nos amis de mille sujets du quotidien en pensant "Si vous saviez.;"
Mais cela , nous sommes des milliers à le faire.
J'avais donc mon aventure, mes étreintes brèves et clandestines. Ce désir insatiable qui était autant celui de son corps que de son envie de moi. Etre voulues nous rend vivantes et dépendantes. Les hommes le savent.
J'avais choisi mes liens et mes entraves.
J'avais décidé qu'il en serait le possesseur. Je prenais des risques et explorais l'inconnu.
Un jour, il souhaita l'échange. Avec un autre couple. Une partie carrée.
La femme était blonde et fardée, l'homme méditerranéen et arrogant....mais magnétique.J'avais été tentée de reculer. L'abandon me semblait difficile sans confiance et la confiance venait avec la connaissance.
Là, j'étais nue et à nu devant des inconnus.
Quand l'homme trouva sa place entre mes reins alors que la femme blonde trouvait la sienne aux pieds de mon amant, je vis passer dans les yeux de celui ci qui me regardait, une brume de tendresse. ce fut la seule fois.
Nos ébats furent audacieux certes, mais mon plaisir vint avant tout du sien, de son fantasme réalisé.
En rentrant chez moi je réfléchissais...je mesurais toute l'énergie, tout le désir, tous les mensonges, tout le déni de mes responsabilités dont j'avais dû user pour quelques heures torrides désormais dissoutes dans la froideur de l'instant passé.
J'étais allée loin et la suite me confirma que j'étais la seule à en mesurer le prix.
Son silence ne me surprit pas les premiers jours, puis il s'installa et avec lui, le manque.
Je voulais qu'on baise à nouveau tous les deux, nourris de cette expérience.
Le silence dura et même l'idéaliste que je suis dû admettre qu'il serait définitif. La colère me grignota l'âme un moment, puis je déclinais.Mes gestes de femme et de mère étaient alourdis par la honte, la déception, la frustration. Je perdis du poids, mes yeux étaient sans cesse cernés de mauve.
Puis, le désir revint me tourmenter. pas le désir chaud et vivant qui nous rend heureux même s'il n'est pas comblé, mais un désir acide et intransigeant.
Alors, je me jetais dans une frénésie sexuelle aveugle.Mon corps avait perdu de son moelleux et de son confort mais j'avais gardé une cambrure de danseuse et un regard peu farouche ce qui s'avéra suffisant.
Je me faisais prendre dans les recoins de porte, une jambe enroulée autour de la hanche de mes partenaires dont je voyais à peine le visage et je les quittais soudainement, titubants qu'ils étaient après la violence de mes gestes.
Quelques fois, quand j'aimais leur odeur ou leur regard, je les suçais, en les tenant par les poignets pour qu'ils ne puissent guider mes mouvements.
L'un d'eux, siffla "salope", alors que je me redressais et j'en souris.
Mais un jour, il y en eut un qui me surpris. Celui ci n'avait pas caché son intérêt, et pourtant, il se refusait sans cesse.
Dans l'absolu, cela m'importait peu, je voulais accumuler les rencontres éphémères pour me dissoudre dans le sexe comme d'autres s'oublient dans l'alcool...alors lui ou un autre...
La fin brutale de mon aventure adultère avait aussi détruit ma propre estime.
Ni amitié, ni amour, j'avais cru créer avec le garçon un nouveau mode de relation où, malgré notre frénésie charnelle, j'existais aussi pour moi même. l'idée que mon visage, mon sourire ou mes mots puissent lui manquer me rendait heureuse et enrichissait notre relation physique qui pouvait alors aller de plus en plus loin.
En m'éliminant de son existence comme on balaie la pluie sur un pare-brise, il m'avait prouvé qu'il n'en était rien..que je n'étais rien.
Le nouvel homme ne se laissa pas faire par mon approche directe.
Mais un jour où je me trouvais par un hasard qui n'en était pas vraiment un, dans l'ascenseur du parking, il se plaqua contre moi, appuya sa paume entre mes jambes et grinça
" Tu me plais, mais ça ne te laisse pas le droit de décider de tout"
Deux jours plus tard, je sonnais chez lui.
-" Et fais toi belle! ton tempérament de feu, ça ne suffit pas!"
il fût doux au début, presque délicat et m'obligea à renouer avec une sensualité que j'avais oubliée. Sous ses caresses, je retrouvais le plaisir de l'abandon.
Il m'avait retournée soudain et me caressait les hanches.
-"Il va falloir reprendre un peu de formes" murmura t il.
reprendre? me connaissait il auparavant?
- "Oh oui, j'te connais, dit il plus fort en accélérant son rythme, ça fait des mois que je t'observe.. t'es qu'une pute!"
Je voulus me dégager, il me serra plus fort et quand je commençais à lui crier de me lâcher, le premier coup m'atteignit derrière la tête....
Au second, je sentis une déchirure dans mon épaule et ma respiration se coupa. Je vis le visage de ma fille, les collines bleues et odorantes au dessus de la maison, le ventre plat du garçon contre lequel se frottaient les seins de la femme blonde et mes yeux se remplirent de larmes.
Puis, je ne vis plus rien.
je ne sais pas si ma mort fût maquillée en accident.
Je ne sais pas non plus où je fus enterrée.
Je me souviens seulement m'être sentie plus légère que l'air, et que, dans mon âme éparpillée en mille particules de lumière, se reflétaient les visages de ceux venus me dire adieu.
dans l'une d'elle, il me sembla, avant de disparaître, percevoir la grande silhouette fine et figée du garçon, à l'écart, sur un trottoir..mais je ne suis pas sûre."
lilas lalie, septembre 2015