WHOLE LOTTA LOVE
François Alekan
Versailles, Juin 1978.
Aussi lorsqu'il m'encula, je ne pensai plus à vous !
Voilà pourquoi mon colonel, je m'en vais déserter.
Il se prénomme Jasmin, il est, comme moi, de ces garçons à servir la patrie et remplir ses obligations militaires. Il est jeune, brun, plus imberbe encore, une peau mate. Il est du sud, un père Marocain, une mère Corse, mariage sacrilège dans une région peu disposée à ce genre de tolérance. Jasmin est né en Corse, vit en Corse, parle Corse. Il est aussi grand que moi, longiligne, une cicatrice imposante balafre son bas ventre. Un accident de montagne, éperon rocheux, un pied qui dévisse, une chute lourde et grave. A présent, c'est un dieu du ciel, il plane de son regard d'oiseau, il est aérien dans sa démarche athlétique et cadencée, c'est un danseur. Après son service militaire obligatoire, il intègre une troupe professionnelle. Non mon colonel, Jasmin n'est pas un P.D. Il aime la danse, il virevolte avec grâce, ses gestes sont élégants, ses poignets déliés, ses doigts longs et articulés frémissent au moindre souffle de vent. Oui mon colonel, je suis amoureux de cet homme.
Nous partîmes un soir de permission vers les côtes océanes, un voyage au bout d'un monde que nous n'avions de cesse d'inventer. Cap à l'Ouest, dans une vieille Alpha et deux Roméos, quatre roues aux jantes chromées, les cheveux très courts dans le vent, la sono à fond les baloches, comme dans les films. Les héros sont jeunes et jolis, une pellicule légère d'embruns salés envahie les narines de senteurs d'air acidulées. Run de guitare folk, virée sur « Coming into los Angeles », voix d'Arlo Guthrie, trip de louf.
La chambre d'hôtel est modeste, mais la vue en revanche est somptueuse. Jasmin et moi avions convenu que l'on mettrait le prix sur l'emplacement. Notre solde de militaire n'offrait guère de choix.
Le printemps s'alanguit sur la longueur, les jours se réchauffent en prévision de l'été, la nuit se peuple d'invités surprises, grillons, reinettes, papillons nocturnes affolés par les lumières hypnotiques. Jasmin accoudé à la balustrade de la fenêtre se rallie au cri d'un chat-huant, imitant à la perfection l'oiseau qui, soigneux et précieux, se lave le plumage dans le jet d'une fontaine d'agrément d'un jardin s‘étalant de l'hôtel jusqu'à la plage. La silhouette fuselée du garçon se découpe dans le cadre de la fenêtre. La nuit est sombre, la lune se lèvera plus tardivement dans le ciel.
Jasmin, assit sur le rebord, ombres chinoises graciles, ébroue des mains expressives. Jasmin se fait silencieux, mais son corps n'a de cesse de vouloir. Sur un mini- magnétophone, posé sur la commode de lit, une musique en sourdine, rock, Whole lotta love, Led Zeppelin, Robert Plant, en concert au Milwaukee Arena, 1973, pantalon taille basse, gilet sans manche ouvert sur une poitrine lisse, un balancement du bassin sensuel et arrogant. Le son monte progressivement en puissance, le rythme syncopé d'une basse et d'une batterie vaudou envahissent les sens. Jasmin se tient debout, alors que son esprit prend possession du rythme, la guitare emballe les accords. Jasmin se déhanche sensuellement, outrageusement, ses épaules tressautent pour se relâcher tout aussi brusquement. Jasmin sur la voix chaude de Robert Plant amène son propre corps à la limite de l'épuisement. Les jambes, sur les enchaînements débridés des solos de la guitare de Jimmy Page, solidement rivées au sol, ondulent sur les notes enivrantes. Tête renversée, torse en avant, bras étirés vers le plafond, toutes les parties vitales de son corps frémissent aux sons de la voix aigüe et éraillée du chanteur. Une transe traverse ses chaires. Jasmin n'est couvert que d'un slip informe et d'un débardeur outrageusement moulant. Un, vraie petite salope. Jasmin néglige les effets qu'il produit sur moi. Je suis allongé sur le lit. Il virevolte, seul et ses mouvements se font amples. Je sais à présent qu'il danse pour moi, que son érotisme répond à mon ardeur. Je me débarrasse de mes vêtements. Mon regard cherche et rencontre un sourire entendu. La lune, elle, s'est extirpée de l'océan et diffuse une lumière diaphane. Je suis allongé sur le dos, totalement nu sur le lit, la tête relevée derrière deux coussins rugueux. Jasmin rit, pose un regard coquin. Je le sais affamé d'un désir vorace. Je glisse sous mon bassin les deux oreillers. Ainsi relevé, je me suis offert à Jasmin. Jasmin s'approche et de son corps en transe engage les caresses. Il effleure de sa poitrine mes cuisses, mon ventre, ma bouche. Son souffle brûlant éveille des douleurs secrètes. Jasmin possède le don d'éteindre le feu, il peut aussi l'allumer. Whole lotta love !
Je l'embrasse avec passion, fiévreusement. Mes lèvres empressées frémissent d'envies rares et précieuses, une rage amoureuse parcourt mes veines. Je mouille comme une fille, je me dilate, je fonds, je chavire, j'exulte. Une houle régulière, vagues de convoitises, pour l'autre, pour toi… de prendre, de donner, d'arracher, de déchirer, de réduire, de protéger, d'adoucir, d'adorer, d'amadouer, de frôler, de caresser voluptueusement, de frotter, de branler, de griffer, de masser. Tout doux, tout doux mon ami ! Prenons le temps, allons doucement. Fusions, oui, fusions, baisers tendres, puis fougueux, plus fougueux toujours, brutaux… Que ton menton râpeux arrache la peau de mon cou, que mon entrecuisse roule et frémisse sous tes assauts… Que mes jambes se contractent. Oh douleurs de tes muscles, si forts et qui emprisonnent mon sexe contre ta peau brulante. J'aime, j'aime, oui j'aime faire l'amour avec toi. Je me mords les lèvres pour ne pas te crier mon désir insensé. Perchée sur le rebord de la fenêtre, la chouette hulotte est venue aux nouvelles. Son camarade de nuit ne répond plus, pas à elle en tout cas. C'est une femelle, plus grande que son mâle, elle a bon goût, car Jasmin est un homme rare, d'une beauté à faire pâlir une polymorphe voyeuse.
Une lutte, nos corps ruissellent, toute la puissance de nos forces conjuguées, un entrelacs de bras et de jambes, des baisers farouches, volontaires, sur le menton, sur les lèvres, à se tourner tout autour de la bouche et enfin s'embrasser a pleines lèvres, tendres et avides. Des tremblements secouent nos visages, et pour reprendre souffle entre deux hoquets et crispations saccadées, on s'enlace tendrement. Les caresses se font plus douces encore, plus précise également. Chacun délicatement joue du sexe de l'autre. Nos bites sont prises de tensions brusques et électriques. Jasmin pointe son membre démesurément turgescent. A chaque caresse une ruade secoue son ventre. Jasmin râle, des mots crus sortent de sa bouche, saccadés, obscènes, puis amoureux, provocateurs. Il est chien, salope, putassier, branleur, il veut tout, se faire mettre, se faire branler, se faire sucer, baiser, baiser, baiser. Je suis bouleversé. J'éjacule sur son dos, je n'ai pu me retenir. Je suis parcouru de soubresauts incontrôlés et de ma ferveur restante, je pénètre enfin mon amant. Je l'encule aussi fort que je l'aime et le convoite. J'astique sa queue avec force et violence. Je crispe ma main sur sa chaire gorgée de sang. Je lui décalotte le prépuce, crache dans ma main et caresse son gland d'une mouille douce et suave. Une subreptice éjaculation inonde inopinément son cul. Je suis heureux de tant de ferveur. Mon homme est comblé. Je sens à son tour sa fureur monter. Je me retire et me précipite sur son corps que j'oblige à allonger. Je retourne Jasmin sur le dos. Ses yeux se brident derrières des paupières fébriles, la bouche à demi ouverte cherche sa respiration. La tête roule sur l'oreiller, ses yeux se révulsent alors que je prends son sexe dans mes mains et que je l'amène jusqu'à ma bouche. Je dégouline, je bave, je crache. Je branle avec lenteur la queue de mon aimé. Je tire la peau vers le haut, vers le bas, je roule mes doigts et ma bouche aspire plus encore que son sang ne pourrait donner. Jasmin me prend la tête entre ses paumes de mains, ses doigts s'enfoncent dans mon crane, me griffent la nuque et les pavillons des oreilles. Jasmin reprend la main et d'autorité accélère le rythme qui l'excite au plus haut point. Il veut éjaculer, il le gueule, le râle, l'exige. Son bassin entre dans la danse et lance des coups de boutoir pour accentuer le mouvement de défonce. Il veut que je mette mon doigt dans son cul. Je m'exécute. Il s'empale, il se déchire. Jouir articule-t-il. Jouir mon amour… Ma bouche dégueule de son sperme. Ma main dont le doigt est toujours niché dans son anus, récolte mon propre sperme qui suinte sur mon avant-bras. Je me dégage la main et lui donne à sucer, puis je l'embrasse et recrache son foutre dans sa propre bouche. Nous nous roulons une pelle salace, et nos lèvres dégoulinent de nos spermes à présent réunis. L'étreinte se fait plus douce et le relâchement nécessaire pour revenir à la chambre et sa confortable douceur. La fenêtre donne sur l'océan sur lequel à présent se reflète la pleine lune. Demain ce sera l'été. Chouette fit le hibou.
Papa, colonel de l'armée de terre, émérite soldat, je ne ferai jamais ta guerre.
Vous devez comprendre mon colonel que cet homme est une élite pour l'armée.
Aussi lorsqu'il m'encula, je ne pensai plus à vous !
Voilà pourquoi papa, je m'en vais déserter.