Sortilège de Bach

violetta

Ce fut comme un rite de passage. La nuit, sur la petite route traversant la forêt, nous franchîmes la frontière entre le monde réel et le monde enchanté. Roulant au pas sur la pente raide, nous rencontrâmes dans le faisceau de nos phares une biche indolente qui semblait trouver normal que nous nous arrêtions pour elle. Elle traversa avec grâce et indifférence. Plus loin un lièvre – était-ce celui d'Alice ? - avec le même naturel, reçut l'hommage de notre immobilité et zébra d'un grand bond la lueur de nos phares avant de s'enfoncer dans les ténèbres.

Au sommet de la colline, le ciel n'était qu'un tapis de constellations. Depuis la rencontre avec la biche, nous n'avions pas échangé un mot. Pour dire quoi ?... La communion avec la beauté du monde nous tenait lieu de langage.

Le lendemain matin, l'Abbaye de Boscodon nous apparut dans la simplicité rustique de ses pierres blondes. Passant du soleil à l'ombre, nous pénétrâmes dans l'église. La 1ère suite de Bach nous accueillit. Un violoncelliste au milieu du chœur, jouait pour lui-même. Les rares visiteurs dont nous étions, à cette heure matinale, profitaient émerveillés de cette inattendue perfection : l'union sans défauts d'un moment, d'un lieu, d'une œuvre. Sous les vieilles voûtes, la musique était comme une source merveilleuse. Le musicien jouait, s'arrêtait, reprenait, rejouait le prélude entre la courante et la sarabande… Quand il fut arrivé à ce qui pour lui devait être la fin, il rangea son instrument, remit sa chaise dans la nef et sortit. Nous sommes restés un long moment silencieux, subjugués.

Il fallut reprendre la route, en plein jour cette fois. Un écureuil bondit devant nous pour traverser. Nous savions que c'était la fin du sortilège. Merci Jean-Sébastien !

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