Sortir, partir, fuir

gabielle

   Cela faisait bientôt trois heures qu'il marchait. Peut-être plus ou peut-être moins, il n'en savait rien. Il n'avait pas pris la peine de mettre sa montre et depuis, la notion du temps lui semblait bien floue. Peu importe où il allait, il marchait. Même s'il regardait droit devant lui, il n'avait aucun but précis. Il levait la tête pour signifier qu'il était sûr de lui, bien que son avenir fût maintenant incertain.

   Il était désormais en pleine cambrousse, à-demi forêt, à-demi campagne, aucun signe de civilisation, en y pensant, il sourit. Là était son objectif : se retrouver loin de tout. Cela lui semblait évident quand il prononçait ces mots. Pendant toutes ces longues minutes où il marchait et qu'il avait passé à réfléchir, la raison de son départ ne lui avait pas immédiatement sauté aux yeux. Maintenant, elle était claire comme de l'eau de roche.

   Le terrain se faisait de plus en plus rocailleux et ses pieds le faisaient souffrir. Il faut dire qu'il n'avait guère eu le temps de penser à prendre des chaussures adaptées à une randonnée. Il avait quitté son travail en pleine après-midi, voire en pleine matinée, il ne pouvait se souvenir exactement de ce moment. Son envie de tout quitter lui était apparue comme une illumination. Son esprit s'était vidé instantanément, pour ainsi dire sans aucune raison... à moins que ce ne soit pour une accumulation de petites raisons qui s'étaient amassées depuis longtemps et qui, seules, ne lui avaient pas laissé une forte impression. Il s'était simplement levé de sa chaise de bureau et, éprouvant le besoin de s'en aller, il annonça d'un ton décidé, qu'il partait. Il ne l'avait pas dit à une personne en particuliers, mais en général. Personne ne lui avait accordé la moindre attention. De toute manière, rien ne le retenait à son petit train-train quotidien. Ni famille, ni amis ne s'inquièteraient de son sort, peut-être sa mère mais elle ne s'en rendrait pas compte avant au moins une semaine car il ne passait la voir que de temps en temps et puis il ne voulait pas rebrousser chemin aussi facilement. Il était déterminé à aller jusqu'au bout.

   Les rochers devenaient de plus en plus gros au fur et à mesure qu'il avançait mais il ne se décourageait pas pour si peu. Il prenait ça comme une sorte de défi que lui lançait la nature, pour voir s'il était aussi motivé qu'il le pensait. Sa randonnée ressemblait davantage à de l'escalade. Il crapahutait parmi les blocs de pierre aussi facilement qu'un éléphant. Il avait la trentaine, il était censé être dans la fleur de l'âge, au sommet de sa force. Il n'en était rien. Le sport n'était pas son activité de prédilection et elle ne le sera probablement jamais. Il tentait tant bien que mal de grimper au sommet d'une falaise miniature. A la force de ses bras et en s'aidant de ses pieds, il parvint presque à se hisser en haut lorsqu'une crampe très douloureuse le prit par surprise et l'obligea à lâcher prise. Il se rétama sérieusement sur le sol en s'éraflant le coude au passage. Il jura de douleur et manqua de s'assommer sur un rocher. Heureusement, il n'était pas tombé de haut et son corps semblait en bonne état outre sa blessure au bras qui commençait à saigner abondamment. Il voulut faire comme dans les films en arrachant un bout de sa chemise avec les dents pour se faire un garrot mais il abandonna en voyant que tout ce qu'il parvenait à faire, c'était de mettre de la bave sur le tissus. Il se sentit ridicule mais cette impression disparut quand il se rappela que personne ne pouvait le voir. Il jeta tout de même un coup d'oeil derrière lui pour s'en assurer.

   Il continua son périple en partant dans une autre direction pour éviter les rochers. Il choisit d'emprunter un petit sentier recouvert par la végétation qui s'enfonçait dans un sous-bois. Il s'attendait à voir des petits animaux vivre tranquillement leur vie dans les arbres et à entendre la mélodie si caractéristique des oiseaux mais rien ne vint à lui. A quoi s'attendait-il? A revivre la fuite de Blanche-neige? A rencontrer des êtres extraordinaires qui lui viendraient en aide? Quelle imagination débordante il avait ! Ce n'était pas un conte de fée, il ne vivait pas dans un pays magique et sa vie n'avait rien d'excitant. C'était ça son problème : penser que tout allait venir à lui, naturellement, que chacun avait sa part d'aventure et que la sienne allait forcément se manifester tôt ou tard. Il avait eu tort et l'idée qu'il avait attendu aussi longtemps pour rien le rendait malade. Sa patience était à bout et sa décision était prise : il devait forcer le destin.

   Il déboucha sur une clairière où s'écoulait un ruisseau. Cela tombait à pic parce qu'il commençait à avoir vraiment soif. Il remonta le mince filet d'eau qui coulait pour trouver une cascade qui lui permettrait de boire sans être en contact avec les saletés que pourraient déposer les divers êtres vivants de la forêt. Il appuya sa tête contre la paroi humide et entrouvrit ses lèvres afin de laisser pénétrer l'eau. Il en profita aussi pour laver sa blessure. Une flaque d'eau se créa à ses pieds, il recula pour éviter d'avoir les pieds trempés. Quand il baissa sa tête vers le sol, il aperçut son reflet dans l'eau, il ne voyait que les contours de sa silhouette à cause du contre-jour et on devinait que ses cheveux étaient en bataille et son visage paraissait avoir affronté mille et une épreuves. Il n'avait pourtant rien de l'étoffe d'un héros. Aucun charisme. Aucune spontanéité. Pas d'esprit de compétition. Pas sportif pour six sous et encore moins un leader. Il voulait renverser la tendance et entrer dans la postérité. Bon, peut-être pas "entrer dans la postérité" parce qu'on réservait cette expression aux grandes figures de l'histoire, à des gens qui avaient accomplis quelque chose de grand et surtout, à des personnes connues. Tout son contraire quoi. Le seul point commun qu'il avait avec ce genre de personnes, c'est qu'il souhaitait susciter l'admiration, car il avait osé faire quelque chose que beaucoup avaient déjà penser à faire mais que peu pouvaient se vanter de l'avoir fait.

   Il reprit la route et s'émerveilla du nombre de plantes qu'il n'avait jamais vraiment pris la peine de regarder. Il se surprit même à penser que s'il s'était installé à la campagne, il n'aurait sûrement pas eu ce cas de conscience et vivrait pleinement son existence mais il en avait décidé autrement. Il avait finalement fait comme tout le monde pour être assuré de ne jamais manquer de rien, un vrai mouton. En fin de compte, il manquait de tout.

   Un moment, il s'imagina les conséquences de son escapade, de la même façon qu'un adolescent qui fuguait de chez lui et qui prendrait finalement conscience de sa bêtise. Sauf qu'il n'était plus un gamin, il ne comptait sur personne pour vivre et il pouvait très bien ne pas rentrer. Personne ne s'en soucierait. Trois choix s'offraient alors à lui : retourner tout de suite chez lui, rester quelques temps "en liberté" puis rentrer chez lui ou vivre le reste de ses jours comme Robinson Crusoé. Chacun des choix avait son inconvénient. Dans le premier cas, s'il retourne chez lui sur le champ, tout cela n'aura servi à rien, il ne sera pas satisfait car il n'y aura pas vraiment eu de changements. Dans le deuxième cas, s'il prenait des " vacances prolongées", à son retour, il y aura de lourdes conséquences, il se fera probablement viré et il aura des tonnes de papiers à remplir. Dans le dernier cas, à vrai dire, il ne se voyait pas passer le reste de sa vie ainsi et puis comment fera-t-il pour se nourrir et pour survivre en hiver? Il n'a rien d'Indianna Jones, il ne pourra jamais se débrouiller dans la nature. Le plus simple pour le moment était de ne pas y penser.

   Parce que les épaisses branches des arbres cachaient le ciel, il ne s'était pas rendu compte que la nuit était tombée. Il le remarqua lorsque vint la lisière des bois et qu'il découvrit une plaine couverte d'herbe desséchée illuminée par les derniers éclats du soleil qui disparaissait rapidement. C'était l'endroit rêvé pour dormir à la belle étoile. En parlant de ça, la voûte céleste commençait à se parsemer d'étoiles si brillantes qu'elles paraissaient être très proches alors qu'elles se situaient à des millions d'années-lumière. Il s'allongea en plein milieu du terrain et ferma les yeux. Il prendrait sa décision demain, de façon posée parce que c'est connu, la nuit porte conseil.

  • merci beaucoup !

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    gabielle

  • Une histoire très étonnante. Je suis un peu dérouté par le face-à-face entre la narration très rationnelle, très logique, et le coup de folie totalement irrationnel et non expliqué.
    Le début de quelque chose plus construit ? La porte d'entrée vers un texte fantastique ?
    A suivre en tout cas.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

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