Sous la ville

Marie Berthet

Il était trois heures du matin et la ville était pratiquement déserte, à l’exception de quelques voitures sur ce grand boulevard. Anna tourna à droite dans une petite rue où elle se retrouva définitivement seule. Malgré l’heure tardive, Anna ne se sentait pas angoissée ; cette ville elle la connaissait bien, et la douce lumière orangée de ses lampadaires la rassurait en éloignant les ténèbres. Elle avait l’impression d’être dorlotée par la cité, comme protégée de la nuit profonde et noire par sa lumière et ses bâtiments. Elle marchait donc tranquillement sur le trottoir en longeant les murs de pierre constituant l’enceinte d’une école. Elle songeait à tout et à rien, se laissant porter par la vision de ces bâtiments familiers. Soudain, les ampoules des lampadaires qui lui apportaient cette lumière bienfaitrice et nécessaire se mirent à clignoter. Par deux ou trois fois elles s’éteignirent avant de se rallumer dans la seconde qui suivait. Cet événement inattendu sorti Anna de sa rêverie, la poussant à regarder, intriguée, la source lumineuse. Une pointe d’inquiétude traversa son esprit, mais elle la rejeta rapidement, maintenant que le clignotement avait cessé. Elle reprit donc sa route comme si de rien n’était, les talons de ses chaussures claquant sur le bitume.

Seulement, quelques instants plus tard la lumière clignota une dernière fois avant de s’éteindre définitivement. Les ténèbres de la nuit se jetèrent sur la jeune fille pour l’entourer de leur étreinte terrifiante. Elle se mit à frissonner malgré elle, et elle commença à jeter des coups d’œil furtifs aux alentours. L’angoisse montait en elle à mesure qu’elle prenait conscience de l’obscurité profonde de la nuit. Elle leva la tête pour tenter d’apercevoir la lumière rassurante de la lune mais celle ci n’était pas visible, camouflée derrière une masse nuageuse. Puis, sans crier gare, un puissant bruit de raclement métallique s’éleva dans la nuit. Anna s’arrêta instantanément de marcher, tous les sens en éveil. Elle tourna rapidement la tête dans tout les sens pour déterminer l’origine du son avant de s’arrêter pour guetter un autre bruit. Mais plus rien ne se produisit. Elle repris alors lentement sa marche, tentant d’ignorer les battements sourds de son cœur et les gouttes de sueur froides qui dégoulinaient le long de son dos et de ses membres. Malgré ses pas mesurés, ses talons continuaient de claquer le sol comme autant de gongs terrifiants. Au bout de quelques pas elle se sentit légèrement rassurée et repris un peu de vitesse. Après tout, ce bruit pouvait très bien provenir de n’importe où et être aussi insignifiant qu’un battement d’aile. Il ne fallait pas s’inquiéter pour si peu.

La nuit était tellement sombre que sans les lumières Anna ne voyait strictement rien. Aucun son ne lui parvenait non plus, à l’exception du bruit de quelques voitures circulant sur le boulevard tout proche. Malgré ses tentatives pour se rassurer, Anna sentait toujours une angoisse latente qui se cachait dans son esprit. Elle commença donc à marcher de plus en plus vite, se laissant petit à petit envahir par la panique. Elle enchainait les pas, à la limite de la course, écoutant le son de ses talons se répercuter sur les murs « tac tac tac tac ». Soudain, un de ses bruit de pas ne résonna pas dans la nuit. Elle eu à peine le temps de réfléchir au sens de cette absence de son qu’elle levait déjà son deuxième pied et se sentit alors happée par le vide. Elle plongeait, à pieds joints, dans un gouffre qu’elle n’avait pas pu apercevoir. Elle fut tellement surprise et prise de panique qu’elle ne songea même pas à crier. Au bout de ce qui lui paru une éternité, elle réussit à prendre conscience de ce qui se passait et tenta alors frénétiquement de se rattraper à quelque chose pour ralentir sa chute. Elle tendit les bras dans le noir et ceux ci heurtèrent durement une paroi rocheuse et humide. Elle s’arracha quelques ongles au passage et s’égratigna la paume des mains, ce qui la poussa à reculer vivement celles ci du mur tout en poussant un hurlement de douleur. Elle se força néanmoins à tendre à nouveau ses mains, pensant à la chute qui risquait d’être très douloureuse. Elle sentit des barreaux sur sa droite, mais la vitesse de la chute l’empêchait de les attraper correctement et elle se fit mal aux mains sans que cela serve à quelque chose. Elle fini par avoir l’idée de plaquer ses pieds au murs, puisque ceux ci étaient protégés par ses chaussures. Quand elle eu l’impression que la vitesse avait un peu ralenti grâce au frottement de ses pieds contre le mur elle plaqua le haut de son dos sur le mur opposé. Le frottement contre la paroi rocheuse lui arracha progressivement son manteau avant de s’attaquer à son pull et son t-shirt pour finir par sa peau, mais cela s’avéra efficace. Elle hurla quand elle senti le picotement dû aux écorchures, mais heureusement elle fini par atterrir lourdement sur le sol. Elle s’en tira pour un bon mal au coxis et quelques bleus en plus de sa peau arrachée. Des larmes de douleur coulèrent sur ses joues mais elle n’eu pas le temps de reprendre ses esprits qu’elle entendit un son puissant de raclement métallique suivit d’un bruit inquiétant d’un objet lourd que l’on lâche. Ce bruit lui fit penser à celui d’un tombeau que l’on refermait. Il se répercuta en écho dans le puits dans lequel elle était tombée, comme si l’on venait de le sceller. Elle releva alors la tête et pu observer, tout en haut, un œil lumineux unique. La source lumineuse était cependant tellement faible qu’elle ne lui permettait pas d’observer les alentours. C’est alors, après le choc passé, qu’elle réalisa qu’elle était tombé à travers une bouche d’égout que l’on avait ouverte puis refermée. Ceci expliquait les bruits métalliques, qui provenaient du raclement de la plaque. Cela signifiait donc qu’on l’avait volontairement fait tomber dans le trou. Elle resta assise quelques instants sur le sol, hébétée, à fixer le haut du puits, plusieurs mètres au dessus d’elle.

Après quelques instants elle décida de se ressaisir et de trouver une solution à la situation. C’est alors qu’elle eu l’idée de sortir son téléphone portable pour s’éclairer et se repérer dans cet endroit complètement plongé dans le noir. La petite lumière blanche lui permis de mieux appréhender l’espace, sa première réaction fût d’éclairer le puits. Elle pu alors observer des barreaux rouillés et humides montant jusqu’au sommet qui lui semblait encore plus haut que lorsqu’elle était dans le noir. Fallait il escalader et tenter de sortir par la ou elle était rentrée ? Comment pourrait elle ouvrir la plaque ? Elle décida d’essayer quand même ne sachant trop que faire. Poser les mains sur les barreaux mouillés et recouverts de boue lui arracha une grimace de douleur en raison de ses écorchures. Elle respira profondément, comme pour atténuer le mal et serra ses mains sur l’échelle afin d’y hisser le reste de son corps. Seulement, au moment de lever la jambe pour commencer l’ascension une douleur à la hanche due à sa chute se réveilla, lui interdisant tout mouvement. Elle se figea, serra les dents tout en fermant les yeux et senti quelques gouttes de sueur perler sur ses tempes. Elle comprit alors que remonter en haut du puits lui serait complètement impossible et qu’il faudrait renoncer à cette idée. Elle lâcha les barreaux rivés dans le mur et se retourna tout en maintenant son portable braqué devant elle. La petite galerie dans laquelle elle se trouvait continuait sur quelques mètres avant de tomber sur un autre couloir, perpendiculaire à celle ci. Anna soupira avant de se mettre à claudiquer vers l’embranchement. Si elle ne pouvais pas remonter par là où elle était descendue il fallait bien tenter quelque chose, et rester assise en bas du puits ne l’aiderai pas à sortir. Au bout de quelques pas elle se rendit compte que sa chute l’avais plus atteinte que ce qu’elle pensait à priori, et que sa progression allait être difficile vu la douleur que lui procurait chaque pas. Arrivée à l’intersection elle s’adossa au mur pour reprendre ses esprits et décider du chemin à prendre : gauche ou droite ?

Anna posa un pied dans la nouvelle galerie afin de pouvoir mieux observer ce qui s’y trouvait. C’est alors qu’elle se rendit compte qu’un cours d’eau y circulait, et qu’une vive odeur lui frappa les narines. Elle réalisa à ce moment qu’elle avait du tomber dans les égouts. Si cela paraissait évident maintenant, elle n’avait pas pris la peine d’y réfléchir plus tôt. Elle observa avec dégout sa chaussure posée au milieu des eaux usées, puis, après un long soupir de désespoir, se dirigea vers la droite.

Après quelques minutes de marche rendues particulièrement difficiles par l’eau, l’odeur et la douleur, Anna marqua une pause. C’est alors qu’elle entendit un bruit sourd, comme un marteau frappant un mur. Le bruit se répandit dans toute la galerie, résonnant contre le béton. Elle se figea, et tendit l’oreille. Elle senti les battements de son cœur commencer à s’accélérer, et l’angoisse monter. D’ou pouvait bien provenir ce bruit ? Que se passait-il ? Y avait-il quelqu’un d’autre dans cette galerie ? À moins que ce ne soit quelque chose… Glacée par l’effroi mais ne voulant pas céder à la panique, elle leva lentement la main afin d’éclairer l’ensemble de la galerie devant elle à l’aide de son portable. Le faisceau était plutôt faible et ne lui permettait pas de distinguer grand chose, elle voyait simplement le tunnel continuer à l’infini, suivant une ligne parfaitement droite. Le fond de la galerie ne ressemblait qu’à un grand œil noir et inquiétant. Alors qu’elle fixait l’obscurité pour tenter d’apercevoir quelque chose, le bruit retentit à nouveau. « BANG ». Puis, après une courte pause un second coup. Progressivement, les intervalles entre chaque coup se firent de plus en plus court, jusqu’à ce que chaque son se suive, répétant un écho infini. Les murs semblaient trembler sous la force des ondes, et l’enchainement des « BANG » commençaient à ressembler de façon inquiétante à l’appel d’un tambour de guerre. Anna fit volte face pour tenter d’apercevoir la provenance du son, puisqu’il n’y avait visiblement rien devant elle. Elle commençait à paniquer, ses membres devinrent tremblants et elle effectuait des gestes saccadés. Dans sa hâte de se retourner pour observer ce qui se passait derrière elle, sa main heurta le mur de droite, et ses muscles tétanisés n’eurent pas le reflexe de saisir son téléphone qui tomba, directement dans le courant d’eau. L’appareil resta allumé quelques secondes avant de s’éteindre, noyé par les eaux usées.

Sans lumière, Anna céda complètement à la panique. Le bruit martelait toujours les parois, comme provenant des profondeurs de la terre. Son cœur se mit à battre à la vitesse des tambours, et sa respiration suivit. Elle tenta de s’adosser contre une paroi pour se calmer et avoir une vue des deux cotés de la galerie au cas ou quelque chose arriverai, mais ses blessures au dos se rappelèrent à elle, l’empêchant de se rassurer grâce au mur. Elle resta debout, tournant la tête frénétiquement d’un côté puis de l’autre, en tentant de percer l’obscurité. Aux aguets, il lui sembla soudain entendre une musique, comment un léger chant, mais pas suffisamment fort pour couvrir le bruit de martèlement. Ce chant l’effraya encore plus, il sonnait à ses oreilles comme une sorte d’incantation maléfique. Le souffle court, elle continua de scruter la pénombre. Soudain, elle aperçu comme un reflet sur la gauche, dans la direction d’où elle venait. Elle plissa les yeux pour mieux voir, le reflet semblait provenir des yeux d’une bête ou d’un félin. L’angoisse la tétanisa sur place. Tout à coup elle entendit un bruit, comme un choc métallique sur la paroi de béton. Ce son fût comme un déclic, sous l’effet de la terreur elle parti en courant dans le sens opposé, oubliant la douleur, oubliant de réfléchir, n’agissant plus que par instinct de survie. Elle détala dans la galerie, se mouillant jusqu’au hanches à cause des éclaboussures. Elle pouvait sentir ses poumons brûler, et les moindres de ses écorchures il tirailler la peau, mais la peur était plus forte que tout.

Soudain elle sentit une violente douleur au front, comme un éclair. Le coup fût bref, et elle tomba à la renverse, directement dans le ruisseau.

Quelques temps plus tard, Anna ouvrait les yeux, elle se trouvait allongée sur le bitume, en pleine rue, le jour se levant sur la ville. Rapidement elle se rappela les événements passés et tenta de se relever pour voir ce qu’il se passait. Cependant de violentes douleurs dans tout son corps l’empêchait de bouger. C’est alors qu’elle vit un visage dans son champ de vision. L’homme, habillé avec un uniforme prévu pour faire des travaux se pencha sur elle et pris la parole : « Ah tu te réveille ? Tu nous as fichu une sacrée frousse ! On vient juste de te remonter et d’appeler les pompiers. On était en train de faire des travaux avec mon collègue dans les égouts et on t’a retrouvé allongé par terre. Sans lumière t’as du t’écraser la tête contre le plafond, il descend brusquement à l’endroit où on t’as trouvé. Mais qu’est ce que tu foutais là quand même ?! »

Anna ne répondit rien. Elle ne pris pas la peine de réfléchir, allongée sur le bitume, réchauffée par les rayons du soleil, elle se sentait bien. Bercée par la ville, elle pouvait dormir tranquille, rassurée.

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