Souvenirs d'Oia

Mathilde Hernandez

Souvenirs d'Oia est le récit fictif d'une découverte du village d'Oia et de l'île de Santorin en Grèce, mêlé au souvenir douloureux d'un drame local.

     Ça fait maintenant deux jours que je suis en Grèce. Je me suis installée à Oia, petit village de Santorin dans les Cyclades, dans une magnifique habitation troglodyte. Me voila assise sur une chaise longue profitant d'une brise d'air frais qui apaise la douce brûlure du soleil sur ma peau. Je suis donc sur la terrasse de cette sublime demeure, face à la mer d'un bleu azur et me voila frustrée. Dans cette manie qu'on a tous aujourd'hui de vouloir partager et commenter ce que l'on vit, je suis là, pantoise, avec cette carte postale à la main ne daignant pas trouver l'inspiration nécessaire pour décrire ce que j'ai devant les yeux... Je ne trouve pas d'adjectifs ou de mots assez éloquents pour exprimer la beauté, le calme de ce lieu et l'état d'esprit dans lequel je suis... Rien ne pourra valoir ce que j'ai à l'instant sous les yeux, et rien que l'idée de le déprécier m'énerve. Non décidément, je ne vois pas l'intérêt de partager ça maintenant. Seule ma mémoire conservera les traces de ce voyage.

     Giannis est mon hôte, un jeune habitant grec à l'allure de globe trotteur. Il m'a accueilli dans ce petit paradis avec simplicité et m'a fait un topo détaillé des nombreux attraits de l'île. Il m'a fait visiter la maison et alors qu'il me montrait la vue, j'aperçus une vieille femme sur une terrasse en contrebas. Cette femme à la soixantaine avait l'air pensive, le regard perdu en direction de la mer comme si ses propres pensées dérivaient sur l'eau.

M'excusant auprès de mon hôte, je m'empresse aussitôt de changer l'optique de mon appareil photo. Je capte alors son visage qui par un heureux hasard se tourne vers moi au moment même du déclenchement. Ce regard  est d'un bleu semblable à celui de la mer et les rides qui l'encadrent rappellent le mouvement des vagues. Un beau visage très graphique.

Je reviens ensuite rapidement à mon hôte gênée d'avoir ainsi été repérée. Elle doit en voir des touristes qui mitraillent avec leurs joujoux tout ce qu'ils voient ! Giannis a un sourire en coin. Lui aussi a priori. Mais peu importe cette photo a du caractère, elle a une âme.

Mon hôte m'apprend que cette femme habitait cette maison avec ses parents lorsqu'elle était petite.

        Santorin est une île aux multiples délices. Après avoir goûté quelques uns des raffinements de l'île, les fava (purée de pois jaunes), une dégustation de vins d'Oia au Domaine Sigalas, la gourmande que je suis s'est rendu au Nikolaos à Fira afin de savourer une bonne Moussaka.

Après une soirée festive à Fira, j'ai profité alors de la brise nocturne. C'est là que j'ai perçu à nouveau son regard dans la nuit. Un frisson parcourût mon dos à cause de l'intensité de son regard. La vieille femme me fixait.

      Ce matin,  je me suis rendue sur les ruines du kastelli sur l'avancée rocheuse afin d'admirer un autre point de vue sur la mer. Mon goût du risque m'a fait m'avancer au plus près et j'ai senti le vent me happer et mettre à l'épreuve mon équilibre. Une montée d'adrénaline m'assaillit et je souris bêtement.

Une main s'agrippe tout à coup à mon bras, me tirant en arrière. Je me retourne et découvre à nouveau la femme étrange. Je me replis alors loin de la falaise avec étonnement. Elle m'indique de la suivre. Je m'exécute et elle m'emmène alors chez elle : dans une typique maison troglodyte.

Elle m'invite à la suivre sur sa terrasse et me montre une chaise à l'ombre d'un parasol. Je m'assieds et avant que j'ai eu le temps d'ouvrir la bouche elle est déjà rentrée dans la maison. Je l'entends parler dans la cuisine puis s'activer en ouvrant des placards.

Elle surgit enfin hors du logis avec un petit plateau garni de pâtisseries. Je reconnais une tarte aux noix du Melenio, une Pâtisserie d'Oia. Elle me sert et c'est Giannis qui nous rejoint à son tour. Je comprends alors qu'elle l'a appelé afin qu'il serve d'interprète. S'ensuit alors l'explication que j'attendais.

Sília, la vieille dame, m'explique Giannis, avait été frappée par ma ressemblance avec sa grand mère lorsqu'elle était jeune. Sília me montre une photo vieillie par le temps d'une femme aux boucles sombres tenant une fillette dans les bras. La ressemblance n'est pas frappante mais je compris plus tard le transfert émotionnel que fit Sília.

Sa grand mère souffrait d'une grande solitude malgré la présence de sa fille (la mère de Sília ) et ne s'était jamais remise de la mort de son mari. Accablée par sa perte et ses troubles psychologiques, elle s'était un jour jetée du haut d'une falaise. Sa fille n'avait alors que 6 ans.

La vieille femme avait pris peur en me voyant m'avancer près du vide, sur cette même falaise. Ma solitude l'intriguait : une étrangère qui vient se perdre seule ici n'était pas chose courante avec ces couples en lune de miel que l'on croise à tous les coins de rue à cette époque de l'année.

Cette histoire créa un lien que j'aurais du mal à expliquer... J'ai fini le séjour en leur agréable compagnie et attend avec impatience un autre voyage.

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