Spectres

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Dis-moi, Papa, le sens-tu toujours rôder, ce fantôme ?

Une décennie déjà. Et j'ai parfois l'impression que l'odeur poussiéreuse de la solitude est toujours incrustée dans les murs.

Tes draps ne connaissent même plus ton odeur ; c'est une maison hantée dans laquelle nous sommes. Nous errons ici et là, le plus souvent ailleurs qu'entre ses murs.

Il y a trois spectres qui se croisent sous ce toît. 

Une décennie déjà que l'on ne se connait plus.

Que l'on se fuit.

La sens-tu toujours parmi nous ? Je crois qu'elle est là, qu'elle flotte encore, et qu'elle déverse sur nous son flot de lâcheté légendaire.

La tapisserie est moisie, les sols grincent, nous ne prenons même plus la peine d'ouvrir les volets.

C'est comme si malgré toutes les fois où nous cherchons à nous enfuir de cet endroit, quelque chose, quelque part en nous, nous forçait à y revenir.

Quelque chose de sombre, froid et visqueux qui nous colle aux tripes.

C'est sans cesse le cœur maculé de traces d'Elle que nous nous échappons. Liés à jamais à ce lémure.

Elle reste tapie dans les cloisons, crachant sur nous son désir gluant de nous posséder.

Alors pendant que tu t'évertues à redonner vie aux façades, à leur donner des couleurs chatoyantes, à planter des jolies fleurs, pendant que tu t'obstines à cacher la misère par de belles insignifiances, je tente, de mon côté, d'exorciser les lieux, de purifier l'air négatif et sale de notre chez-nous.

En vain. Et ce parce que nous sommes tout autant des ectoplasmes qu'Elle.

Dis, Papa, sens-tu toute la tristesse que l'on dégage ?

Même la haine a finie par être mise au placard.

Il n'y a absolument plus rien de vivant ici.

Une décennie déjà.

Il n'y a plus rien de vivant en nous.

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