• Le Portrait •

Sandra Von Keller

Il y a sourire et sourire... Et il y a ce souvenir.

Je ne souris plus très bien. Encore faut t-il savoir si j'ai vraiment su le faire un jour. Une expression qui m'est bel et bien étrangère. Ah ça, les fossettes qui se crispent, le sourire en coin, glousser ou partir en fou-rire, c'est ma spécialité.


Je ne sais pas vraiment si ça vient du cœur, c'est souvent instinctif, voire une habitude que sa valeur n'a plus aucun sens. Mais un sourire, un vrai, un sincère, un beau, un magnifique sourire avec les yeux qui parlent avec. Je n'ai jamais pu l'exprimer.


Je n'ai jamais su dévoiler mes dents comme bon nombre de gens le font. Un sourire, grand, si grand, qu'on pourrait en dépouiller l'intérieur. Le plus souvent, ils projettent leur tête en arrière, leur sourire est si sincère qu'il se projette en éclat. C'est ce que j'appelle un sourire-soleil. Ceci n'est pas dans ma tête.


Ils rayonnent. 


Il semblerait qu'ils aspirent le bonheur à grande goulée, ils avalent la joie. Et je n'avale rien. Il y a comme un garrot dans mon gosier, des tendons invisibles qui me tiraillent et qui m'empêche toute expression. A vrai dire, j'aimerai sourire en sanglots. Être partagée entre les deux émotions... Comme... Comme lorsque j'étais enfant.

Et en évoquant ce souhait, je me souviens d'un étrange souvenir, j'étais toute petite, avec une belle robe blanche, c'était une de ces robes qu'on ne peut porter qu'aux occasions, mais je m'en moquais, je désirais la porter autant de fois que le cœur m'en disait.


Je me promenais dans un rayon, ma maman me tenait la main, j'ai détourné le regard pour je ne sais quelle raison et j'ai aperçu un photographe qui ne me quittait pas des yeux. Il prenait des photos d'une petite fillette avec son petit frère tout en détournant le regard afin de ne pas me perdre de vue.


J'avais peur car je n'aimais pas les inconnus et encore moins que l'on me fixe de cette façon, c'est alors qu'il m'a fait comprendre qu'il fallait que je vienne.


J'ai donc lâché la main de ma maman, je l'ai regardée et je lui ai dis "Maman, le monsieur, là-bas, qui prend des photos, il me demande de venir" elle a regardé l'homme en question, lui a offert un grand sourire, et m'a demandé d'y aller. J'ai obéi.


Le coeur battant, je m'étais installée sur une toute petite chaise en bois et il m'avait mis un petit chapeau de paille sur la tête. Je m'en souviendrais toujours, il m'avait dit "Non pas comme ça, c'est un sourire grenouille"


Mon sourire était tellement crispé, que mes joues se creusaient et devenaient toutes rouges. Je pense qu'il voulait un de ces sourires sincères comme les précédents qu'il avait capturé... 

Mais moi... Je n'y arrivais pas.


Je me suis mise à pleurer en disant que je ne savais pas sourire. Aujourd'hui, j'ai encore cette photo avec un sourire amusé, gêné, et les yeux rouges. J'étais triste et fière. Il m'avait remarqué, moi, ma belle robe et mes cheveux dorés, mais je n'arrivais pas à lui offrir en échange, le sourire qu'il souhaitait...


* Regarde-là donc, au deux coins de sa bouche, aucune tension des muscles. Son visage est glacial et dénué d'expression. Ses yeux, comme deux billes de verre sont figés dans l'espace.

Elle sait rire, mais sans éclat.

Ses rares sourires ne sont qu'un mouvement en coin.

Comme une fissure invisible. On devine sa peine.

Son indigestion. Sa soif de luminosité.

Mais le mal-être bouillonne.  *

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