Sticky Fingers

Christophe Parraud

C’est dans un train de banlieue que Mick a rencontré Keith.

Mick avait un album de Muddy sous le bras.

Un seul disque, une seule pochette, un seul titre peut suffire à sceller un pacte…  et changer la course du monde…

Quand dans la nuit à la recherche de cet ami dont on oublie toujours le vrai nom, c’est toujours cette humeur « Brown Sugar » qui monte en nous comme une sève ardente.

Souvenir insoluble d’une vieille paire de bottes crevées par la route, « Sway » sur les lèvres, une chemise aux broderies usées, serrée à la taille par un foulard rose, à paillettes dorées , le regard voilé par d’étranges lunettes sombres et sales qui ne regardent jamais le soleil… c’est toujours « Wild Horses » qui brule et qui fume comme une cigarette entre les doigts…

Des bracelets de cuir, noués avec les dents, pour l’éternité, une bague, une tête de mort en argent qui raye le vernis des guitares… portée comme un talisman.

J’ai déjà pleuré en pensant à toi,  et toute la nuit crier « Can you hear me knocking »… en silence. Revoir cette fille à la tunique blanche, lui demander encore une fois si elle m’entend frapper toutes les nuits  à sa porte.

Et puis murmurer à son oreille imaginée sous ses longs cheveux blonds : « You gotta move… bitch… I got the blues… »

Et courir, courir, et sauter sur des bancs publics, grimper comme un animal à des réverbères, danser sur les capots de voiture, plonger sa tête dans le grand soleil pour s’écrouler enfin au fond du salon, dans l’infinie brume des fumées collées au plafond, dans un canapé défoncé, les yeux blessés par les reflets de la telecaster, cette guitare ivre et nauséeuse, infiniment belle, endormie entre les bouteilles vides.

Je serais resté toute une vie assis sur des amplis couverts de cendre froide à frapper dans mes mains le son des caisses claires… vautré sur des coussins pourpres brulés de cendres incandescentes… à singer Keith le pirate, playbacker le dandy Mick… à chercher en vain comment asseoir sur mes genoux la beauté, et « Sister Morphine… »

L’odeur acre  des fonds de bière brune, et le vin qui maquille de tons plus sombres les lèvres de cette fille… étrange. « Dead Flowers » en fond.

Retrouver, revoir, toucher cette fille. «  Moonlight Mile »…

Avec un album gardé serré entre ses doigts.

Un seul album des Stones, Sticky Fingers.

Un seul disque, une seule pochette, un seul titre peut suffire à sceller un pacte… et changer le cours de votre vie d’amertume.

  • Un parfum assez spécial que cette chronique fort agréale à lire. Si le début sent la récente lecture de "Life" à plein nez, on ne peut que se retrouver plonger dans les lignes suivantes, happés par les mots et les images comme on peut l'être au fond d'un canapé. Beau texte, plus poéique presque qu'autre chose.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Nmg orig

    Romain Veys

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