Sticky fingers.

catch

Une pochette de Warhol dotée d’une braguette derrière laquelle se devine un sexe en érection, une première chanson au titre évoquant l’addiction à l’héroïne et des riffs de guitare  tranchés au couteau. Si l’adage « Sex, drugs and rock n’ roll » n’est pas un modèle déposé par les Rolling Stones (la phrase est de Ian Dury), aucun autre album que Sticky Fingers ne reflète de manière plus directe la maxime légendaire.
Nous sommes en 1971 : Brian Jones est mort depuis deux ans, le rêve hippie s’est éteint un soir de décembre 1969 dans les bras de Meredith Hunter et Keith Richard ressemble plus à un rescapé d’Auschwitz qu’à un jeune homme de 28 ans qu’il est censé être.

La lumière viendra de 10 titres ravageurs, emprunts d’un Blues étrange joué par des Anglais. Si le Rock français est comme le vin Anglais dixit John Lennon, le Blues de ces Londoniens sonne juste, ceci en grande partie parce qu’un jeune homme timide et falot du nom de Mick Taylor maitrise à merveille l’art de la note bleue et que Mick Jagger, déjà fasciné par la beauté des femmes à peau d’ébène transformait  dans son enfance de Dartford chaque bout de trottoir grisâtre en champ de coton.

Pour coller au mieux à ce décor mythologique, les « Pierres roulantes » enregistrent dans un studio d’Alabama, à Muscle shoals, ville qui après avoir vu naitre le découvreur d’Elvis, Sam Phillips accueillit en son sein et derrière ses potentiomètres des artistes comme Wilson Pickett  ou Percy Sledge.

Il fait moite dans cet album. Le solo de guitare de «Sway» sent la transpiration des bouges perdus, les paroles de « Bitch » et de « Brown sugar » débordent de cyprine, les riffs de Keith Richards suintent, coulent et déclenchent fièvres et sudations. Cette impression d’étuve est appuyée sans cesse par la basse caoutchouteuse de Bill Wyman  et le martèlement  chaloupé de Charlie Watts qui donne à cet album un tempo et un groove pas très net, oscillations naviguant sans cesse entre urgence et lenteur.

Derrière chaque légende ses héros et ses oubliés. Jesus Christ Richard portera la croix des toxicos du monde entier, à tel point qu’il ne pourra pas assurer les prises de Moon light mile. C’est Mick Taylor qui prendra à bras le corps l’écriture -sans en être crédité- et  les guitares de ce chef d’œuvre de mix entre musique planante et blues mystique, sorte de Robert Johnson sous acide.

Depuis, les chevaux sauvages sont lâchés et la langue rouge est devenue un logo protégé par la loi. Les Rolling Stones sont définitivement devenus les Stones et Sticky Fingers la figure de proue du parfait album rock.

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