Les doigts dans la prise
Florent Lassale
Bye bye les Sixties ! Au printemps 1970 les The Rolling Stones, une bande de sales mômes camés notoires géniaux mettent les doigts dans la prise et sortent Sticky Fingers.
Conçu par Andy Warhol, le graphiste halluciné, réputé pour avoir réinventé La Joconde avec des boites de conserve, l'objet s'affiche comme un agent provocateur sans complexes dans une société qui en a encore des tonnes.
Couverture carton de l'époque où le zip n'évoquait pas un fichier compressé mais un accessoire érotique entre les cuisses des garçons et des filles. Quand il sort, la pochettedu disque terrorise les mamans et scandalise les papas. Enfin de la musique pour faire chier ses parents qui découvrent dans la discothèque des kids un entrejambe en blue jean de marque indeterminé (qui ressemble à un Levi's), à la virilité manifeste photographiée comme un portrait par Billy Name, un plan américain orné d'une authentique fermeture éclair en métal que l'on peut actionner comme en vrai.
L'item qui gagne le statut d' objet de pop-art est le réceptacle d'une série de dix chansons inédites des cinq Rolling Stones. Une oeuvre que lon peut classer dans la catégorie enviée des albums concepts, aux côtés du Pet Sounds de Brian Wilson, de Sergent Pepper des Beatles et plus tard du Ziggy Stardust de Bowie. En somme un disque que j'ai vu côtoyer des Van Gogh et des Mondrians aux murs de certaines personnalités, fort peu recommandables au demeurant .
C'est donc une pizza aux oignons micro-sillonée avec les ongles sales et gravée au stylet des écritures du tandem Jaegger/Richards qui vous arrache des larmes avec des titres comme l'increvable Wild Horses ou le languide Moonlight Mile qui ouvrent respectivement les faces A et B de l'Opus
Un diamant sombre et palpitant de dix facettes avec des moments de pure énergie et de jubilation électrique serrés dans la pile de vilains morceaux comme Bitch ou Can you hear me knockin ? Un turbo qui donne envie d'ouvrir sa porte à tous les vents mauvais.
Le cachet des Rolling Stones, c'est leur côté bordélique, toujours un peu guingois, de traviole qui fonce en titubant : ça ressemble à un minotaure dont on ne perçoit au premier abord que la croupe de boeuf. Puis ça file aux étoiles et le truc vous éclabousse sa mayonnaise magique sur le coeur qu'on se déguste avec les mains.
Ensuite, il faut dire que Sticky Fingers sent la poudre au pas propre comme au figuré, on s'y envoie du Brown Sugar et de la Sister Morphine dans les oreilles : plus Sex and Drugs and Rock'n Roll tu meurs d'une overdose de riffs opiomaniaques. La dimension vocale aussi appartient à un autre univers, Mick Jagger revisitant le rock, la soul et la country de sa voix lactée, les choeurs aux approximations miraculeuses de Keith Richards et des potes : Pete Townsend, Billy Nichols.
Le blues est partout enraciné dans le son de ce petit saphir qui se termine par ma chanson favorite You Gotta move et vaut son pesant de Skip James et de Robert Johnson, les deux phares du Misssisipi.
Ambiance moiteur des Guitares Slide ( Ry Cooder) savoureuses comme un jus de canne à sucre, des pianos de Honky-tonk (Jim Dickinson, Ian Stewart, Jack Nitszshe), et puis les drums de Charlie Watts au timbre de clairière dans un bois sombre où l'on s'en irait lutiner joyeusement l'obscur objet de son désir.
Sticky Fingers contient tout une décennie à venir : un oracle concentré dans un album de légende.
Florent Lassale