Sticky Fingers a eu ma peau !

lizzyspleenimaginable

1996, vide-grenier dans une banlieue parisienne « favorisée », où les futurs médecins, avocats, conseillers en gestion de patrimoine ou « consultants » arborent guenilles grunge et pulls en maille orange. Ça fait alors un peu plus d’un an que je cultive mon rêve de Swinging London et cette passion pour les Stones. Depuis que, pour la fête des Pères, j’ai acheté le best-of remasterisé Hot Rocks. Pauvre papa-qui-préfère-les-Beatles, évidemment c’était un prétexte et évidemment j’ai récupéré le CD. Mais revenons-en à nos moutons. J’achète le 45-tours It’s Only Rock N’ Roll pour 20 ou 30 francs sans connaître l’album Sticky Fingers. La pochette ? Le célèbre jean warholien, délesté de la braguette fermeture Éclair du maxi qui a tant fait ragé les disquaires… Quelques crépitements, quelques riffs, un son reconnaissable entre mille – merci Keith, merci Mick Taylor – et l’envie farouche d’être Mick Jagger, de hurler mes tripes et d’en faire sortir cette magie brute et sensuelle, époustouflante. Très belle entrée en matière avant la découverte de l’album, exactement trois jours plus tard…

Voilà : mon ghettoblaster Grundig inhale l’année 1971 ; Brown Sugar vrombit, incandescente pépite électrique, crasse et râpeuse, sèche et majestueuse, où le saxo du Texan Bobby Keys injecte une chaleur pure et dure. Sur la photo qui couvre la double page du livret, Mick baille avec la noblesse et la démesure des génies, Charlie a les cheveux longs et le sourire confiant des seventies triomphantes, Keith arbore l’un de ses pantalons démentiels et moulants à outrance, piqués à sa girlfriend Anita Pallenberg… La boîte à musique s’affole, le ton monte. Sway, Wild Horses, You Gotta Move, Dead Flowers Entre ballades classieuses, blues lancinants pétris de mélancolie et vrai rock’ n’ roll survitaminé, entre délicatesse de tragédie et rage acérée des bas-fonds, l’âme des Stones s’immisce à jamais en moi, percute mes os et ma peau… Tout se mêle : la country, les bluesmen, la pop culture, Chuck Berry, l’Amérique et la Perfide Albion. Et quelle étrange mélopée fantastique que ce Sister Morphine, lent, doucereux, sorti des cavernes extatiques et dangereuses des paradis artificiels et d’abord écrit pour (et avec) la délicate égérie Marianne Faithfull. Quant à Moonlight Mile, ce n’est rien moins qu’une apothéose sublimissime et orientalisante, planant au-delà des souks de Tanger et des fumoirs indochinois. Presque six minutes de claviers et de cordes tout en retenue et explosion, dont Keith dira, dans son autobiographie Life[1], qu’il s’agit de « Mick de A à Z ».

Des heures et des heures à écouter cette perle en boucle, petite sœur du glorieux Beggars Banquet (mon préféré) et annonciatrice du somptueux Exile On Main Street, indépassable au Panthéon du fan. Sticky Fingers ? Une bande-son très personnelle qui me colle encore au corps et au cœur, l’illusion parfaite que la rage adolescente n’a pas de fin… I know, it’s only rock n’ roll, but I like it, like it, yes I do…

[1] Keith Richards et James Fox, Life, Robert Laffont, 2010, p. 332

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