Suicide Facebook
pianitza
Mes "amis",
Je vous laisse ces dernières paroles sur une page blanche et décédée. J’ai pris la route des bois. Derrière des feuilles vertes et crochues, vous trouverez ma carcasse inanimée. Il y aura sans doute sur mon visage cette expression de soulagement, une aisance qui vous est étrangère. C’est peut-être la poésie de la mort. Du réconfort. De vous avoir enfin quittés.
Vous m’avez dit assez tôt : « Viens nous rejoindre sur Facebook », « C’est fun ». Ce que, du fond de mon innocence, j’ai fait.
Il n’y eut dès lors dans ma chambre qu’une lumière d’écran pour l'éclairer. Celle de l’extérieur restait bloquée entre mes volets. Des heures durant, je sautillais contre vos élucubrations, je donnais plaisir à vos statuts. J’ai fait cet effort sans jamais n’y trouver aucune satisfaction. Personne n’allait jouer dehors, alors je vous suivais… Je demeurais à vos côtés sur cette fausse terre qui vous fascinait tant. Je ne vous connaissais que de vos photos, en surface. Et j'essayais d'aimer cela. De vous le faire savoir... Des pouces en volée pour une enfance repliée sur elle-même. Et vous, toujours, cela vous faisait sourire. Vous travailliez votre belle vitrine, vous la manipuliez avec soins. Il fallait que tout le monde sache que vous aviez du goût. Que vous aussi, vous aviez des passions.
J’ai suivi cette grande marche pour éviter qu’on me persécute dans les couloirs du collège. Eviter vos revers de la main qui me blâmaient. Vous ne jugiez que par la distance des écrans, du cartilage bleu. Cette mode. De packagings. De vidéos Youtube. De Mac Donald's. De Coca-Cola. Vous respiriez. Et prétendiez. Que vous marchiez à contre-courant.
Mais sous ces mots, vous demeuriez assis. Toujours.
Je ne vous hais pas. Continuez votre vie, aimez ce bleu qui est vôtre, cette critique de vous-même. Profitez-en. Oui, profitez de cette courte vie qui s'efface entre les lignes, de ce siècle qui bientôt s’éteindra. L’univers est né il y a des milliards d’années - Mais il ne s'est rien passé, avant. Rien. Vous, du haut de vos courtes années bleutées, on vous voit. On vous voit très bien. A travers l’univers, tous ces siècles qui ont précédé le votre, on vous voit. Alors, profitez ! Partagez ! Likez ! Ajoutez ! Spokez !
C'est votre vie, non ?
Vous direz à mes parents que je suis dans les bois. Derrière des feuilles vertes et crochues. Ils trouveront ma carcasse inanimée. S’il vous demande pourquoi, vous leur parlerez d’immobilité. Vous direz que c’est à cause d’elle. Ils la connaissent bien eux aussi.
C'est d'une triste vérité que je tenterais de partager sans un terrible désabusement. Cependant, pour reprendre le commentaire d'en-dessous, ma carcasse n'est pas devenue inanimée quand j'ai lâché la bête bleue, au contraire. On vit plus dans le monde réel, d'un coup, ça a un côté vivifiant, je trouve. J'ai toujours un peu mal aux yeux quand je vois des gens qui y jettent un oeil alors qu'on est ensemble, mais je me dis que malgré tout, on est ensemble, et que c'est déjà ça de pris.
· Il y a environ 11 ans ·Pour revenir au texte en lui-même, je le trouve particulièrement percutant, que ce soit dans l'idée exprimée, dans le choix des mots, des tournures. Toutes mes falicitations.
Bonne soirée, merci.
Oscar Arensberg
Merci pour ton retour Oscar. :)
· Il y a environ 11 ans ·pianitza
Bonne désintox. Et il me semble qu'au contraire, loin de l'écran la carcasse s'anime, te dis-je bien assise ...
· Il y a environ 11 ans ·Juste que tu m'inquiètes un peu.
Sur le texte une lucidité désabusée, joliment exprimée.
hel
Heureusement que la carcasse s'anime encore, oui. J'aurais peut-être du préciser dans le texte que je m'étais mis à la place d'un gosse de 13 ans - En fait je vais le rajouter - qui n'a connu que le monde Facebook. Désespéré par le superflu de ce monde, il décide de mettre fin à ces jours.
· Il y a environ 11 ans ·Je te réponds également assis... :)
Merci pour ton comm' !
pianitza