Survivre.

Christophe Hulé

On s'en sort plus ou moins, ça dépend du cheptel et de l'emploi du temps des tueurs. Dans la masse on se dit qu'on aura peut-être une chance. Faut regarder droit devant, et surtout pas derrière. Les tueurs sont un peu brouillons et pas vraiment motivés, ça rassure qu'à moitié, mais ça rassure quand même.

Et comment en est-on arrivé là, à courir en zigzag comme des lapins ? C'est une bien longue histoire, je suis bien trop essoufflé et j'ai bien trop peur pour la raconter.

Enfin ces fourbes nous avaient promis le paradis sur terre.

On a gobé toutes les promesses et accordé tous les pouvoirs. Bref, on a pas vraiment assuré. On est devenu l'ennemi qu'on croyait chasser. 

Si je n'avais pas peur de mourir, je dirais qu'on a bien mérité notre sort.

Voilà où mène l'intolérance, si j'avais su comme on dit !

Putain c'est l'hécatombe et ça siffle de partout.

On essaie même plus de savoir où est la famille, où sont les amis.

Il paraît qu'il y a un Dieu quelque part, qu'est-ce qu'il attend pour déclencher la foudre, une tempête de sable, un brouillard, ou que sais-je encore. Encore des conneries, on a vraiment pas volé notre destin.

Aimez-vous les uns les autres, tendez la main à votre prochain, ou la joue gauche, putain !

Ma femme et mes enfants doivent être quelque part, devant ou derrière.

Autant s'arrêter et en finir, à quoi bon courir ? 

On se dirige tout droit vers la crevasse, ils doivent le savoir derrière, c'est pour ça qu'ils prennent tout leur temps. Tout le  monde dans le vide, ça économisera les munitions. Faut pas compter sur la cavalerie, y en a pas !

Bordel, celle-là est passée pas loin. Des fois je me dis que je serai le seul à courir encore, avant le grand saut.

Je me remémore des instants heureux, je sais, c'est pas l' moment, de toute façon ça risque pas de durer longtemps.

Ils nous ont bien couillonné avec leur religion.

En attendant, je n'en peux plus de courir, j'attends le coup fatal, ce s'rait p't'être pas plus mal en fait. Le noir complet, ni bonheur, ni espoir, ni souffrance. Enfin j'dis ça, mais j'en ai pas vraiment envie, y a un tas de choses que j'aimerais encore faire, même si ça changera pas le monde, et que le monde s'en fout de toute façon.

Bon, on y vient au précipice ? A ce rythme, y aura pas beaucoup de plongeurs. On se retrouvera peut-être en aval pour se refaire. Y aurat t'il ma femme et mes chéris ? On peut toujours rêver, surtout en plein cauchemar.

On approche enfin du gouffre, combien sommes-nous, je ne saurais le dire.

Pas de tempête, pas de brouillard ou autres.

Bon, je ferme les yeux et je saute.

L'eau est glacée, je vais y passer c'est sûr.

Tout est noir et je vais caresser les profondeurs.

Je demande pardon à ma femme et à mes chérubins, mais suis-je à blâmer ?

Bon, voilà que je remonte, je suis une vraie chochotte.

Le courant m'entraîne au loin, la journée est loin d'être finie.

Je me cogne aux rochers, le sang se mêle à l'eau. Autant se laisser porter.

Plus de courant infernal, je nage dans une eau limpide. Il me prend l'envie de  regagner le plancher des vaches.

Je m'étends dans l'herbe en plein soleil, mais l'euphorie est courte, que sont-ils devenus ?

Je ne sais pas trop où je suis, ni où ils sont.

Papa !!!

J'entends mon fils, suis-je mort ?

Mon chéri, on est là !

Mon Dieu, pardonne-moi, j'ai été injuste !

On craint rien ici et on est bien mieux que là-haut.

Ma chérie, mes chéris, pardonnez-moi.

Et de quoi mon mari, tu n'y est pour rien.

Si tu savais comme je t'aime !

Rassure-moi, tu vas pas devenir pot de colle.

Je deviendrai ce que tu veux mon amour. Et vous mes trésors, venez m'embrasser.

Papa, c'est obligé ?

Demain on descend à des centaines de kilomètres, on prendra le temps qu'il faut, le paradis nous attend.

OK mon chéri, on te suit, en attendant tu vas dormir longtemps car tu en as besoin.

Oui ma colombe, je suis à tes ordres.

Ben, au moins, ça aura permis du progrès.

Tu l'as dit et ce n'est que le début !

Papa on a faim !

Alors préparez le feu mes trésors, je m'occupe du reste ! 

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