Ted et Lily

fabilo

Concours - Meurtre mystérieux à Manhattan

Ce matin comme tous les autres matins, le jour se lève sur Ted blotti dans les bras de Lily. C’est le moment qu’il préfère, quand la torpeur de la nuit la tient encore contre lui, abandonnée et vulnérable. C’est aussi son endroit préféré, la niche de ses bras, la douceur de sa peau, la chaleur dans le creux du cou. Il pourrait passer l’éternité ainsi. Le monde dans les bras de Lily alors que Manhattan se réveille et s’agite une dizaine d’étages plus bas.
Il lui semble que sa vie a réellement commencé lorsqu’elle l’a serré contre elle pour la première fois. Avant leur rencontre, il n’avait connu pour seules étreintes que ces effleurements rapides et impersonnels qui laissent vide et assoiffé. Il lui avait fallu quitter son Sud natal avec ses frères et gagner New York pour entrevoir d’autres possibles. Le gris monotone de la ville industrielle où il avait vu le jour avait laissé place aux lumières euphorisantes de la Grande Pomme. Très vite, il avait trouvé une place dans un grand magasin et peu de temps après Lily avait fait son apparition.
On les avait présentés le soir de son anniversaire. L’alchimie avait été immédiate. Elle ne l’avait pas quitté de toute la soirée, n’avait eu yeux que pour lui et la nuit venue, dans l’obscurité de sa chambre, lui avait murmuré à l’oreille « je n’attendais que toi ».
Depuis il y avait eu des hauts et des bas mais en dépit des années qui s’étaient écoulées, elle continuait de s’endormir à ses côtés chaque soir. Ted savait qu’il n’était pas le seul dans sa vie, Lily ne s’en cachait pas, et il s’était fait à l’idée de la voir avec d’autres dont le principal atout résidait dans l’attrait de la nouveauté. Néanmoins, dans les coups durs, c’était toujours vers lui qu’elle revenait.

Ce matin comme tous les autres matins, Lily se lève et laisse Ted au lit face à l’immense fenêtre qui donne sur le sud de l’île. C’est un beau jour ensoleillé que rien ne semble pouvoir venir troubler. Ted est enfoui sous la couette, Lily va et vient dans l’appartement, et la mélodie habituelle des bruits du matin emplit l’espace. L’eau s’écoule dans l’évier, la porte du frigo claque, la voix familière de la présentatrice du journal télévisé retentit. Puis les choses prennent une tournure étrange, bruit de verre brisé sur le carrelage, pas précipités dans le couloir. Brutalement, Lily tire Ted hors du lit et l’agrippe de toutes ses forces. A travers la fenêtre, l’horizon en feu. Le ciel bleu, encore parfaitement paisible quelques minutes plus tôt, est maintenant balafré par le spectacle terrifiant des jumelles enfumées.
Lily ne cesse d’invoquer le nom de dieu encore et encore, si bien que les mots finissent par se confondre et ne plus vouloir rien dire. Oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu, ohmondieu ohmondieu ohmondieuohmondieuohmondieu. A mesure qu’elle s’oublie dans l’horreur, son étreinte n’est plus du tout agréable. Elle s’agrippe et tire tout à la fois sur les bras de Ted, sur ses jambes, sur son dos, si bien qu’elle l’étouffe et l’écartèle en même temps. Ses poings l’enserrent à en devenir rouge sang, ses ongles s’enfoncent profondément dans ses membres déjà inertes. Aucune partie de son corps n’est épargnée. Sous le fracas de la première tour qui s’effondre, le craquement des coutures est presque inaudible.

Ce soir n’est pas un soir comme les autres. Dans la chambre, des moutons de mousse cotonneuse jonchent le sol. Dans le coffre à jouets, les restes du corps démembré de Ted. En les y jetant, la mère de Lily s’est demandé un instant par quel mystère ce bon vieux Teddy avait bien pu finir dans cet état. Mais un jour comme celui-là Teddy n’est pas la priorité.
Ce soir, pour la première fois, Lily dort seule.

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