Trick or treat !
anton-ar-kamm
- Joyeux Halloween…, murmura le lieutenant Jarvis Doze.
Le corps de l’homme, environ la quarantaine, était ligoté, les mains dans le dos, une cordelette reliant ses poignets à ses chevilles. De profondes ecchymoses couvraient son corps entièrement nu.
Un agent de police s’approcha de lui :
- Il a été battu à mort, commenta-t-il.
L’appartement de la victime ressemblait à une photographie de magazine de décoration où tout semblait parfaitement à sa place.
- Que sait-on de lui ?, demanda Doze à l’agent.
- Thomas Ashton, quarante-deux ans, célibataire, pas d’enfant, directeur d’un centre de loisirs pour gosses sur la 15ème avenue. Voisin plutôt agréable, il vivait ici depuis presque cinq ans.
- Un motif apparent ? Vol ?
- Non. Tout est en ordre. On a trouvé son portefeuille avec de l’argent liquide et les matériels hi-fi et informatique sont intacts.
Doze se gratta la tête. Il regardait les membres de la police scientifique s’affairer autour du corps. La porte d’entrée de l’appartement était grande ouverte et une petite pancarte y était accrochée : « Ici pas de mauvais tours que de bonnes friandises ! ». Il s’approcha de la fenêtre. Le ciel était gris, bas et lourd sur Manhattan en ce 1er novembre. Il se confondait avec l’épais brouillard qui noyait la ville et donnait aux immeubles une allure d’effrayants géants. Il distinguait une école de l’autre côté de la rue. Des ombres d’enfants pullulaient et jouaient dans la cour de récréation.
- Des témoins ? interrogea-t-il.
L’agent secoua la tête négativement.
- Dans le voisinage, personne n’a rien vu. La victime a été aperçue hier soir. Toute la soirée, des enfants faisaient le tour des appartements pour récolter des bonbons. Certains ont peut-être vu quelque chose. C’était Halloween, ils étaient tous déguisés… alors pour les identifier…
- Nous voilà bien embarqués, lâcha Doze.
Un officier de la police scientifique vint lui annoncer, qu’aux premiers relevés, aucune empreinte n’avait été détectée et qu’il n’y avait pas de signe d’effraction.
Jarvis soupira.
Soudain, un autre agent en uniforme le héla depuis la chambre à coucher :
- Lieutenant, venez-voir ce que nous avons trouvé !
Il s’approcha et on lui tendit une boîte à chaussure remplie de photographies.
Sa poitrine se serra.
La boîte débordait de clichés qui, au premier coup d’œil, ressemblaient à de vieux souvenirs de vacances en famille. Mais alors qu’il faisait défiler les photos, au fur et à mesure que les enfants se dénudaient, la réalité lui sauta aux yeux.
- Le salopard… jura l’agent entre ses dents, Un putain de pédophile.
L’esprit du lieutenant s’activa.
- Placez tout sous scellé, fouillez l’ordinateur, faites le tour des voisins, des collègues, des amis… Ce serait dingue que personne ne sache rien.
- En tout cas, il a eu ce qu’il méritait, jugea l’agent.
Doze sortit de la chambre à coucher au moment où l’on embarquait le corps dans un grand sac de cuir. Il suivit les équipes jusqu’en bas de l’immeuble.
La brume poisseuse endimanchait les arbres de la 5ème avenue que l’automne avait déshabillés. Les badauds allaient et venaient, aveugles du drame qui s’était noué à quelques mètres de là. Au loin, la sirène stridente des pompiers retentit.
Dansant dans le brouillard, quelques enfants jouaient encore dans la cour de l’école, de l’autre côté de la rue. Sur un mur, une affiche annonçait une soirée spéciale Halloween dans un pub voisin.
- La nuit des masques…, pensa-t-il, en voilà un qui vient de tomber.
Jarvis Doze s’approcha de sa voiture de service banalisée pour rentrer au commissariat y rédiger son rapport. Ce qu’il pensa être un prospectus publicitaire gisait, accroché à l’essuie-glace du pare-brise.
A y regarder de plus près, il s’agissait d’une feuille, arraché d’un cahier d’écolier, pliée en deux à la va-vite. Une fine écriture, fragile et arrondie, s’étalait au feutre noir de manière disproportionnée sur le papier. Une écriture d’enfant.
« Les grands n’ont rien fait. Nous nous sommes défendus. », y-était-il écrit.
La brume pénétra soudainement sous l’imperméable du lieutenant et lui glaça les os. Il leva le nez vers l’école.
Les silhouettes d’une dizaine d’enfants s’étaient agglutinées derrière le grillage, tels des spectres errants et affamés, à l’affût d’une bonne âme à emporter. Doze ne discernait ni leurs traits ni leurs corps, ils étaient sans visage, anonymes. Leurs globes oculaires paraissaient le scruter, le disséquer, en attente de réactions amicales ou hostiles.
Doze hésita. Il voulut traverser la rue mais se ravisa. Il chiffonna le papier, puis le jeta dans le caniveau. Aussitôt, les ombres enfantines s’évaporèrent une à une dans le brouillard. Un dernier spectre-môme lui fit un signe de la main, avant de disparaître à son tour. Il le prit pour un remerciement.
Un agent s’approcha.
- Tout va bien, lieutenant ?
Doze sursauta.
- Les fantômes d’Halloween ont frappé, répondit-il simplement.
- Pardon ?
- Laissez tomber…
Le lieutenant Jarvis Doze monta dans sa voiture. Il classerait l’affaire sans suite. Toutefois, un étrange malaise l’habitait, un signal d’alerte, une urgence, qui se changea vite en une sourde inquiétude. Qu’adviendrait-il de ce monde si désormais les agneaux se changeaient en loups, et que leurs bergers continuaient à ne pas regarder plus loin que le bout de leur nez ?
Il alluma le contact et s’engagea dans la circulation.
C'est vrai qu'il est chouette ce texte.
· Il y a plus de 10 ans ·lyselotte
pareil qu'Octobell, tres bon texte superbement mene. on plonge dans ton histoire et un frisson vient nous caresser l'echine. bravo cdc pour moi aussi
· Il y a environ 11 ans ·christinej
Attends, attends...
· Il y a environ 11 ans ·Ils sont où les commentaires, là ? Elles sont où les notes ? J'ai lu 3, 4 participations pour le concours, et clairement, celle-ci est ma préférée ! Pouah mais y'a tout ! L'écriture est magistrale, le décor est admirablement planté, et que dire du pourquoi du comment. Franchement, c'est énormissime ! Un gros gros bravo, j'étais totalement plongée dedans ! Ca mérite d'être vu, ça, et j'aurais bien partagé à tous mes amis, mais leur nouveau système de partage est trop pourri... alors j'me contenterai d'un CDC, pour ce que ça vaut.
Mais bref, un grand grand moment de lecture, je suis fan !
Brrrr j'en frissonne encore !
octobell
Merci beaucoup pour vos compliments, cela fait chaud au coeur. Cela donne l'envie de persévérer. Pour octobell : j'aime aussi beaucoup votre travail.
· Il y a environ 11 ans ·anton-ar-kamm