Temps gris, temps pluie, les jolies choses de la vie

ysee-louise

Temps-gris, temps-pluie : les jolies choses de la vie

Je n’ai jamais aimé ces temps gris et humides

Portés par les nuages et un soleil timide.

Cette lumière blafarde qui terni notre esprit,

Notre humeur anthracite, trop prompte mélancolie.

J’aime les froids glacés, sous leur immense ciel bleu,

Vivifiant, exaltant, soleil froid lumineux.

Ils appellent à nous les souvenirs d’enfance,

Bonnet, chocolat chaud, douces réminiscences…

8H35, grisaille. J’étais de méchante humeur, humeur grège, humeur pluvieuse. J’avais froid. Toute cette humidité me transperçait la peau, me transperçait les os. Emmitouflée dans ma doudoune, je me protégeais un peu le corps et l’âme. Mais ainsi je me sentais doudounée-pas-jolie. Temps gris, temps de pluie. L’eau glacée du ciel dans mes cheveux. Les flaques d’eau devant l’école. Les enfants dans leur classe. L’école de briques rouges au milieu du parc. Les chemins détrempés entre les pelouses marécageuses. De la gadoue sous les bottines, les jolies feuilles d’automne réduites à un tapis glissant et gluant en décomposition annoncée, marron-gris-sale de boue. La tristesse et la désolation en arrivant à la maison, la tristesse et la désolation par la fenêtre de ma maison : mon arbre tout nu, mon arbre si triste, dont Pierre avait coupé toutes les branches d’un coup, comme ça, en une matinée. Plus rien, plus de feuillage-feu, plus de fines branches élancées vers le ciel, plus de refuge pour les oiseaux, plus de plumages rouge ou bleu sur le bois, plus de bruissement, plus d’ondes végétales par grand vent. Temps gris, temps de pluie, l’eau du ciel, bien triste aussi.

11h30, bouillasse. Retour au parc du matin, traversée bourbeuse et glissante, sourires forcés des gens croisés frigorifiés, bruit oppressant des machines soufflantes, recherche vaine de la lumière du ciel. Et puis, temps gris, temps de pluie,  la magie de la vie. Traversée du parc dans l’autre sens : étincelle, petit frisson de vie, boule de chaleur,  les petites mains de mes enfants dans mes grandes mains de maman. Un de chaque côté, bien amarrés, collés, serrés. Fulgurance, cette vibration douce qui habite chacune de mes mains, leurs petites pognes chaudes, deux brioches tout juste sorties du four. C’est chaud, c’est doux, ça monte, le long des bras, le long des épaules, dans tout le dos, dans tout le corps, dans tout le cœur. Et puis aussi, des petites saccades joyeuses, petits rires-grelots en cascade, un gros cadeau de joie qui remonte, leurs babillages, des invitations pour faire la fête dimanche chez les copines, du plaisir en perspective, du petit bonheur déjà, ici, maintenant.

Voiture garée devant la maison, tiens, tout est déjà moins gris. En fait, le gris n’est pas monochrome. Ce ciel cotonneux dessine une multitude de formes.

- Oh, regarde, tous ces oiseaux maman ! 

Roudoudou ouvre la portière arrière, nez au vent pointé vers le ciel. Une ribambelle de plumes et de petits becs fins décore les fils électriques en suspension au dessus de mon arbre. Je le regarde. Il  semble moins triste lui aussi. Lui dont je ne regardais jamais que les feuilles et les mouvements des branches, j’en apprécie maintenant le tronc. Toutes ces sinuosités, ces reliefs, cette rugosité, ces infinies nuances de brun. Et puis du vert aussi. Oh, mais quel plaisir de vous rencontrer mademoiselle la mousse… nous n’avions pas été présentées ! Comme vous êtes délicate, douce, gaie et jolie au milieu de cette mer de brun rugueux. Quelle découverte ! Mon ami du devant de la maison me révèle encore des merveilles ignorées. Mon regard glisse vers ses racines, s’attarde sur les monticules façonnés à grand peine dimanche après-midi : branches moyennes, branches fines, petites branches, grandes branches, grosses branches, bois ancien, bois vert…J’avais le nez dedans. Je ne m’étais pas rendue compte combien c’était joli ces amoncellements de bois, marron, gris, auburn, acajou, pourpre, prune.

Non, ce ne sont pas simplement des petits tas de bois. Sous mes yeux, ils deviennent source, ressource, matière, le début de quelque-chose. Oui, ce n’est plus triste du tout, je vais en faire de la gaité. Grâce à toi, mon arbre qui n’est plus si beau, je vais redonner vie à ce bout de terre devant chez moi que je n’habitais pas, qui n’était pas encore moi. Avec les branches les plus longues, je cacherai un peu cet horrible grillage, clôture sans charme de mon petit jardin. Les brindilles pourpres protégeront et égailleront le pied de l’arbuste, là, au fond. Vous les rameaux bruns, je vous érigerai en remparts, refuge de l’arum tant malmené par la coupe sauvage de Pierre et son avalanche de branches en bataille. Et toi, grand arbre, pour que ta ramure ne me manque pas trop, je la reconstituerai dans ma maison,  bouquet de branches anarchique et dansant.

12h30, diamantine. Pluie, pluie, tu es jolie aussi. Pourquoi ais-je tant pesté contre toi aujourd’hui ? Parce que tu me donnais froid. Parce que tu faisais par trop écho à la pluie de mon esprit. Mais je décide dans l’instant que tu n’es plus vilaine. Ou non, plutôt, je le vois, par la fenêtre, là, sur le petit tas de bois : une gouttelette translucide, qui ne se décide pas à quitter son rameau, toute rassurée par la présence de ses jumelles à coté d’elle. Le voilà le collier de perles des fées ! J’ai couru dehors, mon appareil photo bon marché à la main.

- Je reviens tout de suite les enfants, je sors cinq minutes dans le jardin et je reviens ! 

Me voici partie à la chasse aux gouttes, à l’affut, traquées, débusquées. Mais, coquines, vous ne vous êtes pas laissé faire si facilement ! L’automatisme électronique a déclaré forfait devant la beauté cristalline. Du flou et du reflou… limite de la technique….C’est ainsi, c’est la vie ! Et la vie reprend des couleurs grâce à vous. Temps gris, temps de pluie, temps joli…l’eau du ciel belle aussi. La beauté est dans le regard, pas dehors, pas à l’extérieur.

13h20, pétillant. Retour au parc. Troisième fois aujourd’hui, avant la quatrième du gouter et du cours de musique de 17h00. C’est vrai, regarder s’apprend. Le plaisir de la sensation n’est pas la sensation elle-même mais bien son entendement, son devenir. La petite main douce et chaude de ma fille, de ma vie, dans ma grande main de maman, je traverse de nouveau l’étendue végétale. Un sourire vraiment gai, et léger aussi, s’obstine sur mes lèvres, allume mes yeux, réveille mes joues, allège ma tête trop lourde de cette nuit-insomnie. Le ciel gris, ça ne se regarde pas vers le haut, ça se regarde vers le bas ! Ça se regarde dans les gouttes irisées égarées ça et là, ça se regarde dans le tapis feu des feuilles tombées au milieu des pelouses non souillées, ça se regarde sur le visage des enfants qu’on croise et qui nous saluent  gaiement, leur grand sourire et leur petit nez de clown plantés au milieu de leur trogne rougie par les intempéries. Devant la porte de l’école, un grand garçon de neuf ans me saute dessus, claironne mon prénom et me colle un joyeux baiser bruyant sur la joue. Détonateur de félicité. Il retourne ensuite précipitamment sur ses pas. Qui franchi les limites peintes en blanc sur le sol s’expose au courroux de la maîtresse de service ! Il attend ma fille pour l’accompagner dans la traversée périlleuse de la cour de récréation. Une vraie gentillesse. Du vrai bonheur.

Traversée du parc dans l’autre sens, je me sens légère sur mes hauts talons gris. Je me suis mesurée hier. Quelqu’un m’a encore dit qu’il me trouvait particulièrement petite, 1m60 : pas possible. Il était affirmatif. J’ai voulu en avoir le cœur net. Parguene, il disait vrai le bougre ! 1m58 ! Alors d’accord, c’est petit. Ma libellule aussi. A la sortie de l’école un soir,  nimbée de fierté, elle s’en était venue m’annoncer cette nouvelle extraordinaire : séance de mesure ce jour en mathématiques, plus petite de sa classe, à égalité avec une de ses camarades, donc, potentiellement, la plus petite de l’école ! Elle rayonnait, illuminée par cette nouvelle. Alors moi aussi, il n’y a pas de raison, je suis ravie. Je suis une petite fée fragile, mais avec mes bottines de sept lieues, je me sens tout à fait forte, et tout à fait bien. Et puisque je suis tout à fait bien ainsi, j’ai décidé de chasser la pluie de ma tête : FINI LE TEMPS GRIS !

Oui, tout est question de regard…Si je n’aime pas, ces temps humides et gris, je leur suis toutefois reconnaissante de ces odeurs qui me cueillent ravie, les sous-bois odorants, leur automne éphémère. Le soleil s’invente, le soleil se crée. Bougies fauves allumées, thé orange cannelle fumant, grand tricot informe et doux, voix chaude de Sade dans la mini-chaine, fauteuil tiré devant le feu, main tendre sur la nuque. Le soleil se cultive, au dedans, là où sont gardées secrètement toutes les jolies choses, les trésors, les pensées cristallines et les souvenirs souriants.

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