Terminus

Beneset

Terminus

 

Une douleur insoutenable au coeur me prend ce matin là quand, comme tous les autres, je sors de chez moi tôt. Il est six heures et quart. Je descend ma rue pour me retrouver dans les  interminables couloirs du métro parisien. Quelques rares personnes marchent vers un embarcadère. Des travailleurs du matin en tous genres. Je débouche sur un quai. Certains bavardent, d’autres patientent seuls, lisant, écoutant de la musique ou rêvant. On me salue. Un jeune type mal rasé me demande une cigarette. J’en sors une de mon paquet et la lui tends. Il me remercie et, dans une quinte de toux, rejoint un ami à lui. L’ambiance est chaleureuse. De nulle part surgissent les douces mélodies d’un violon ou d’une guitare, œuvres de musiciens anonymes. Peu à peu, au fil des minutes, les gens arrivent en masses. Tous se croisent, s’interrogent du regard, se bousculent et s’excusent. Certains ne s’excusent pas. Plus loin, sur des sièges, une vieille femme s’éveille. L’ambiance accueillante de toute à l’heure disparaît peu à peu. La foule s’accroît. Les gens sont pressés, malpolis. Certains portent les stigmates d’un sommeil trop présent. D’autres affichent un air joyeux. Un jeune couple homosexuel est pris en dégoût par une majeure partie de l’assistance dés qu’ils arrivent. Moi, j’observe les gens. Je les scrute. Je tente de savoir, d’après leurs styles vestimentaires, leurs visages, quelle est leur profession. Mon oeil s’accroche et mon esprit s’envole, dans un lointain. Une vague rumeur s’élève de l’un des tunnels ; un métro arrive. Il est d’un blanc cassé. Ses portes s’ouvrent dans un bruit strident. Les masses se précipitent, à l’assaut de rares places assises. Moi, je me dirige d’un pas lent vers un second wagon, visiblement vide. Il l’est. A l’exception d’une jeune fille. Elle est belle. Ses cheveux noirs comme l’ébène et ses vêtements, pareillement sombres, soulignent une froide pâleur. Elle est belle. Je ne peux détourner mon regard de ce corps si pur et si beau. C’est l’un de mes vices. Bien qu’étant âgé j’aime encore et d’autant plus les formes des jeunes adolescentes. A défaut de ne pouvoir faire autre chose je les dévore des yeux. Je les croque sur mon carnet à dessin et les contemple le soir avant de me coucher. Je trouve mes modèles principalement sur les lignes de métro et, occasionnellement, dans des cafés perdus au milieu de quelque rue piétonne. Muni de mon seul crayon et de mes yeux je les déshabille, les scrute dans les moindres détails. Je n’ai que faire de leurs regards outrés, regards de lionnes en furie. Au contraire, ils m’excitent. Elle, ne me voit pas. Elle dort. Je ne peux résister à une pulsion sauvage et m’assieds à ses cotés. La jeune femme ne se réveille pas. Je l’admire. Mais je n’arrive pas à la dessiner. Alors, frustré et ne pouvant m’empêcher d’aller plus loin je fais tomber ma mine par terre et dois me pencher pour le ramasser. Elle est en mini jupe. Ma main heurte sa cuisse. Je dois m’arrêter, reprendre mon crayon. Je m’y efforce. Je ne suis pas un pédophile, un violeur non plus mais je ne parviens pas à en saisir les courbes et pourtant elle se tient là, contre moi. Mes mains frémissent, bouillonnantes d’envie. Dans un virage sa tête, dans son sommeil, tombe sur mon épaule. Un frisson de plaisir me parcourt, me chatouillant. Alors, conscient de ce que je fais, je lui soulève une mèche de cheveux et lui caresse doucement les joues. Un sourire semble se dessiner sur son adorable minois. Je pose ma seconde main sur sa cuisse nue. C’est à présent une réelle expression de contentement qu’exprime tout son corps. D’un regard victorieux je balaie le wagon. Et c’est là que je vois. Des taches sombres, semblables à du sang. Elles sont partout. Certaines sont fraîches. Et alors une main froide me touche l’épaule. Celle de ma voisine. A présent son visage n’exprime plus la joie mais une colère froide, une expression triomphante aussi. Elle semble m’indiquer quelque chose. Je me lève, prêt à m’enfuir. C’est une mauvaise idée ; une multitude de corps nus  me font barrage. Ce sont toutes mes victimes, celles dont j’ai épinglé le dessin au mur de mon appartement. Celles aussi que j’ai connues et qui m’ont aimées. Leurs visages sont flous mais assez nets pour que je puisse reconnaître sur l’un d’eux le portrait de ma mère, première proie de mes dessins. Elles sont toutes là, pour moi. Je dois rêver. Je crie et me retourne vers ma voisine. Ses yeux sont injectés de sang. Ils sont rouges. Elle ouvre la bouche, dévoilant deux canines jaunâtres encore maculées d’un sang frais.  Elle s’approche de moi. Je recule. Elle avance. Je cède du terrain. Je finis acculé à l’extrémité du compartiment. C’est la première fois de ma vie qu’une femme a le dessus sur moi. Dans une effroyable lenteur elle se penche vers moi et me susurre à l’oreille un reproche qui pour moi résonne comme un cri ; mauvais garçon. Ce mot est repris par toutes qui, en chœur, me le lancent tels des poignards. Elles rient à gorge déployée. Le vacarme est assourdissant. Une ultime fois je contemple leurs corps de déesses. Et puis elles disparaissent, se décomposant en un tas de chair, d’os et de sang. Une odeur de moisi apparaît alors. Seule demeure cette jeune beauté. Je veux me relever mais elle m’en empêche. Sa force est surhumaine. C’est celle d’une vengeance sourde qui se délivre enfin. Elle reste un moment à me dévisager comme j’en ai dévisagées tant d’autres mais son regard est chargé d’une haine qui ne connaît de limites. Il me fait mal. Après ce long silence elle m’attrape à la gorge et commence à serrer. L’air a du mal à pénétrer dans mes poumons. Je la supplie. Elle s’arrête, relâche son étreinte puis, inexorablement, resserre. Son visage rayonne de joie. Ses doigts eux, sont devenus serres. Je crois sentir des griffes. C’est en fait mon sang qui, dans une douloureuse lenteur, s’écoule hors de ma gorge. Je commence à délirer. De la réalité ne reste que la douleur. Elle joue avec moi. Me faisant haleter, suer. Et puis, lasse de ce petit jeu macabre elle serre une ultime fois. J’entends ma nuque craquer. Plus rien. C’est fini. Une douleur insoute...

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