Terre heurt

Perrine Piat

(Concours « 1000 occasions d’avoir peur)

Pour la première fois depuis longtemps je crains pour ma vie et celle de mes enfants.

J'en ai vu de toutes les couleurs des peurs. Celles qui vous rendent tout pâle devant un accident, vert de trouille face à un serpent dégoutant, rouge d'effroi en découvrant une vérité insoupçonnée, bleu de stupéfaction quand les poumons oublient de se gonfler. 

J'en ai connu de toutes les formes aussi, de tous les goûts, de tous les sons. Que de mots pour une émotion ! Certains ont les chocottes, d'autres les foies ou encore les jetons. L'angoisse cause des sueurs froides, la frousse donne la chair de poule, la terreur fait froid dans le dos, la panique dresse les cheveux sur la tête. C'est une manifestation palpable la peur, physiquemême, alors qu'elle vient des tréfonds de l'inconscient. En fait avoir peur, c'est être vivant. 

Vous venez au monde en pleurant, que ce doit être effrayant de quitter le cocon maternel pour sauter dans le grand bain universel puis, en évoluant chaque être humain est confronté à la peur au quotidien. Vous craignez vos premiers jours en maternelle, avoir de mauvaises notes ou tomber à la marelle. Vous piquez une suée à l'entrée en sixième, redoutez le spectacle de fin d'année et vous vous dégonflez au moment de donner votre premier baiser. Vous tremblez avant les résultats du baccalauréat, au décollage de l'avion ou en descendant d'un manège à sensations. Vous appréhendez un entretien d'embauche, une demande en mariage, la naissance de votrepremier enfant. Vous avez le trac, le vertige, des phobies, des aversions et vous côtoyez ceux qui aiment se mettre en danger, se donner le frisson. Vous sautez sur votre siège devant l'horreur d'un film ou en lisant les lignes de Stephen King, vous sursautez sous un orage ou hurlez quand le parachute n'est pas encore ouvert et qu'il faut traverser les nuages. Vous vous alarmez devant la maladie, à la perte d'un être cher et posez mille questions sur la possibilité d'un paradis. 

L'existence est un collier de peurs parfois lourd à porter. Personne n'a la venette en vedette et tout le monde déteste les peureux. Les lâches, les couards, les pleutres, les poules mouillées. Il y en a des mots pour décrire celui qui cauchemarde, qui tremble, qui s'affole ! Trouillard, capon, pétochard, froussard, péteux, poltron. Aucun respect. Pourtant, tout le monde a peur, même moi.

Le temps s'accélère et ma perte aussi. Je vieillis. Je perds les eaux, ma sève s'évapore, je n'ai plus d'énergie. La folie de certains me donnent des bouffées de chaleur, des attaques de panique, climatiques. J'ai les pôles qui pleurent et la faune qui se meurt. Je ne tourne plus rond et cela me fait peur. Ma pilosité forestière est rasée de très près, mes océans se plastifient, ma croûte se craquelle et je ne parviens plus à nourrir tous les êtres vivants qui marchent à ma surface. Que vais-je devenir si les profits valent toujours mieux que des vies, si la moitié de l'humanité ne trouve pas l'égalité, si une couleur de peau peut tuer, si la paix disparait pour la guerre, si vous m'oubliez ? Je me dérègle, globe séculaire délétère et c'est flippant.

Pour la première fois depuis des milliards d'années je crains pour ma vie et celle de mes enfants. J'ai peur de disparaitre. J'ai peur de ne pas rester la Terre encore très longtemps.

  • Quel texte, que de bons mots, j'ai appris entre autres "venette", c'est une excellente définition de l'humanité.
    On devrait se méfier de qui n'a aucune peur.

    · Il y a environ un an ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

  • Plaisir de vous lire apres une aussi longue absence !

    texte Imaginatif et très intéressant ! (d'où mon cdc)

    Une1 ambigüité sur le ou la narratrice (humain ? ou la terre ?...) Cela mériterait d'être précisé et entrainerait qq modifications dans le choix des pronoms par exemple

    Bravo tout de même

    · Il y a environ un an ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

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