Tes lèvres, à en oublier la mort. (1)

exacerbere

Je vais mourir. Ça, c'est quelque chose que je sais depuis que j'ai sept ans. C'est pas nouveau.

Les docteurs sont partout autour de moi du coup. Il faut faire régulièrement de très longs examens. Je dois côtoyer les blouses blanches des docteurs, le visage faussement compatissant des dames (avec derrière de la pitié à peine voilée) ainsi que les tapotements des messieurs qui se veulent amicaux. Mais au fond, le manque de force et la précaution dont ils usent me rappellent bien que je vais mourir (et aussi que les gens sont un peu stupide de croire que je ne vais pas m'apercevoir qu'ils font attention à la force qu'ils utilisent). On était loin des tapes bourrasques que les autres garçons normaux recevaient, ça, je peux vous le garantir. Moi on me traitait comme si j'étais un oiseau avec des os qui pouvaient se briser au moindre geste un peu trop brusque...

Sauf que, devinez quoi, malgré toute la paperasse administrative et les couloirs blancs remplis de gens qui toussent (au point de vous laisser une impression de déjà vu à chaque consultation), je suis toujours en vie.

Je survis étonnamment bien. Il paraît que c'est stupéfiant d'ailleurs, j'ai battu tous les pronostics établis par les spécialistes. Au début, c'était "il en a pas pour plus d'une poignée de mois", puis "tout au mieux un ou deux ans", "si les choses ne s'en détériorent pas, on peut être optimiste et espérer qu'il franchise les 12 ans"... Et me voilà donc, à 16 ans, avec des docteurs qui en ont la bouche bée.

Il paraît que je suis un cas. Je veux bien le croire.

Je sais que même si je suis "un battant" (comme ils disent), je vivrai pas la vie de monsieur tout le monde. C'est pour ça que je veux pas aller au lycée comme tous les autres garçons de mon âge (même quand j'ai été en mesure de pouvoir y retourner), je ne me fais pas trop d'illusions sur mon avenir. Pas d'études sur lesquelles jurer à cause de la charge de travail, ni de potes pour s'enfiler des bières devant des matchs de foot pour se détendre (ou devant autre chose puisque je n'aime pas les matchs de foot mais bon, faut bien ressortir les vieux clichés). Du coup, pas de job, pas de jolie maison à moi avec un chat et pas de nana à peloter le soir ( c'est comme le "pas de femme souriante à embrasser en revenant chez soi", mais avec le côté baise un peu moins tacite). Moi, quand j'imagine mon futur je vois un putain de cercueil ouvert en deux avec mes parents pleurant à côté. Chouette vision, vraiment. Woouh, grosse ambiance.

Alors voilà, j'ai des raisons d'être un putain d'asocial, de porter souvent du noir (enfin pas trop parce que ça fait un peu funérailles en avance et que ça fait parfois pleurer ma mère) et de haïr les docteurs. Ah, les docteurs. C'est eux qui ont le moins apprécié que je grandisse. Passer du stade "du gentil garçon qui va bientôt mourir" à "l'ado cynique et je m'en foutisme" ça à tendance à moins les attendrir et ils sont tout de suite moins enclin à tolérer vos remarques/votre sens de l'humour. Mais bon, au moins ça fait de moi un sacré cas (il parait que ça me rend aussi intéressant qu'agaçant).

Faut dire aussi que j'ai des raisons pour broyer du noir et d'esquiver ces foutus corbeaux noirs en blouse blanche. "Vous en avez pour...", "votre situation c'est...", à un moment ça te passe par dessus la tête quand t'entend ça depuis des années.

Et tout ce que tu veux, c'est... T'enfuir.

Je joue beaucoup aux jeux vidéos. Je lis souvent, aussi. Un livre tous les trois jours au moins. Avant ma bibliothèque était pleine à craquer. Maintenant, je revend les anciens livres pour en acheter de nouveaux ou je lis en ligne. Des livres "gratuits" ou des fictions sur le net. C'est comme ça que je me sociabilise un minimum, aussi. Je laisse des commentaires par ci par là. Et des fois ça rend les gens un peu contents (ou pas, pour être un troll à mes heures perdues). Des fois ils me parlent et je me sens un peu utile. J'ai quelques amis, qui savent tous que "si un jour j'arrête de leur parler c'est que j'aurais fait le grand pas", mais c'est que la vérité. J'ai pas grand chose à faire de ma vie mais au moins je suis pas à cent pour cent un marginal. Du coup, je me distrais comme je peux en attendant la mort, cette délivrance qu'on me promet depuis que je suis tout petit et qui sait se faire désirer.

"Hey, merci pour ton commentaire sur ma fic', ça fait toujours plaisir d'avoir du feedback aussi spontané".

Heureusement qu'il y a des gens pour me distraire sur cette terre, sinon y a longtemps que j'aurais pété un câble avec le "est-ce que je vais mourir dans un an, dans trois mois, ou demain ?"

- Salut, de rien. Tu tombais à pic avec ton nouveau chapitre. De toute manière tu ne peux que toujours tomber à pic, ton talent est éblouissant, ton écriture me fait tout simplement partir dans un autre monde et dieu sait ce que j'en ai besoin en ce moment. Enfin, dieu sait ce que j'en ai besoin tout court.

Autant pour moi, ce que je dis fais un peu suce pompes. Mais là, je me faisais vraiment chier et en plus, c'est l'une des rares personnes avec qui je parle quasiment tous les jours si ce n'est pas carrément tous les jours.

"Merci, ça me fait toujours plaisir de parler avec toi. Ton état c'est empiré ?"

...Même si le tact c'était pas son fort.

- Non et c'est bien le problème. Je sais vraiment pas quand je vais mourir et parfois j'ai juste envie de faire mon pas en avant maintenant pour arrêter d'y penser.

"Je trouve que c'est dommage de penser comme ça, après tout on ne sait jamais exactement quand on va mourir et c'est bien tout ce qui fait le charme de la vie"

Charme ?! Avant que j'ai pu m'en indigner, j'eus un rapide message d'explication.

"Bien sûr on peut avoir une estimation. Mais ce sera jamais vraiment ça et on peut toujours faire des choses importantes et déterminantes entre temps"

Là, je savais pas vraiment quoi dire. Et j'en avais pas vraiment besoin puisque un petit icône m'affichait que mon interlocuteur était en train d'écrire.

"Au fond, tous qu'on fait c'est profiter du temps qu'on a encore à vivre sans vraiment savoir de quoi sera fait le lendemain. On sait pas combien de temps le futur nous donne alors... On a toujours la possibilité de tout reconstruire ou de faire quelque chose de notre vie"

Là, j'avais la haine. C'est pour ça que je déteste les gens optimistes, ils savent vraiment pas de quoi ils parlent.

- Tu tiendrais pas le même discours si t'étais à ma place. Pas quand les docteurs te disent depuis que tu sais faire des multiplications que c'est qu'une question de temps. Pas quand tu survis en éprouvant ces putains de douleurs fulgurantes et que tu te demandes chaque jour pourquoi tu meurs toujours pas. Comment tu peux faire quelque chose de ta vie quand les bouquins sont là pour t'amener autre part que la réalité ? Quand les jeux vidéos sont faits pour te faire vivre une autre vie que la tienne ? Quand la musique que est là pour t'empêcher de penser à tout ce qui te ronge de l'intérieur ? Quand les films sont vus pour te faire ressentir ce que tu ne pourras jamais éprouver par toi même ? Comment est-ce que tu peux penser avoir un futur quand tu sais que ta vie craint et que c'est pas prêt de s'améliorer ?

"Aucune idée."

Le contraire m'aurait étonné, aussi.

"Mais ce que je sais par contre, c'est qu'il faut jamais lâcher prise."

- Ah ouais ?

"Ouais."

- Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?

"Le fait qu'on ait tous des raisons pour lâcher, mais qu'on doit pas. Bien sûr, toi t'en as plus que d'autres. Mais pas autant que certains et si y a des gens qui sont plus bas que toi et qui se battent, alors toi aussi, tu dois tenir. Question de fierté je dirais. Puis, tu sais... On fuit tous. On écrit, joue, dessine, écoute de la musique, on lit, on vit ailleurs, on oublie, on se distrait. Mais au fond c'est pas plus mal car ça nous permet de vivre vraiment"

-...

"Tu sais, dans mon entourage, t'es probablement le type ayant le plus lu de livres. Et t'as vécus des choses énormes. Tu vis incroyablement de mon point de vue. Je t'admire, au fond. Par contre y a un truc que j'ai jamais compris. Pourquoi est-ce que t'es le type qui lit toujours et pas celui qui écrit ? On le sait, t'en aurais largement les moyens."

- Si j'écris je vais commencer à pleurer. Et je veux pas pleurer, c'est tout. Et puis, c'est faux ce que tu dis. Quand tu vis pour t'échapper en attendant de mourir, c'est plus vraiment vivre.

"C'est pas faux. Mais qu'est-ce que tu veux que je te dise d'autre, d'arrêter de vivre ?"

- C'est pas un truc qu'on dit à quelqu'un de mourant, tu sais... C'est pas comme si je pouvais vraiment accélérer ma mort...

"Dans ce cas, arrêtes de fuir."

- Pourquoi ?

"Parce que tu viens de dire que ça voulait pas vraiment dire qu'on vivait, quand on fuyait, idiot"

- Me traite pas d'idiot. Et puis, j'ai pas pour autant dit que je voulais mourir.

"Dans ce cas continues à te mentir, à fuir à demi et à vivre à demi. Franchement, qu'est-ce que tu veux que je te rétorques ? Mais c'est dommage, t'as peu de temps. Je serais à ta place, j'essayerais de vivre autant que possible. C'est un peu une chance de savoir qu'on a plus beaucoup de temps parce que ça intensifie tout. Vraiment, tu devrais écrire, parce que ça serait époustouflant. Et aussi, de mon point de vue... Pour vivre t'as pas forcément besoin d'être dans le vrai monde. Si faire une activité te fait ressentir des émotions alors tu vis énormément. Et plus tu en accumules, plus t'es vivant. Peu importe le reste. Mais faut pas que ce soit un moyen de fuir à tes yeux, mais un moyen de ressentir et... De vivre. Moi je me sens vivant quand j'écris. Et c'est uniquement quand j'écris, pour moi c'est pas fuir, au contraire. C'est accumuler de l'expérience et des sensations, mais je suis quelqu'un d'un peu bizarre apparemment."

- Ouais. J'ai pas envie de te parler en fait, chaque fois qu'on cause ça fini en prise de bec et tu m'agaces. T'écris bien, mais tu dis un paquet de conneries.

"Possible"

- Nan mais c'était une affirmation.

"Sûrement"

- Tu m'énerves.

"♥"

-...Et voilà que tu me fous encore tes foutus coeurs girly maintenant.

Il m'en avait déjà sorti auparavant... J'avais trouvé ça un peu perturbant mais j'étais passé outre jusqu'à présent. Sauf que là, j'étais pas d'une humeur suffisamment généreuse pour pas relever ces saloperies de coeurs.

"Faut bien, sinon personne d'autre te dira jamais qu'il t'aime"

- Ah ouais, parce que maintenant tu m'aimes ?

"C'est pas nouveau tu sais"

- Tu te fous de moi ?

"Pourquoi ?"

- Oui, tu te fous de moi. Surtout qu'il me semble que t'es un type, non ?

"Haha... ça fait quatre mois qu'on parle et tu sais toujours pas si je suis une fille ou un garçon. C'est vexant."

- Attends... T'es une fille ?!

...Maintenant que j'y repense, c'est vraiment que nos discussions étaient restées suffisamment neutres pour que j'ai un doute....

"Peut-être ♥... Ou peut-être pas. Pas besoin d'être une nana pour tomber sous le charme d'un homme, après tout"

- Pfft. Tu bluffes t'es forcément un mec.

"♥"

- Arrête avec tes coeurs, tu m'énerves. Tu te moques juste de moi. Tu te fous même de la gueule des mourants, t'as aucune pitié ma parole ! Surtout si tu leur fais espérer que t'es une fille alors que t'es qu'un mec boutonneux derrière son pc. C'est juste de la pure cruauté, tu finiras au moins en enfer pour ça, tu sais ?

"Et si je te dis que je suis vraiment une fille ? Ou que je suis gay et que ça m'empêche pas d'être amoureux de toi ?"

- Je te dirais que je vais avoir beaucoup de mal à te croire.

" Tu paris sur quoi ? Fille ou mec gay ? "

- Fille ?

"Raté ;-)"

- Et merde.

"Hé ouais"

- Tu te foutais de ma gueule depuis le début !

" Juste un peu"

-....

"Mais là, je vais pas très bien pour tout t'avouer et c'est pour ça que je te parle de ça maintenant. Alors je te dirais bien que ça fait quatre mois qu'on cause et que je sens mon coeur s'emballer à chacune de nos discussions. J'ai aucune idée de ce à quoi tu ressembles, je sais bien que toi tu n'éprouves pas le même intérêt au point que tu doutes même du fait que je sois ou non un mec et pourtant..."

"Je sais pas, t'es unique à mes yeux. T'es la première personne que je rencontre qui me fait cet effet là et pourtant j'ai vraiment aucune idée de ta tronche, on a passé des heures et des heures à parler, on discute tous les jours et bien que je connaisse pas tout de toi... C'est bizarre et je veux juste... Mieux te connaître au fond."

- Si c'est une blague, arrête-toi tout de suite.

"Je déconne pas. Je suis sérieux."

"Je sais qu'à la base on s'est parlé parce que j'écrivais une stupide fanfic, qu'on est tous les deux des garçons, que t'es malade, un peu dépressif et cynique et qu'on s'est jamais vus mais vraiment, je suis sérieux"

- Mais... Wtf, pourquoi est-ce que tu me dis tout ça maintenant ?!

"Je t'ai dit. Je vais pas très bien ce soir. Et tu m'as lancé sur le sujet de vivre sa vie.... Puis ça fait un bout de temps que ça me traversé l'esprit alors voilà."

-...

"Hé. Je suis sérieux."

-... Non. Impossible.

"J'ai déjà entendu ta voix mais toi jamais la mienne ni vu à quoi tu ressemblais. Lance un appel vidéo. Je pense que tu risques de... Comprendre des trucs, mais c'est pas très grave."

- Et si je veux pas parce que je trouve ça louche ?

"Je le prendrais pas mal. Enfin, si un peu, forcément mais bon. Je comprendrais, je te sors tout ça de but en blanc après tout mais je te jure que je déconne pas."

Putain. Ce con a lancé l'appel vidéo. Je vous avoue que ça m'a retourné. Dans mon monde virtuel, j'étais toujours celui qui agissait ou qui trollait. Et si c'était une blague, le type c'était vraiment donné du mal... C'est vrai qu'on parlait tous les jours. Bon, pas forcément de trucs sérieux. Surtout de littérature, de philo' et de jeux, à vrai dire. Mais là... je sais pas ce qu'il m'a prit. J'avais jamais fait d'appel vidéo car j'aimais l'anonymat d'internet. Je me sentais uniquement à l'aise avec cette forme de sociabilité détournée. Ne pas être directement confronté aux autres. Mais surtout ne pas vraiment y être attaché pour éviter de les blesser quand je serai mort, ça m'enlevait un poids énorme. Mais là... Bon sang. Qu'est-ce qu'il m'a prit ? Surtout pour un garçon ! Sérieusement, qu'est-ce qu'il m'a prit d'appuyer sur ce foutu bouton pour répondre à l'appel vidéo, franchement ? Je dois être un peu voire beaucoup con sur les bords.

  • J'attends la suite aussi. J'aime bien les trucs qui ont l'air cons au premier abord. en général c'est ce qui donne les résultats les plus intéressants ; ))

    · Il y a presque 8 ans ·
    Ananas

    carouille

    • Merci beaucoup ! Je m'amuse effectivement un peu à faire tanguer l'histoire entre "déconnade" et "sérieux" (même si pour l'instant ça se voit pas forcément). J'espère qu'effectivement le résultat final vaudra le coup :)

      · Il y a presque 8 ans ·
      Okovougbe

      exacerbere

  • Sérieux, je me suis vraiment attachée à tes 2 persos, et là devant ce pc je me sens à un peu connasse à chercher la suite alors qu'elle est pas encore écrite #cominutiledusoir

    · Il y a presque 8 ans ·
    Siren

    hinareva

    • Merci beaucoup pour avoir prit le temps de commenter et de lire ! Et c'est peu être un peu sadique de dire ça, mais j'aime beaucoup le fait que tu cherches la suite... Ça m'amuse et ça me flatte un peu, donc merci ! En ce moment je manque de temps donc j'écrirai la suite le week-end prochain #AhLeBac

      · Il y a presque 8 ans ·
      Okovougbe

      exacerbere

Signaler ce texte