Tes mains
Juliette Delprat
« Nous sommes tous confrontés à la mort, mais contrairement au proverbe, nous ne sommes pas tous égaux face à la mort »…Ce sont les mots que j'ai entendu, au volant de ma voiture, sur le chemin du retour de l'hôpital…J'écoutais la radio, distraite, quand cet homme, invité à une émission a prononcé ces mots qui m'ont sortie de mes pensées. Cet homme que je ne voyais pas expliquait comment il avait survécu au départ de son enfant. 25 ans après, il n'avait rien oublié des émotions qui l'ont submergé quand il a tenu et caressé ce petit corps sans vie. Il ne cherchait pas ses mots, mais il marquait de longues pauses, empreintes de tristesse. Quand il reprenait, sa voix était tremblante. Mais il était là. Il parlait. Il survivait. Mieux, pire, je crois même qu'il vivait.
Nous ne sommes pas tous égaux face à la mort…Les mains agrippées très fort au volant de ma voiture, je répétais à mi-voix ces mots. Nous connaissons tous le deuil mais il prend une forme différente à chaque fois. Certaines morts sont inscrites naturellement dans le chemin de notre vie, elles nous rendent nostalgiques, tristes même, mais elles ne nous atteignent pas dans nos fondations. D'autres sont tragiques, parce qu'elles ébranlent notre raison d'être ici- bas. Parce que ces êtres chers qui nous abandonnent nous on construit, et c'est une partie de nous qui meurt avec eux. Pourquoi provoquent- ils des tsunamis en nous ? Parce qu'ils nous laissent face à nos vides, parce que vivants ils prônaient la vie comme nous seuls n'étions pas capables de le faire et en cela ils étaient vitaux à notre équilibre.
Mon vide, il se situe entre mon cœur et mon ventre. Un trou immense comme si un obus était venu s'éclater sur mon cœur, me faisant gicler à la figure toutes mes entrailles, toute ma fragile vie. Tu crois que c'est possible de reconstruire des entrailles ?
Aujourd'hui je t'ai vue, tremblante tu étais assise dans ton fauteuil de velours. Tu m'as demandé de m'occuper de tes mains. Installée à tes côtés j'ai senti de très près ton souffle fébrile. Effrayée par ces respirations légères, furtives, je les ai pourtant embrassées une à une, témoins réconfortants de ta vie. De ta vie à mes côtés. J'ai tenu tes mains. J'ai enserré de mes mains assurées tes doigts tordus et tremblants et j'ai massé ta peau fripée encore si claire et si belle. Tes mains. Ces mains qui m'ont guidée toute ma vie, caressée et soignée. Ces mains qui m'ont préparé mes repas, ces mains qui ont emballé mes cadeaux à chaque noël et chaque anniversaire. De grandes et fines mains délicates mais rassurantes et fermes pour me guider dans mes errances d'enfant étrange.
Aujourd'hui ces mêmes mains sont dans les miennes et j'en suis bouleversée. Cette proximité physique à laquelle nous ne nous sommes que rarement abandonnées me chavire. Mon cœur exploserait à cet instant et tu le sens alors tu sers ma main aussi fort que ta maladie te le permet.
Tu vas partir et tes mains vont se faire de marbre.
Chère Juliette, nous avons en commun, entre autres, d'avoir été élevés en partie par nos grands mères. La mienne s'est éteinte de façon abrupte et injuste il y a presque un an (14 mars 2012) alors ce que tu vis, je le revis, j'étais attaché à ses mains, calleuses et abimées d'avoir trop travaillé, mais des mains pleines de bonté. Le vide, entre mon coeur et mon ventre ne s'est pas comblé depuis, il est là, même s'il faut vivre, avec le souvenir des êtres aimés, de ce qu'ils nous ont apporté, de ce que nous avons partagé. Je te lis, Juliette et je me lie, à tes mots, à ce texte qui sait si bien transcrire tes émotions, à ta grand mère, dont il faut que tu profites, pendant qu'elle est là. Quand j'ai su que la mienne était mourante, j'ai pris le premier TGV pour la Province espérant gagner ma course contre la mort, mais la mort a gagné, je suis arrivé trop tard et ses mains, déjà étaient de marbre. L'amour lui a gagné : Love never dies.
· Il y a presque 12 ans ·valjean
Très triste mais bien rendu
· Il y a presque 12 ans ·pouetpouet06
on ne reconstruit rien , on construit autrement, mais, on construit...
· Il y a presque 12 ans ·Pawel Reklewski