THE FRAMES

ozmann

THE FRAMES ( L’ETAT DE VEILLE )


INCIPIT


De pâles gémissements s’élevèrent depuis les épaisses strates de tissus qui étreignaient Yanis entre les délicates mâchoires de leur étau vaporeux.
Ils furent suivis d’un court silence, sans doute déjà résigné,  puis d’une sorte d’étrange feulement, que l’heureux possesseur d’une ouïe avertie aurait à coup sûr désignée comme la pathétique tentative de bâillement qu’elle était.

Les draps frémirent ensuite sous l’effet d’une agitation brusque et erratique, mais leur relief se figea à nouveau très vite. Un sourd grognement vint d’ailleurs ponctuer la manœuvre, faisant ainsi mine d’entériner cette mise-à-jour topographique au sceau d’une mauvaise humeur prononcée.

Il convenait d’admettre que Yanis résistait de façon honorable, mais il n’avait à vrai dire que peu de chance de l’emporter face au soleil, dont les rayons investissaient les moindres recoins de sa chambre avec l’implacable inexorabilité du temps qui passe.
Le souffle d’une légère brise poussait même la perfidie jusqu’à accompagner ce réveil forcé de son insoutenable fraîcheur, par ailleurs finement relevée d’un assez doux parfum de lavande.
Discret, mais prégnant.

Ce point précis finit sans doute par stimuler l’une des zones encore brumeuses de son cerveau, car le garçon daigna enfin ouvrir un premier œil, circonspect.

Depuis déjà fort longtemps, la Martinique offrait en effet le cadre d’une île envoutante d’où suintait sans fin le meilleur des senteurs issues des quatre coins de ce monde.
Entre innombrables autres stimuli sensoriels …
Aussi, il n’était pas rare de s’y laisser surprendre aux détours de quelque chemin par des fragrances éparses ;

Ici la légèreté de la vanille, plus loin la subtile amertume de la cannelle …

Au gré de leurs ballades, les nez les plus aguerris pouvaient même localiser une multitude de sites plus ou moins sauvages, recélant épices et plantes diverses aux arômes tout aussi variés.

Bois d’inde, coriandre, gingembre …
Roucou, bardiane, piment zwazo …

Soit, une carte postale qui ne trahissait pas la moindre de ses promesses.
A un ridicule petit détail près :
La lavande.

Techniquement, Yanis n’en avait jusqu’alors perçu les senteurs que lors des rares occasions où il lui était venu l’idée saugrenue d’ouvrir un paquet de lessive.
Un de ces moments de pure démence qui l’avaient parfois conduit à prendre à sa charge l’exécution de tâches ménagères en dehors de toute pression exercée par ses parents, animé qu’il était, semblait-il, par le simple désir de leur plaire.
Fort heureusement, cette lubie, ô combien grotesque et puérile, avait depuis laissé en paix son esprit dérangé. Alors à moins d’imaginer qu’une colonie d’arbrisseaux mauves s’était subitement mise à pousser durant la nuit pour mêler le parfum de leurs feuilles en épis aux effluves de citrons verts, dont les pieds entouraient en nombre sa résidence, il paraissait probable que quelque chose clochait.

L’adolescent consentit donc à ouvrir son dernier œil resté clôt.
Tout n’était encore cependant pour lui que formes floues et abstraites ; de vagues motifs lumineux semblaient voler comme des insectes sur le mur devant lui et il lui fallut encore de longues secondes pour rassembler totalement ses esprits.
Au tarif d’un effort soutenu,  il réussit à redresser son buste maigrelet et passa une main dans ses larges boucles pour leur redonner du volume.
Sa vue s’étant enfin quelque peu habituée à la luminosité ambiante, il entreprit ensuite de scruter dans la pièce les raisons de ce réveil pour le moins déplaisant.

Un premier élément notable l’interpella assez vite : sur les surfaces des quatre murs qui l’entouraient, se baladait l’affichage d’une menaçante suite de symboles en épais caractères rouges et clignotants.

« 07:23 »

Yanis fronça les sourcils. Il ne lui était à sa connaissance jamais arrivé de programmer son réveil à des heures si indues, les quinze minutes qu’il consacrait en général à sa toilette avant de se rendre en cours lui paraissant en effet déjà comme largement suffisantes.

Intrigué, il se tourna cette fois vers la fenêtre et constata que ses vitres électrochromiques perdaient sensiblement de leur opacité. A peine cinq minutes de plus à ce rythme et elles retrouveraient leur entière transparence, laissant encore d’avantage de champ aux rayons du soleil pour inonder sa chambre.

Vision certes d’horreur, qui inspira à Yanis un long soupir désenchanté.
Il déroula donc les longues baguettes décharnées qui lui servaient de jambes hors des couvertures qui les abritaient jusque-là, et laissa lourdement tomber ses deux pieds nus sur le sol.
Maintenu ainsi dans un équilibre précaire par un bout de fesses laborieusement ancré au bord de son lit, il prit encore quelques instants pour étirer ses membres ankylosés avant de se rapprocher du mur bordant sa couche à l’aide d’un savant jeté du bassin.
Il apposa ensuite sa main droite à plat sur celui-ci, les doigts bien écartés, et tint cette position le temps d’une demi-douzaine de bâillements avant qu’un rectangle lumineux centré sur le creux de sa paume ne se mette enfin à scintiller sur la paroi, grossissant progressivement jusqu’à atteindre la taille de l’écran d’un petit ordinateur portable.
Yanis dégagea sa main et attendit que l’interface se chargeât complètement.

                          « BIENVENUE SUR DOMOFRAMES »
« Pour basculer à tout moment sur votre espace SOCIOFRAMES, cliquer ici. »

En bas de la page ainsi apparue et au cœur d’une maquette en 3D filaire représentant tour à tour l’appartement, puis l’immeuble même au sein duquel il se nichait, un point rouge accompagné de la mention « vous êtes ici » désignait respectivement la chambre de Yanis et le logement familial.
En haut, s’affichaient sur un sobre et fin bandeau de couleur vert clair, diverses informations utilisateur concernant le jeune homme, ainsi qu’un menu de six titres reprenant le nom des pièces principales :

chambre 1               chambre 2               salon               cuisine              annexes 


Au centre de l’écran, des données sur la température, la consommation d’énergie, et moult statistiques du même acabit, se succédaient en fondus.

Une petite icone représentant une enveloppe se mit à scintiller dans l’angle supérieur du côté droit, mais Yanis n’en tint pas compte et se pencha sur le menu de navigation déroulant à gauche, spécifiquement lié à sa chambre.

Ses doigts caressaient l’écran avec une grâce incongrue en regard de la tâche pour laquelle ils la déployaient, mais il ne leur fallut que peu de temps à exécuter cet étrange ballet pour obtenir l’affichage de l’application qui gérait les paramètres liés à l’horloge.  
La case à côté du choix « réveil » était bien activée. L’adolescent cliqua sur le bouton des options avancées et une boîte de dialogue apparut.
Quelle ne fut alors pas sa surprise de constater que celle-ci était déjà bardée de préréglages réunis sous une configuration pompeusement intitulée  « Doux Réveil Provençal », et dont la plus méprisable des particularités étaient sans conteste aucun la programmation de son démarrage quotidien à l’heure indécente de 07:15.
Du matin.

La mine froissée par un curieux mélange de dépit et de révolte, Yanis s’empressa donc d’activer la réinitialisation des paramètres de la boîte de dialogues.
Il ne parvint toutefois jamais à en valider l’application, car un message d’alerte s’afficha aussitôt qu’il fit mine d’appuyer sur le bouton d’exécution.

Lui y était en substance expliqué qu’il ne possédait pas les droits nécessaires à cette opération, et conseillé de s’adresser à l’administrateur de son réseau domoframes.
Le garçon fulmina :

« MANMAN …»

Il aurait dû s’en douter ...

Et tandis qu’il s’apprêtait à se lancer dans une série de bougonneries en se recroquevillant de façon fort opportune sur son lit, un brusque effet larsen échappé de la dizaine de petits haut-parleurs disséminés dans sa chambre le tira sans ménagements de sa bouderie en gestation.

La voix enjouée et fluette de sa mère s’éleva à sa suite :

« Bonjour mon chéri ! J’espère que tu as bien dormi ! Comme tu l’as constaté,  j’ai programmé ton réveil à 7 heures 15 ce matin parce que je trouve qu’un quart d’heure pour te doucher, te préparer, et manger convenablement avant d’aller en cours … Et bien … Ca fait un peu trop juste, quand même … En tout cas à mon goût … Et puis une demi-heure de plus, c’est pas vraiment du luxe non plus ! Hein, mon chéri ! … Bon, allez, je te laisse, je dois filer. Ah, et ton oncle aussi est parti alors tâche de ne pas rater ton bus cette fois ! Ton petit déjeuner t’attend déjà dans le salon ! Gros bisous, mon cœur ! Ciao ! »

Elle ne récolta qu'un nouveau soupir pour toute réponse, mais il semblait qu'elle n'en attendait de toute façon aucune. Ce fut d'ailleurs le grésillement court et sec d’un émetteur que l’on désactive qui ponctua sa dernière phrase.

Yanis exécuta le tracé d’une croix imaginaire sur la surface de l’écran qu’il avait allumé quelques instants plus tôt, et celui-ci disparut.
Il se résolu ensuite à se lever, accompagnant son mouvement d’une large palette de simagrées, sans doute pour signifier à quelque observateur pourtant invisible en ces lieux, le caractère parfaitement insondable de sa profonde souffrance. Puis, à la façon d'un canard boiteux, ou peut-être d'une oie assez piteusement dégrossie, il clopina jusqu’à la fenêtre de sa chambre. 
D’une simple pression sur le verre, l’adolescent lui fit instantanément recouvrer une complète transparence et le grossier affichage mobile de l’horloge sur les murs s’interrompit du même coup. Après s’être rapidement acclimaté au soudain surcroît de lumière, Yanis prit encore un instant pour contempler la vue qui s’offrait à lui sur le plateau que formait la place principale du quartier de Morne-Coco où il résidait, ainsi que sur sa seule voie d'accès ; une route étroite et caillouteuse qui serpentait plus bas jusqu'aux dernières hauteurs de Didier, avant de continuer en direction d'Absalon, siège de rivières et de majestueuses cascades qui signalaient aux intrépides randonneurs l'entrée sur le territoire dense et sauvage du Nord Caraïbe.

Au cœur de la vitre elle-même, le viologène contenu entre les couches de verre réagissait pour laisser apparaître des informations diverses concernant le paysage, dans une police bleue translucide décelable au seul prix d’un examen attentif de sa surface.

Mais c’est un autre détail qui semblait attirer le regard du jeune homme par-delà le panneau transparent ; il posa deux doigts sur la glace de façon à isoler l’objet de son attention, puis les écarta lentement l’un de l’autre. Un rectangle s’élargit le long de la diagonale ainsi définie, laissant apparaître sur sa surface un grossissement important du groupe de pixels initialement sélectionnés.

Et une fois de plus, la vue valait le détour ;

(…)

SYNOPSYS


Yanis Saint-Cyr n’avait pas connu son père, célèbre skipper disparu en mer quand il n’était encore qu’un nouveau-né. Sa mère, pourtant bardée de diplômes, officiait pour sa part depuis de longues années comme institutrice dans l’école du quartier où elle avait vu le jour, à Morne-Coco.
Elle y partageait un appartement avec le frère de son défunt mari, qui participait de façon très active à l’éducation de son neveu, lycéen ordinaire aux résultats moyens et au comportement discret.

Un état de fait qui justifiait d’ailleurs que ce dernier fut lui-même étonné d’être contacté par Erwan Bothorel, breton blondinet au physique de surfeur, dont toutes les filles, et en particulier Jahia, le secret amour de Yanis, étaient folles.
Le bellâtre, ainsi qu’il l’appelait, tenait justement à lui faire part de son inquiétude face à la disparition subite de la jeune fille.

D’abord sceptique, Yanis tenta de joindre son amie sur socioframes, et constata avec surprise que son profil n’existait plus.
Un fait pour le moins étrange car le réseau social était très largement plébiscité par tous les jeunes du lycée, Jahia en tête. C’était notamment la raison pour laquelle en l’absence d’accès à sa page, ses camarades ne pouvaient pas la joindre, l’ensemble de leurs communications transitant strictement par ce biais.

Outre cette embûche d’ordre purement technique, un point plus inquiétant résidait dans le fait que socioframes se composait également d’un volet d’identification civile, considéré comme une preuve d’identité valide par les nouvelles règles du droit international, et permettant la centralisation de démarches administratives parmi les plus variées.
Autant dire que tout citoyen, de quelque pays que ce fut, ayant un jour souscrit à un compte socioframes, se trouvait vite contraint de le conserver jusqu’à sa mort.
Ou jusqu’à celle, pour le moins improbable, du réseau.

Dès lors, la disparition du profil de Jahia revêtait bien un caractère préoccupant.

Erwan confia donc à Yanis qu’il avait pris contact avec un type qui prétendait être en lien avec les Chymères, auxquelles il demanderait ensuite de l’aider à retrouver la piste de Jahia.

Yanis en savait peu sur ces cyber-activistes qui se cachaient sous des pseudonymes piochés dans la vaste culture amérindienne, si ce n’était qu’ils vouaient une haine irrationnelle aux sociétés qui s’installaient massivement chez eux, en Martinique, île franche internationale au statut neutre et autonome depuis déjà plus de vingt ans.

Mais Erwan semblait déterminé.

La fin des cours arrivée, les lycéens se rendirent donc au rendez-vous que leur fixa un certain Taïno, à peine plus âgé qu’eux, dans un cloaque niché dans le quartier le plus immonde de la ville. Au terme d’un discours ronflant et empreint d’un mysticisme de bas étage, celui-ci leur indiqua enfin la marche à suivre pour contacter les Chymères ;

Il leur faudrait se rendre à « L’as de pic », mythique salle d’arcade foyalaise, et rentrer un code d’identification donné sur l’une de ses bornes : la dénommée « T. Bear, the hunter »,  proposant une vielle application en deux dimensions dont le héros était un ours chassant le braconnier.
L’objet n’avait plus grand intérêt pour les joueurs, mais la forme particulière de la borne, figurant un grizzly tenant l’écran entre ses pattes, lui avait conféré le statut prestigieux de mascotte.
Erwan et Yanis se rendirent donc à la salle d’arcade et suivirent les instructions de Taïno à la lettre.

Le propriétaire du lieu, un sexagénaire surnommé « le forain », leur accorda à peine un regard lorsqu’il nota leur intérêt pour l’antiquité.
Et les jeunes gens restèrent aussi longtemps que ne le permettaient leurs autorisations parentales respectives, mais rien de plus ne se produisit.
Ils rentrèrent donc chez eux, penauds.

Yanis ne s’était pas attendu à grand-chose mais accusait quand même une sévère déception, passant de ce fait le reste de la soirée en proie à un profond abattement.

Mais la nuit passa.
Et le lendemain matin, l’adolescent retourna en cours.
Comme à son habitude.

Encore un peu songeur, ce ne fut toutefois qu’en milieu d’après-midi qu’il constata l’absence d’Erwan, que l’administration du lycée elle-même refusa de commenter.

Idem concernant celle de Jahia …

Il tenta donc d’afficher le profil de l’insupportable breton sur socioframes, mais celui-ci n’existait déjà plus.

Alors tandis que l’as de pic, curieusement déjà amputé de sa mascotte, subissait une perquisition musclée, Yanis se mit à errer, amer, le long du port de Fort-de-France, où la providence le fit tout naturellement buter sur …
Jahia.
En très piteuse forme.

Et bien qu’elle fût aussi en état de choc, le jeune homme obtint qu’elle lui racontât son histoire.
Celle-ci fut du reste assez brève ; une nuit, des hommes avaient fait irruption chez elle et kidnappé ses parents. Elle avait réussi à s’enfuir en passant par le toit et s’était rendue compte que la police était impliquée, en repérant leurs véhicules garés plusieurs rues en retrait.

Ils n’eurent cependant guère le temps d’en débattre, car des agents les repérèrent et les prirent aussitôt en chasse.

Pendant ce temps, Karl Soffrey, président de la Frames Entertainment Company, rappelait à son bras droit combien il était urgent de déterminer l’identité de celui qui avait aidé le blondinet arrogant, et plus encore de retrouver la fillette.
Celui-ci lui certifia que le réseau avait déjà de fortes présomptions quant à l’identité du garçon.
Et en ce qui concernait la fille, ce n’était plus qu’une question de temps.

Yanis et Jahia cavalaient à travers toute la ville pour échapper à leurs infatigables poursuivants, mais il semblait qu’il leur faudrait bientôt capituler ; ils étaient faits.
Ce fut à cet instant que Chyen Fer, le chef des Chymères, apparut de façon fort providentielle au volant d’un véhicule visiblement fait main, pour les secourir in extremis.

A l’abri dans les forêts du nord, les jeunes gens découvrirent alors une base habilement camouflée, et suréquipée d’instruments électroniques en tous genres.
Ils étaient cependant préoccupés par le sort réservé aux parents de Jahia et à Matéo. Chyen Fer ne voulut pas s’étendre sur le sujet, mais Yanis insista pour qu’on le conduisît au moins auprès de sa propre famille.
A contrecœur, le chef désigna Taïno qui se tenait discrètement dans un coin, afin qu’il escortât les deux lycéens jusqu’au logement du garçon.

Parallèlement, devant le siège de la Frames Entertainment Company, une foule se pressait pour assister à la conférence de presse imminente, et les représentants officiels des pays membres de l’ONU prenaient place dans les tribunes dressées à leur attention au cœur de la cour.

A quelques kilomètres de là, Erwan était quant à lui cloîtré dans un hangar avec d’autres victimes, dont aucune ne semblait avoir idée du sort qui leur serait réservé.
Il tenta bien de s’enfuir en croyant déceler une opportunité, mais fut très vite neutralisé.

A peine eut-il le temps de reconnaître les parents de Jahia se tenant aux côtés des siens, avant de perdre connaissance …

Cette dernière justement, accompagnée de Taïno et Yanis, arrivait en vue de Morne-Coco. Mais l’agitation qui y régnait semblait peu propice à ce qu’ils s’en approchent d’avantage.
Yanis était littéralement effondré.
Taïno s’apprêtait à rebrousser chemin quand l’adolescent lui demanda alors s’il savait où ils seraient transférés.
Le jeune Chymère hésita un instant …

Karl Soffrey entama un discours habité par la verve des grands capitaines d’industrie. Il y parlait des pionniers de la cybernétique qui avaient déjà considérablement transformé le monde en donnant naissance à la sociologie moderne, en permettant la globalisation du système économique mondial, ou encore en accélérant les progrès dans les secteurs liés à l’informatique.
Mais une étape s’apprêtait encore à être franchie avec la nouvelle version du réseau GlobalFrames, dont l’objectif était à terme de constituer la plateforme unique des échanges mondiaux. Une sorte de méta gouvernance mondiale parallèle à celle des hommes, basée sur l’intelligence artificielle d’un réseau social dont l’objectif était d’autoréguler tous les domaines de l’activité humaine à travers leurs interactions.

Yanis et Jahia suivaient Taïno au cœur d’un bois touffu. Ils atteignirent une vieille cabane délabrée sur laquelle, devant leurs yeux ébahis, le grizzly artificiel de l’as de pic s’appuyait pour s’étirer tel un véritable ursidé. A ses côtés, se dressait fièrement un immense balbuzard en métal, dont certaines des parties inachevées laissaient entrevoir les entrailles chromées.
Taïno prit son ton le plus grave pour expliquer que l’initiation des Chymères passait par la conception d’un totem, sorte d’avatar robotique qui les secondait dans leurs activités. A titre personnel, il devait d’ailleurs son intronisation précoce dans l’ordre à l’arrestation du forain, illustre Major Chymere tombé aux mains des Grands Industriels.
A Jahia qui lui demanda si c’était eux la cause de tout cela, et pourquoi, Taïno expliqua qu’ils n’en étaient que l’instrument indirect ; des créatures jouant aux démiurges qui allaient, motivées par le caractère extraordinaire de leur appât du gain, libérer à travers ce réseau vivant le seul pouvoir que les humains semblaient devoir maîtriser tout au long de leur histoire : celui de leur propre destruction.

Karl Soffrey profitait du cocktail organisé sur le toit du siège de sa société, dont la vue plongeait sur la magnifique baie du Centre Atlantique.
Il fut donc aux premières loges pour assister aux explosions sur le port, dans une zone assez proche de son propre hangar …

Et effectivement, le combat y faisait rage : le grizzly et le balbuzard attaquaient frontalement le bâtiment pour se frayer un passage jusqu’au lieu où étaient reclus les prisonniers, et de nombreux gardes ripostaient à l’aide d’armes lourdes.
Chyen Fer fit à nouveau une entrée fracassante, cette fois aux côté de son totem : un chien créole métallique au profil effilé. Avec eux, d’autres Chymères.
Et d’autres totems.

Le bras droit de Karl Soffrey et ses hommes arrivèrent à leur tour.
L’intensité du combat redoubla.

A son terme, le bilan fut très lourd. Et si beaucoup de prisonniers, dont la famille d’Erwan, avaient tout de même pu être libérés, d’autres en revanche, tels les parents de Jahia, demeuraient introuvables.

Quant à la mère et à l’oncle de Yanis, ce dernier avait tout juste eu le temps de les apercevoir disparaître dans les flots agités du port, rougis par le soleil couchant …

Rien ne serait jamais plus comme avant.      

L’ETAT DE VEILLE était bel est bien terminé.

PERSONNAGES


YANIS SAINT-CYR


Lycéen ordinaire aux résultats moyens et au comportement discret ; voilà qui décrivait parfaitement le métis de 15 ans.

Fils unique, sa propre famille ne lui connaissait que peu de camarades, si ce n’était Jahia, dont il avait toujours eu à cœur de conserver l’amitié depuis l’époque du collège, à défaut d’avoir osé lui déclarer sa flamme.

Il s’évadait souvent dans la pratique des jeux vidéo mais affectionnait aussi la lecture, ainsi que les vieux films, que plus personne, pas même les anciens, ne regardait plus.

Sourdaient en lui une profonde gravité et une sensibilité aigüe qui nourrissaient certainement son caractère impénétrable.

EVOLUTION
Entraîné dans ce périple malgré lui, son lien avec Erwan et Jahia ne cessa de croître et le poussa à s’impliquer toujours un peu plus, jusqu’au jour funeste où sa propre famille en paya le prix fort.

Il s’engagea alors pleinement sur la route que le destin traçait avec une clarté croissante devant lui, rejoignant ainsi les Chymères, dont il devrait devenir l’un des plus brillants éléments et mener la Grande Révolution.

PARENTS
Christian Saint-Cyr était skipper professionnel. Il disparut en mer lorsque Yanis n’était encore âgé que de sept ans.
Yvelise, sa femme, resta institutrice dans le quartier de son enfance, à Fort-de-France, où elle partageait un appartement avec le frère de son défunt mari.

A noter que le tragique accident de ces derniers à la fin du premier tome ne signe pas leur complète disparition …

JAHIA WADE
Véritable petite perle des îles, elle était déjà, du haut de ses quinze ans, la star incontestée du lycée.
Bien qu’elle ne fût guère intéressée par le titre.

L’adolescente se distinguait en effet d’avantage par ses notes exemplaires et son comportement irréprochable.

En apparence très entourée, peu de gens savaient pourtant ce qu’était réellement sa vie.
Quant à son cœur, il était, depuis ce qui semblait être une éternité, tiraillé entre Erwan et Yanis.

EVOLUTION
Le brusque enlèvement de ses parents la plongea dans un état d’hébètement qui la fit un temps subir les évènements d’avantage qu’elle n’y participait, mais très vite, il apparaitrait qu’elle était non seulement l’une des clefs de cette histoire, mais aussi sans doute sa plus grande héroïne.
Elle deviendrait d’ailleurs, comme Yanis, une très grande Chymère.

PARENTS
Shaina et Otis Wade étaient un couple de chercheurs ; la première en ethno et neurobiologie, le second en phylogénétique. Ils avaient aussi en commun d’avoir fait leurs études à l’étranger grâce aux bourses délivrées par un grand consortium de nations.

ERWAN BOTHOREL
Ce beau-gosse de 17 ans était pour le lycée l’équivalent masculin de Jahia : une star. Aussi, il ne comprenait pas pourquoi cette dernière n’acceptait toujours pas de sortir avec lui.
Et s’il n’était certes pas très doué en cours, ne s’intéressant qu’aux types de hobbies généralement attribués aux jeunes gens écervelés de son espèce, il paraissait cependant toujours transporté par une réelle sincérité lorsqu’il s’agissait d’elle.

EVOLUTION
Loin d’être aussi bête que ce qu’il craignait parfois lui-même, Erwan prouva son courage dès le début de cette aventure.
Il s’avèrerait cependant qu’il n’était pas destiné à devenir une Chymère, mais devrait tout de même occuper une fonction tout à fait capitale, et inédite, au sein de l’ordre …

PARENTS
Sa famille figurait paradoxalement l’archétype parfait de ce qu’était la Martinique ;
Son père, Loeizig, venait de Fouesnant où il avait rencontré sa première épouse, Téréza, une hongroise avec laquelle il l’avait eu, lui, Erwan. Depuis divorcé, mais toujours associé avec son ex-femme dans une société d’édition multimédia qui les avait conduits sur l’île aux fleurs, son père s’était remarié avec une marseillaise d’origine marocaine, Hind, avec laquelle il avait eu une fille, alors âgée de 9 ans : Léandre.

Que du bonheur !

TAÏNO
Agé d’à peine vingt ans, il donna l’impression d’être un vagabond au groupe de lycéens venu solliciter son aide.
Et de fait, Taïno, qui s’était lui-même baptisé ainsi, avait bien été un enfant des rues.

Plus malin que les autres, il avait traversé l’adolescence grâce à des arnaques de plus en plus élaborées, dont les Chymères trouvaient les traces au hasard des réseaux où ils opéraient.
Il accepta donc la proposition de rejoindre leur programme d’initiation.

Intronisé dans l’ordre, il deviendra le plus jeune Maître de Yanis et Jahia.

CHYEN FER
Personnage mystérieux d’un âge difficile à déterminer, quoique relativement avancé, il dirigeait l’ordre des Chymères.

Son aspect était saisissant ; ses costumes et ses tatouages se mêlaient dans une esthétique relevant tout autant du tribal que du cyberpunk.
Une dualité très présente dans son ordre de hackers, dont l’essentiel des actions se déroulait sur les réseaux, mais dont l’inspiration semblait pourtant essentiellement provenir de la nature, et de leur histoire.

Leurs histoires en réalité, car les Chymères étaient d’origines éparses.
Ils avaient toutefois en commun une maîtrise de technologies variées, confinant au génie.
Le Forain, ancien analyste, pouvait par exemple tout réparer.
TOUT.

Mais Chyen Fer restait le plus doué d’entre eux.
Lorsqu’il s’appelait encore Derek Stone, il fut même l’ingénieur d’études le plus précieux de Karl Soffrey, pour lequel il avait en partie conçu l’embryon de ce qui deviendrait, bien malgré lui, GlobalFrames.
C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il avait quitté la société avec fracas, non sans avoir au préalable créé un robot qui lui servirait de plateforme opérationnelle mobile, et pour lequel il s’inspira du chien fer, endémique de la Martinique, et notamment caractérisé par sa peau nue.

Le premier totem était né.

KARL SOFFREY
Ce quinquagénaire avait occupé les plus grandes fonctions au sein d’organisations politiques internationales, mais, d’avantage carriériste qu’humaniste, fit fortune grâce au secteur privé ; notamment au cours de conflits dont il équipait en général tous les camps.

L‘homme s’était cependant reconverti à temps avec la Frames Entertainment Company, qui adaptait les produits de ses activités précédentes à des applications plus … festives.
Il s’était basé en Martinique pour les largesses affichées de cette dernière à l’égard des Grands Industriels, sa localisation géographique stratégique, et son statut indépendant associé aux liens qu’elle entretenait toujours avec de grandes puissances.

GlobalFrames était donc un rêve né de son avidité plutôt que du désir, futile à ses yeux, de contrôler le monde ;

Un réseau social intelligent dont le but était de relier les modèles de tout ce qui constituait cette planète : êtres humains, institutions, mais aussi populations animales, sites et phénomène naturels, entre autres abstractions …
Afin de tous les faire communiquer entre eux.

Un réseau social intelligent dans lequel votre profil en accumulait d’ailleurs rapidement beaucoup plus sur vous, que vous-même, et pouvait prendre l’initiative de vos interactions avec le monde.

Toujours dans l’objectif, bien entendu, de calculer au mieux votre trajectoire de vie …

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