The kink
walkman
Elle est coincée entre deux torses nus qui semblent presque s'entrelacer eux-mêmes. Là, même si elle le désirait, pas moyen de faire marche arrière. Et je me demande, de mon fauteuil, si elle continue de faire ça pour m'impressionner ou s'il y a vraiment du plaisir pas cher à ravir. Les yeux, comme des graines de cafés, d'Ernesto sont braqués sur moi. Il se tripote le bouc, patiemment, convaincu que je ne vais pas tarder à exploser et à arroser ses murs avec mon verbe acéré, beaucoup de décibels, et il a hâte de voir ça. Alors je gagne du temps.
Je trouve ça dommage qu'une telle beauté se sacrifie ainsi pour un peu de vie. Les deux types qui la ceignent n'ont pas grand intérêt, ni pour elle, ni pour moi, ni pour le reste du monde. Ils s'empaleraient si elle le demandait, et ils y trouverait du plaisir. Peut-être jusqu'à l'orgasme, rien qu'en imaginant Lola s'exciter à cause du spectacle navrant.
Mais ce n'est pas moi qui vais exploser, rompre le charme érotique de cette pitoyable scène de cul. Ça ne m'intéresse pas de l'empêcher de gâcher son talent, pas plus que de la voir jouir. Alors oui j'ai envie d'elle la plupart du temps, parce qu'elle m'obsède, comme si j'étais attaché au mât d'un bateau perdu au milieu des flots et qu'elle chantait si bien que les notes musicales ôteraient peu à peu l'humanité de mes veines. Je sais que ce n'est pas moi qui serait déçu au final. C'est uniquement à elle qu'elle se fera du mal.
Dans leur tango à trois, elle me regarde. Cherchant l'envie, le désir, la réciprocité, la jalousie. Est-ce que ces deux types qui la déshabillent sont en train de mourir dans mes idées ? Elle ouvre ses bras et les passe derrière elle, serrant un amant contre son dos, se faisant captive de celui qu'elle a de face et qui la mord dans le coup. Il y a de petites rides sur son front, entre ses sourcils. Autant de neurones qui ne parviennent pas à contenir tant de plaisir. Ses seins parfaits, comme deux petits pains chauds servis à un clochard affamé, ornés de tétons mates, durs, désemparés. J'essaie de ne pas m'y attarder.
Pendant que j'ai cessé de lui prêter attention, Ernesto a servi deux verres et il les a disposé sur une table que je n'avais même pas remarquée. Une petite table d’appoint entre nos deux fauteuils. Il s'agit d'un liquide cuivré, d'une pureté infernale, d'une odeur troublée par les narcotiques mais pourtant puissante et imperturbable. Le Dieu vivant pour lequel il se prend doit s'imaginer que je vais couler le verre, ouvrir ma ceinture et me mettre à me masturber. Je le laisse espérer en empoignant le récipient.
Lola ne me regarde plus, elle a les jambes qui flanchent à cause des hormones, de la main d'un des types qui est passée sous son collant, sous son string et qui la masse comme une si belle poterie fragile. De toute la tentation dont je fais l'objet, il y a vraiment ses lèvres qui m'interpellent. Un rose si timide qu'il dissimile le feu des enfers. Des dents brillantes qui les caressent de manière irrésistible. Celui qui la tient derrière elle, a remonté ses cheveux noirs comme les ténèbres, longs comme l'agonie d'un cancer, parfumé comme le désert. Il y a chez cette femme une entité sexuelle parfaitement diabolique. Je commence à me faire à ce décor splendide, à aimer le voyeurisme, à obéir à ses pulsions, donc à replonger, fatalement.
Ernesto s'est mis à sourire, en la regardant. Il pince aussi ses lèvres et je devine à la forme de son pantalon que sa libido est toute heureuse d'assister à ça. Il n'a pas encore touché au verre qu'il a servi. Peut-être pour me prouver quelque chose. Me montrer qu'il sait ce que ça fait de faire l'amour à Lady Kink. Quand il sent mon regard, déconcentré, qui a fui la scène, il me remet dans le coup d'un geste du menton.
Lola est à genoux, aux portes d'une queue chanceuse, qui ne va pas tarder à découvrir la profondeur de sa gorge, le sucre de sa salive, la douceur de sa langue. Elle défait la braguette, les cheveux encore agrippés par celui qui se tient derrière elle, le regard en appétit devant la fellation qui se prépare.
Une main se pose sur mon épaule et la barbe ridicule de l'espagnol se meut dans le bruitage pornographique.
« Tu regrettes, l'américain ? »
Je ne lui ferai pas ce plaisir. Même si c'est difficile. Je ne dois pas oublier à quel point il y a quelque chose de dégradant. Il y a trop d'anomalies pour que ça devienne fantasmagorique. Je suis prêt à parier que la belle n'a pas réellement envie de servir de garniture aux deux tranches qui l'emprisonnent. Ce n'est pas ça le sexe, ce n'est pas partager avec quelqu'un. Il manque un ingrédient. Pas forcément des sentiments, on peut s'assouvir seulement par le biais d'émotions primaires, animales, naturelles. Non, il manque autre chose. L'évidence. Dans la vie, quand tout va bien, aucune femme à la beauté aussi puissante, ne se tient à genoux devant deux types aussi minables, le tout reluqué par deux porcs au bord de la rupture. Ce n'est pas elle qui doit les soulager. Ce devrait être l'inverse. Ils devraient vouer un culte à ses formes envoûtantes, à son parfum, à son savoir-faire.
Maintenant elle se redresse, elle les prend par la nuque, elle les fait s'embrasser, et ils se regardent pour refuser. Ernesto ne comprend pas, et trouve tout cela bien dérangeant. Je bois, l'alcool descend et par le principe des vases communicants, ça va mieux pour le moral. Elle va choisir de les faire forniquer entre eux, et se planquer derrière la barrière de sécurité. Quand ils entendent les promesses qu'elle leur murmure, ils s'exécutent. Sans entrain, au début, puis ils se découvrent ce qui était jusqu'alors une ignorance. Ils aiment s'embrasser la verge à l'air et en flèche. Elle les astique de plus en plus lentement, finissant d'une vague caresse. C'est comme s'ils avaient presque oublier sa présence. Ou alors comme s'ils poursuivaient l'acte sexuel derrière leurs paupières closes. Ernesto n'est plus excité, il se prépare à un caprice. Je pose à côté du sien, mon verre vide. Je pose la main sur son entrejambe tendu vers le ciel.
« La prochaine fois que tu m'invites à une partouze avec tes potes gays, ne compte pas sur elle. »
Je me lève de mon fauteuil en ramassant un des vêtements de Lola. Je le lui jette au visage.
« Tu pourras toujours éjaculer là-dedans. »
Je prends enfin la direction de la porte d'entrée. Lola me regarde partir, sans aucun désir sexuel. Il part avec moi. Elle voulait juste que je la vois nue, que je la fantasme en rentrant chez moi. Elle compte sur ma perversion. Je ne sais pas encore à quelle fin. Si c'est juste pour qu'on baise ensemble ou bien si ses espoirs sont plus grands. Toujours est-il que, puisque je pars en les laissant en plan, elle ne ressent plus d'excitation. Mais cela n'a pas été remplacé par a honte.
« Alors, on ne baise pas ? »
J'ouvre la porte. J'étais parti pour la claquer sans rien dire. Mais je lui accorde quelque chose qui sera à prendre comme un baiser d'au revoir.
« J'admire les gens qui vivent leur sexualité sans réserve. Surtout quand c'est une femme. Tu es une belle femme, Lola. Vis ta sexualité, pas la mienne. »
Le whisky n'était même pas inoubliable.
Intime question, jusqu'où peut-on aller par amour? Maheureusement parfois...trop loin de soi et surtout si loin de...l'amour!!!
· Il y a presque 12 ans ·nephelie