Timoteo - concours Apocalypse

gulzar-joby

CONCOURS UNIVERS POCHE

APOCALYPSE

3 épisodes + synopsis + note d’intention

Un petit mot pour le jury.

Conformément au règlement du concours, voici les trois premiers chapitres du roman.  

À leur suite, un synopsis des vingt chapitres ainsi qu’une note d’intention permettent d‘appréhender au mieux l‘ensemble du récit.

Le roman, prêt à être poursuivi, comportera des chapitres d’environ 14 000 à 14 500 signes.

Timoteo

Épisode un  / premier jour

Timoteo renonça à quémander. Il n’aurait pas droit à son épisode de Timothée Titan avant d’aller au lit. C’était pourtant l’habitude, surtout que Timothée luttait contre le Baron Habeas Porkus. Mais ce soir, il y avait plus dramatique. Il mourait d’envie d’en savoir plus sur les mauvaises nouvelles qu’on lui cachait.

- Qu’est-ce qui se passe, maman ? C’est la crise ?

- Non, mon chéri, ce n’est pas la crise. Va dormir, sois un gentil garçon.

Timoteo ne savait plus quoi penser. Jamais il n’avait vu ses parents aussi inquiets, téléphonant sans cesse dans toutes les langues. Maman disait la vérité. Quand c’était la crise, il y avait plein de nombres aux infos. Là, il n’y avait que des gens qui pleuraient, comme pour les inondations, des avions qui volaient, des militaires et des présentateurs qui ne souriaient plus. Rien ni personne n’aurait pu l’empêcher de jeter un  coup d’œil aux chaînes d‘info, réfugié qu’il était derrière le canapé.

- Ça se passe où ?

Il n’obtint pas de réponse, mais d’un coup papa le poussa dans le couloir.

- Dans ta chambre, Timo ! Va dormir.

Puis il referma la porte vitrée.

Ce fut si soudain que Timoteo n’eut qu’une envie, pleurnicher. Papa l’avait chassé de la télé. Même la grandiose cérémonie d’enterrement de Kim Jong-il, il avait eu droit de regarder. Pour du malheur, ça avait été du malheur. Je te dis que ce n’est pas un phénomène orageux ! Tu as déjà vu la foudre, une fois dans ta vie ? Qu’est-ce qu’on va faire, Thierry ? Attendre un communiqué des autorités et arrête de t‘inquiéter ça ne sert à rien. De toute manière, il ne se passe rien ici. J’appelle ma sœur à Brest, occupe-toi de ton fils ! Dans son pyjama bleu qu’il n’aimait pas, Timoteo se retrouva seul au monde dans l‘étroit couloir. Maudite porte vitrée qui ne laissait rien voir !

Pourtant, il n’avait rien fait de mal, rien cassé. Il avait même accepté d’avaler de ce maudit chou sans saveur et n‘avait pas fait de caprice pour retourner jouer au Monopoly avec son copain Guo. La partie de l’après-midi n’était pourtant pas terminée, alors qu‘il gagnait. Tout Shanghai serait bientôt à lui.

Peut-être que s’il faisait tout comme il faut, il pourrait retourner devant la télé ? Timoteo alla se laver les dents puis revint frapper à la porte du salon.

- Va te coucher, Timo !

La voix de maman lui fit peur. Timoteo n‘insista pas. Laissant sa lampe de chevet Godzilla allumée, il éteignit le plafonnier et écouta, écouta encore, sans rien entendre de distinct. Quelque chose se passait, mystérieux, peuplé d‘animaux à grandes dents. Pire, ni papa ni maman ne venaient le border. Serrant son gros Totoro au pelage marron, Timoteo se sentit un peu mieux. Le sourire éclatant de la peluche le réconforta. Les yeux écarquillés, il ne voulait pas dormir, surtout pas.

Un par un, les nouveaux lampadaires du quartier s’allumèrent. Les rez-de-chaussée des immeubles furent plongés dans une rassurante lumière chassant les ténèbres sociaux et l’insécurité. C’était du moins ce que proclamait l’affichette près des boîtes-aux-lettres. Guo lui traduisait très sérieusement chaque slogan qu’ils rencontraient ensemble.

Tandis que Timoteo cherchait confusément ce qu’il pouvait y avoir de pire qu’une crise économique dans le monde pour faire peur à ses parents, le sommeil l’emporta.

*

Dégoulinante de peur, la bête immonde se nourrissant de jouets fuyait devant le Parti victorieux. Du haut de l’immeuble Timoteo la voyait bondir au-dessus de Hongkong en joie. Dagobert lui mordait même une patte sous l’orage furieux. Il n’y avait plus rien à craindre, la France était sauvée. Papi et mamie préparaient Noël en plantant un sapin dans leur salle-à-manger. L’inflation se tenait tranquille, la croissance continuait, apportant des cadeaux par milliers dans les petits souliers. Mais papa et maman se disputaient encore et toujours. Curieusement, Timothée Titan était absent, resté sur la planète Noire avec le chaméléon Propergol.

*

Encore ensommeillé, Timoteo ne trouva pas son Totoro. Il dut se pencher pour le récupérer, la peluche avait chuté du lit dans la nuit. 

Le soleil parvint à percer entre deux nuages. À travers les rideaux, un fin rayon traversa la douce pénombre matinale de sa chambre. C’était si rare, que Timoteo rejeta ses deux couvertures pour en profiter. Une seule ne suffisait pas à tenir chaud malgré le chauffage électrique de sa chambre poussé au maximum. Le froid régnait en maître cruel, s’insinuait de partout. Timoteo ne savait plus qui était qui. Les voisins sortaient emmitouflés sous les écharpes, les bonnets et les capuches. Étrangement, tout le monde le reconnaissait, le petit français qui refusait de jouer au ballon.

L’inquiétude le reprit, malgré la joie d‘apercevoir le soleil si rare. Timoteo ouvrit la fenêtre, donnant sur une grille solidement fixée au mur. Des cris montaient des allées intérieures et des passerelles reliant les immeubles. Mais Timoteo n’y fit guère attention, il y avait toujours des couples qui se disputaient. On parlait fort pour héler le livreur de raviolis ou mettre à la porte ses beaux-parents. C’était un spectacle permanent, des fêtes patriotiques aux mariages.

De bon matin, les jeunes squatteurs de bancs buvaient déjà bière sur bière. Certains avaient des coiffures étonnantes de toutes les couleurs, d’autres avaient le crâne rasé, d’autres encore les bras tatoués. Le plus étonnant, c’est qu’ils ne faisaient pas le moindre sport.

Enfilant ses pantoufles Pokémon, Timoteo réfléchit quelques instants, très sérieusement. Aucun doute, hier soir, il avait été parfait. Il avait même rangé sa chambre. C’est-à-dire qu’il avait tout remisé en vrac sous le lit, mais c‘était déjà un bel effort. Pourtant, ni papa ni maman n’était venu lui faire un câlin. Ce devait être la guerre, finalement. Mieux que ça, la guérilla, comme en Colombie !

Dehors, le brouhaha s’intensifiait. Des sirènes de Police rajoutaient à la confusion. Son réveil matin mécanique Donald indiquait neuf heures passées. Même s’il n’avait pas école aujourd‘hui, habituellement à sept heures dix maman le réveillait. À huit heures moins le quart, il descendait passer la journée chez la jolie Li Mei qui le gardait avec huit autres gamins. Autant dire que l’appartement ressemblait plus à un vaste chantier qu’au logement bien tenu d’une jeune fille soigneuse pas encore mariée. En vadrouille, Guo venait lui aussi parfois contribuer à la grande entreprise de démolition. 

Avant de s’endormir, Timoteo avait souhaité très fort que tout redevienne normal au matin. Mais il n’osait pas sortir de sa chambre. La radio restait muette, pas un bruit ne venait de la cuisine.

Papa et maman l’avaient oublié.

Timoteo ne pouvait le croire. Papa ne rentrait parfois pas de la semaine, mais maman ne partait jamais en ville tenir son rayon parfumerie avant de l‘avoir confié à Li Mei ou conduit à l‘école française.

Son Totoro dans les bras, il se décida finalement à sortir de sa chambre. Située juste à côté de la cuisine, il n‘avait que trois pas à faire pour piller le placard à gâteaux. Ses parents, eux, se plaignaient sans cesse du petit appartement trouvé par la multinationale de papa. Ils devaient faire vite la vaisselle et lancer la machine à laver avant qu’il ne se couche pour que le bruit ne l’empêche pas de dormir.

Multinationale, Timoteo adorait ce mot magique. Plus tard, lui aussi travaillerait dans une multinationale. Il y en avait partout et qui fabriquaient tout plein de choses pour la planète, il n’aurait que l’embarras du choix. Timoteo tentait de s’en persuader. La journée allait reprendre son cours normal.

Le pire était pourtant à venir.

Rien n’était prêt.

Papa et maman ne s’étaient pas levés ; pas un bol sur la table, pas une casserole sur la cuisinière. Timoteo ouvrit le frigo décoré de ses dessins rapportés de l‘école. Rien n’avait disparu. Le beurre était là, avec la confiture de fraises, les yaourts français hors de prix et le restant du maudit chou d’hier soir. 

Ça ne pouvait plus durer. Timoteo avait faim et devait finir cette partie de Monopoly au plus vite avec Guo. Prêt à tout pardonner et à sauter sur le grand lit, il entra dans la chambre de ses parents, pour la trouver vide.

Ne restait plus que le salon.

Timoteo poussa la porte vitrée. Il n’y avait aucun monstre à grandes dents. Papa et maman étaient là. Mais ce n’étaient plus papa et maman, juste deux êtres recroquevillés dans la pénombre devant la télévision allumée.  Le téléphone posé sur la table basse ne sonnait plus, mort.

Ils ne virent pas leur propre enfant.

Sans bruit, Timoteo referma la porte et s’en retourna à la cuisine, traînant son Totoro par une patte. La guérilla arrivait ! Peut-être qu’un immeuble était en feu ? Peut-être qu’un attentat l’avait fait s’écrouler ? Voilà pourquoi ses parents pleuraient. il devait y avoir des morts partout. Timoteo préférait autant que ce ne soit pas une grippe des poulets qui tuait tout le monde.

Ayant enfin trouvé l’explication, Timoteo voulut la partager avec son meilleur copain Guo. Mais il n’osa tout de même pas sortir de l’appartement. Ne restait plus alors qu’à observer ce qui se passait du minuscule balcon de la cuisine.

Seulement, du dix-huitième, il ne verrait pas grand chose. Il faudrait monter sur le tabouret, chose interdite. Timoteo serra fort son Totoro, eut envie de rejoindre ses parents, de se blottir dans leurs bras. Mais ce n’étaient plus des parents, il devait se débrouiller seul en cette belle matinée ensoleillée. Comment faire confiance à une mère et un père qui ne vous préparaient pas votre petit-déjeuner ?

Il savait faire chauffer le lait, mettre ses tartines lui-même dans le grille-pain. Il déjeunerait, l’incendie serait éteint et tout rentrerait dans l’ordre. Timoteo retourna dans sa chambre, déposa son Tororo sur le lit et tira le carton spécial "précieux, à ne pas prêter à n‘importe qui" du bas de l’armoire et en sortit la sacoche. Le poids des jumelles ramenées d’Aurillac et la lanière qui lui tirait sur le cou le rassurèrent.

D’un coup Timoteo repartait à la chasse, se retrouvait à la campagne, celle de papi et mamie, faite de boue et de lapins invisibles que l’on ne voyait vraiment jamais. À croire que cet animal était une légende. Bugs Bunny, lui au moins, il existait pour de bon.

Timoteo retourna à la cuisine en évitant de jeter un œil dans le couloir et ouvrit grand la porte-fenêtre.

Le froid le saisit, implacable. Dans son pyjama bleu, Timoteo se mit à trembler et à gémir. Le choix était difficile. S’il attrapait froid, il allait encore de se faire disputer ; ou être malade très longtemps et rater l’avion pour Noël chez papi et mamie.

Refermant provisoirement la porte-fenêtre, il retourna dans le couloir décrocher son anorak du portemanteau.

Ce qui lui restait de parents ne bougeait toujours pas du salon.

Prêt à affronter le froid, malgré le courant d‘air qui faisait frissonner ses jambes, Timoteo dégagea le tabouret du fatras accumulé et monta dessus. Il aurait aussi bien pu utiliser la marmite de poulet aux champignons noirs, le balcon servant utilement de congélateur pour les quelques mois d‘hiver. Mais le tabouret, c’était moins dangereux, même s‘il n‘était guère pratique.

Il dépassait tout juste suffisamment la rambarde métallique trop haute pour lui. En équilibre précaire, Timoteo mit les lourdes jumelles sur le nez et régla la molette de mise au point.

La déception fut à la hauteur de ses attentes. Des voisins eux-aussi regardaient au loin avec des jumelles, allant et venant sur leur terrasse. Hébété, Timoteo n’en revenait pas. Il croyait bien être le seul de tout le pays à posséder des jumelles. Mais non.

La désagréable surprise passée, il scruta cette fois les façades de tous les immeubles, une par une. Il n’y avait pas d’incendie, nulle part. En vérité, Timoteo le savait déjà en grimpant sur le tabouret. Quand il y avait le feu, il y avait de la fumée. Il eut envie de pleurer. Il s’était trompé. C’était la grippe des poulets ! Même le Parti ne pouvait rien contre ! Il allait mourir.

Pour se rassurer, Timoteo pointa ses jumelles sur la voiture de Chang. Constamment garé à la même place, il écoutait du matin au soir de la musique dans sa Chery QQ6. Repeinte en rose et customisée à outrance, elle exhibait ses flancs surchargés d’idéogrammes jaune baveux, son aileron arrière démesuré et ses huit phares défigurant la calandre.

D’habitude, les gens habitaient dans des maisons ou en appartement, lui vivait dans sa voiture. Sa mère tapait à la vitre pour lui apporter de temps en temps à manger. Timoteo n’avait qu’à ouvrir la fenêtre pour profiter des plus chouettes morceaux. Seulement l’hiver était venu et le froid avait vaincu sa curiosité pour le Heavy Metal local. 

Au moins Chang était toujours là, tandis qu’au loin passaient trois hélicoptères. Timoteo se demanda soudain si les poulets volaient pour de vrai. L’Armée Populaire allait les décimer !

Déplaçant le tabouret, Timoteo put regarder du côté des grands axes. Les bus se succédaient sur leur couloir réservé, quelques voitures et camionnettes circulaient sur la six voies, moins nombreuses que d‘habitude. Il faudrait qu’il demande à papa comment on tuait des millions et des millions de poulets.

Se hissant sur la pointe de ses pantoufles Pokémon, Timoteo parvint à plonger ses jumelles dans le vide. Sur les parcs de stationnement, dans les contre-allées, scooters et voitures s’accumulaient, comme si personne n’était parti travailler ce matin. Timoeto n’avait jamais vu autant de monde dehors, refusant de quitter la rue face à aux quelques policiers. Normalement, à cette heure-ci, il n’y avait plus guère que les vieux qui déambulaient avec leurs caddies et les paresseux comme les appelait papa.

Ne trouvant rien de mieux à faire, Timoteo tourna ses lourdes jumelles vers le grand écran au-dessus du Yao Ming Café, normalement réservé aux dernières publicités à la mode et aux retransmissions sportives de basket. La victoire n’était pas en vue. Il n’entendait aucun cri de joie, aucun sifflet rageur. Seule l’humiliante défaite provoquait un tel abattement. Confuses, les images s’envolèrent dans l’air glacial jusqu’au douzième étage et jaillirent devant les yeux d’enfant de Timoteo.

Un peu partout sur la planète, des couteaux de feu découpaient des gens, leur ouvraient le crâne en deux.

2 379 mots / 14 263 signes

*

Épisode deux  / deuxième jour

Timoteo n’eut pas le temps d’en voir plus. Il fut soulevé dans les airs, porté jusqu’à une chaise.

- Tu aurais pu tomber ! Combien de fois je t’ai dit de ne pas monter sur la rambarde du balcon !

- Les gens, ils se font découper !

Maman le lâcha et finit par s’asseoir, très fatiguée. Papa referma la porte-fenêtre et s’écroula lui aussi sur la dernière chaise libre.

- Je t’avais bien dit qu’il fallait lui parler de ce qui se passe, il n’a plus trois ans !

- Tu l’élèves mieux que moi, peut-être ?

Dans la minuscule cuisine, il n’était plus question de petit déjeuner. C’était la guérilla, Timoteo ne voyait pas ce que cela pouvait être d’autre. Ça ne ressemblait pas du tout à une crise économique.

Un semblant de bonheur chassa sa peur. Maman le prit dans ses bras, enfin. Tout redevint normal, il allait pouvoir manger des tartines et retourner jouer avec Guo.

- Maman, c’est la guérilla ?

- Ecoute Timo, il se passe de drôles de choses, que personne n‘arrive à comprendre. Tu ne crains rien, mon chéri ! Nous allons rester ensemble, je ne t’emmène pas à l’école aujourd’hui.

Maman avait oublié que de toute manière, il n’y avait pas classe. Au moins avait-elle repris forme humaine, tout comme papa qui ne levait pas le nez de son portable.

- Tes grands-parents vont bien, ils ne sont pas… Enfin tout va bien chez eux. Ça va passer ! Viens mon garçon.

- Et le Parti, il va faire quoi ?

- Le Parti, il va faire ce qu’il faut, crois-moi ! J’espère juste qu’ils ne vont pas fermer les frontières, c’est ce qui peut arriver de pire…

Timoteo abandonna un instant maman pour se blottir contre papa. Papi et mamie n’était pas morts. Voilà ce qu’il avait voulu dire. Ils n’avaient pas été découpés.

- Et Dagobert ?

- Le chien va bien aussi, ne t’inquiète pas. Il ne faut pas avoir peur, d’accord ? Maman va tenir le coup.

-Je peux aller voir Guo ?

- Plus tard, pas maintenant. Et Wang qui ne répond toujours pas !

Renonçant à téléphoner avec son portable dernier cri, papa retourna au salon et revint avec sa tablette Apple. Maman en avait longtemps ri. C’était une fausse, une copie vendue à peine moins chère qu’une vraie. Papa s’était fait avoir. Mais comme elle fonctionnait, il l’avait gardée.

Une fois branchée sur la multiprise collée au mur, il se mit à consulter le peu de réseau mondial accessible. 

- C’est partout pareil. Bon sang, j’arrive pas à comprendre ! CZTV dit juste de ne pas bouger de chez soi pour la journée. Comme depuis hier soir, rien de plus. Mais ça avance, c’est terrifiant !  Tous les avions restent au sol, c’est confirmé.

Timoteo se recroquevilla sur sa chaise. Pas les avions ! Il ne voulait pas rater Noël chez papi et mamie et rester ici comme un pauvre malheureux, à manger du chou.

Comme par miracle, maman se leva et sortit les bols qui restèrent tous trois esseulés sur la table. Puis ce fut tout. Timoteo rajouta les cuillères pendant qu’elle prenait ses cachets du matin dans un verre de Coca-Cola.

Rien ne rentrait dans l’ordre. La guérilla ce devait être ça ; plus de petit-déjeuner.

Un nouvel hélicoptère passa bien plus près cette fois, faisant vibrer les vitres de l’immeuble. Timoteo enleva son anorak, le posa sur le dossier de chaise. Sur le balcon, il l’avait protégé du froid, dans la cuisine, il lui tenait trop chaud.

- Maman, on ne pourrait pas déjeuner ?

- Oui, bien sûr mon chéri.

Maman ouvrit le réfrigérateur, s’occupa du lait mais oublia la confiture, le beurre et les précieux yaourts. Dans un dernier réflexe primaire, elle trouva la casserole, la remplit à moitié. Mais oublia de ranger le carton de lait, égaré sur la machine à laver.

Ce n’était toujours pas sa maman.

Sur le parc de stationnement, Chang poussa brutalement les baffles de sa Chery QQ6. Le Heavy Metal se répandit entre les immeubles, submergea la rumeur de la foule agglutinée devant le Yao Ming Café.

- Pourquoi il y a des couteaux de feu dans le ciel ?

- Je ne sais pas, demande à ton père, il sait toujours tout…

- Ah, quand même, on ferme les Bourses, c’est pas trop tôt ! C’est sûrement un accident, Timo. Une expérience de scientifiques qui a mal tourné. J’ai toujours dit qu’on devrait arrêter toutes ces recherches inutiles sur leurs bosons, leurs particules de Dieu ! Regarde ce qui arrive, maintenant !

- Tu n’en sais rien ! Arrête de t’énerver comme ça, tu me fatigues.

Timoteo plongea son doigt dans le lait de la casserole. Pas assez chaud. La dispute le réconfortait. Tout redevenait comme avant. 

On sonna à la porte. Papa se leva, abandonna sa tablette sur la table. Timoteo y jeta un œil, sans oser la prendre. Beaucoup d’idéogrammes défilaient, qu’il peinait encore à reconnaître en dehors des devantures de magasins.

- Ne bougez pas, j’y vais. Ça doit être Madame Zhào.

Sans surprise, c’était elle.

Maman lui caressait les cheveux, et rejoignit papa dans le couloir. Timoteo avait compris, il se ferait son chocolat tout seul, ce n’était pas la peine d’attendre que tout rentre dans l’ordre. Il tira sa chaise, grimpa dessus et sortit le Van Houten du placard en hauteur, en profita pour descendre son paquet de gâteaux préférés, des Galettes du Cotentin Reflets de France. À la guerre comme à la guerre.

Puis il versa le chocolat dans son bol décoré d’un dragon en furie qui en faisait le tour. Il n’était même pas original, il y avait les mêmes dans toutes les boutiques pour touristes. Timoteo aurait préféré un vrai bol Dragon Ball Z. Il rajouta trois cuillérées de sucre. Sans, le pur chocolat se révélait infect, une vraie torture. Il replongea le doigt dans le lait. Tiède.

Dans deux heures ! Ça arrive dans deux heures sur Hong Kong ! Wang a appelé, il préfère que je reste ici. Parce que tu comptais aller travailler ? Bien sûr, je ne peux pas déserter le service qualité à un mois de Noël ! Tu ne peux pas abandonner ta famille, oui ! Tu crois que je vais à la parfumerie aujourd’hui, que je vais vendre du Chanel ? Que je vais tranquillement prendre le bus et m‘acheter des chaussures ? Reste avec nous, un point c’est tout !

Maman continua à crier dans le couloir. Madame Zhào devait être repartie, prête à organiser la résistance à l‘ennemi. La guérilla n’était donc pas finie.

Elle nous propose de descendre dans les caves. Pas question, la ville est sûre ! Mais pourquoi refuser, l’on serait plus à l’abri ? Personne n’osera attaquer ce pays, je te dis, pas le premier marché du monde ! Nous restons dans l’appartement, cachés dans la chambre.

Maman revint à la cuisine, arrêta le lait sur le feu, ne sortit même pas les biscottes et reprit un cachet supplémentaire, cette fois-ci dans un verre d‘eau.

- Je voudrais bien déjeuner…

- Plus tard Timo. Il faut que tu ailles dans notre chambre ! Obéis !

- D’accord, j’aime bien me cacher.

Son chocolat chaud attendrait, finalement. Il fallait bien qu’il aide papa et maman comme il le pouvait. Et le plus simple était de ne pas faire de caprices.

- Va chercher quelque chose pour t‘occuper, mon chéri. Je ne sais pas, ta console.

- Non, ne prends pas ta console, Timo !

Surprise, maman se retourna vers papa qui s’emparait de la cafetière.

- Mais qu’est-ce qu’il te prend ? Tu l’inquiètes encore plus ! Il en a déjà trop vu avec ses jumelles ! D’ailleurs Timo, donne-les moi !

- Je veux les garder !

Cette fois, papa s’attaqua à l’étroit lave-linge et au frigo.

- C’est une arme. C’est forcément une arme, sûrement sensible à l’électricité ou à l’électronique. Il faut tout débrancher ! C’est inutile de descendre à la cave, on ne nous largue pas des bombes sur la tête, que je sache !

- Ne dis pas ça devant Timo, je t’en prie ! Fais ce que tu veux, mais ne prends pas la voiture, tu restes avec nous !

- Je ne vais pas partir ! Et ne me hurle pas dessus, je n’y suis pour rien, moi !

Dans sa chambre, Timoteo prit ses quatre albums de Timothée Titan, qu’il adorait. C’était chouette d’avoir un héros qui portait presque le même nom que soi. Au moins, il aurait de quoi lire. Et il avait sauvé ses jumelles !

D’un coup, son cœur flancha. Il avait failli oublier sa valise. Timoteo la porta dans la chambre de ses parents, à peine plus grande que la sienne en vérité. S’il fallait partir très vite, il serait prêt.

Il croisa son père, qui lui prit sans vergogne son réveil matin.

- Nous aurons l’heure comme ça ! Ça ne doit pas être sensible à la vieille mécanique.

Tous les trois se retrouvèrent dans la chambre, à ne pas trop comment savoir s’installer. Maman voulut rapporter la table et les chaises de la cuisine, puis y renonça ; le lit était suffisant. Dehors, le bruit de la foule diminuait. Tout l’immeuble avait dû se réfugier à la cave, où remonter dans les étages. Timoteo commença à relire "Rendez-vous sur Proctor V". Il adorait quand Timothé Titan plongeait dans la télévision pour aller rejoindre le magicien Hokus Pokus dans un autre univers. C’était chouette les autres univers.

Maman n’avait rien pris pour elle, retourna rapidement au salon prendre quelques revues. Papa, lui, relisait nerveusement les trois derniers Hong Kong Commercial Daily, y cherchant une vaine explication.

- Encore une demi-heure. 

La demi-heure passa. Dehors, le Heavy Metal constituait le dernier signe de vie. Il n’y avait plus d’hélicoptères, que de rares véhicules au loin conduits par des inconscients n’ayant pas allumé la radio ce matin. 

Vers midi, maman voulut sortir de la chambre pour préparer le repas. Papa hésita.

- Il vaut mieux que tu ne restes pas seule à la cuisine. Prends juste de quoi boire et faire des sandwichs ! Et fais vite, je reste avec Timo.

- Il faut bien mettre le contenu du frigo sur le balcon ! Ça, tu n’y as pas pensé !

De son côté, Timoteo avait caché le paquet de gâteaux dans sa valise et ne le sortirait qu‘en extrême nécessité. Alors il pourrait sauver ses parents d’une faim atroce. Car mieux valait ne pas toucher à la marmite de poulet aux champignons noirs !

Tout fut mangé sans empressement. Il n’y avait rien d’autre à faire qu’attendre. Soudainement, l’on courut dans le couloir. Dehors, des voitures, des scooters démarrèrent en trombe. Tout l’immeuble semblait prendre la fuite.

Fenêtre ouverte, papa se mit à hurler en anglais à travers le volet clos.

- Imbéciles, il ne faut pas rouler ! Débranchez vos télévisions, toute l’électronique ! Je devrais aller leur dire, qu’en penses-tu ? Ils ne pensent décidément à rien !

- J’en pense que tu restes là ! Et referme cette fenêtre, on va geler !

Pour la centième fois, papa consulta le réveil matin au rassurant tic-tac. Il avait fini par le garder contre lui, posé sur la moquette.

- Ça devrait déjà être là. Pourvu qu’ils n’attaquent pas Hongkong !

Timoteo osa une hypothèse. Après tout, il avait bien le droit d’avoir une idée.

- Peut-être que l’Armée les a arrêtés, que la guerre est finie ?

- Si seulement tu avais raison…

Maman suggéra alors à papa de retourner voir la télé.

- Ils donnent peut-être des nouvelles ! Ce matin encore, ça avançait sur l’Inde.

- Le problème, c’est qu’en la rallumant, je signale notre présence ! Tu n’as pas encore compris ?

- Ne me crie pas dessus !

- Le chauffage, j’ai oublié d’éteindre le chauffage électrique !

- Mais tu veux vraiment que ton fils attrape une pneumonie ?

- Je coupe le courant, un point c’est tout ! Quand une stratégie est définie, ne jamais l’abandonner. Ouvre donc le volet à moitié pour la lumière.

Furieuse, maman sortit des couvertures de l’armoire et les jeta n‘importe comment sur le lit. Avant de réaliser qu’elle n’avait pas tiré la couette, qui finit en boule contre le radiateur.

La chaleur resta un moment, puis se fit plus discrète pour définitivement s‘absenter. Timoteo se demanda ce qu’elle devenait lorsqu’elle disparaissait, où elle se cachait. Tout comme pour le vent, le mystère restait entier.

Bien vite, il renfila son anorak, avant de s’enrouler dans une couverture. Le soleil n’était plus là. Le vent s’était levé, ramenant les nuages de la mer dans les terres. Timothée Titan, lui, croupissait dans la forteresse-prison de l‘Empereur Isotop.

- Oh, bon sang, je suis sûr qu’un abruti de militaire a lâché une nouvelle arme, juste pour voir ! Ces gens-là n’ont aucun sens du commerce. Si ça se prolonge, c’est la catastrophe. Le consommateur n’achète plus rien quand il a peur, à part du sucre, c‘est bien connu. Alors, des jouets pour Noël, tu penses !

Adossé à la porte comme pour empêcher un monstre de la défoncer à coup de patte griffue, papa parlait sans plus s‘arrêter, cherchant la bonne explication. Car tout avait une explication, même quand les gens se faisaient découper avec des couteaux de feu. Timoteo n’avait pas rêvé, c’était bien ce qu’il avait vu sur le grand écran du Yao Ming Café.

Maman, elle, faisait semblant de suivre "Rendez-vous sur Proctor V" par dessus son épaule. Timoteo n’était pas dupe. Il s’obligeait cependant à lui raconter l‘album qu’il connaissait par cœur à force de le relire.

- Et alors Timothée Titan, avec Propergol, il s’échappe de la planète Proctor V dans le vaisseau du Capitaine Karaskal. Ce sont des pirates ! Mais le Général Montrakartz les poursuit. C’est parce que l’Empereur veut garder Timothée dans son zoo. Les terriens, c’est très rare dans la galaxie des trois mondes !

Timoteo s’arrêta au moment où les sbires robotisés de l‘Empereur grimpaient à leur tour à bord du vaisseau pirate. Des cris de terreur montaient le long de la façade en réfection. Ils étaient là. Les couteaux de feu voltigeaient au-dessus de Shenzhen. Il pouvait les voir, il pouvait les entendre, les sentir.

C’était drôle, Timoteo ne se voyait pas du tout découpé en morceaux. Timothée Titan allait échapper à la terrible menace. Et quand, il reviendrait sur Proctor V, l’Empereur Isotop allait encore prendre une sacrée déculottée.

Maman le secoua, lui prit l’album des mains.

- Timo, tu te souviens de Lascaux que nous avions visité avec mamie, des peintures d’animaux ? Nous allons nous cacher dans une grotte ! Rien ne nous arrivera !

La chaude couette recouvrit la famille, qui alors disparut du monde. Timoteo, papa et maman n’étaient plus là, partis ailleurs, dans un autre univers. Les premiers hurlements retentirent dans l’immeuble. Frénétiquement, papa remonta le réveil matin.

Du rez-de-chaussée au trente-deuxième étage, la journée fut interminable.

2 514 mots / 14 163 signes

*

Épisode trois  / troisième jour

Au petit matin, il fallut bien se décider à sortir de la chambre.

Avec sa barbe de trois jours, papa ressemblait aux clochards qui traînaient dans Paris. Le mieux serait de les envoyer dans un endroit où ils réapprendraient à travailler.

- Reste-là, Timo. Reste avec maman ! Je vais remettre le disjoncteur.

Enroulés dans les couvertures, la nuit sur la moquette n’avait pas été des plus confortables. Mais Timoteo avait fini par s’endormir malgré tout. Les couteaux de feu étaient partis avant minuit. Ni papa, ni maman n’avait pensé à dormir dans le lit. La guérilla c’était comme ça, on fait n’importe quoi ; comme passer la nuit à côté d’un grand lit vide.

Décoiffée, maman finit par aller aux toilettes et appela papi et mamie pour les rassurer. Papa, lui, remit le chauffage dans tout l‘appartement terriblement refroidi durant la nuit. Timoteo colla son oreille contre le mur donnant sur le couloir. Une femme se lamentait, n’arrêtait pas de pousser des cris. Tout l’étage s’agitait, des portes claquaient, les conversations s‘entremêlaient.

Timoteo n’avait plus guère envie de lire "Rendez-vous sur Proctor V" ou de s’acharner sur sa console de jeux. Il voulait tout simplement prendre son petit déjeuner, mais renonça à réclamer. Papa et maman restaient à discuter, la porte d’entrée à moitié ouverte sans oser sortir dans le couloir.

Des morts, il y avait eu des morts, comme en Californie et à Tokyo. Timoteo reconnut la voix du concierge qui passait, questionnait les habitants pou savoir si tout allait bien. Les lamentations continuaient. Une vieille dame qu’il connaissait, Madame Chē, une ancienne du Parti qui collectionnait les figurines des célébrités communistes du monde entier dans une vitrine en verre, offrit une boisson chaude à maman.

Mais rien pour lui. On l’oubliait de nouveau.

Timoteo claqua la porte de la cuisine, alluma la radio et trouva une chanson qu’il aimait bien. Le volume poussé fort, il ouvrit tous les placards, sortit tout ce qu‘il aimait. Il allait avaler le plus gros petit-déjeuner possible, il en aurait mal au ventre et on l’emmènerait à l’hôpital. En plus, papa avait emporté avec lui son réveil matin qu’il ne lâchait plus. S’il lui prenait sa lampe de chevet Godzilla ou sa valise, Timoteo hurlerait. Il fallait savoir se défendre dans la vie.

Timoteo ne s’aperçut même pas qu’il tremblait. Il faillit lâcher le carton de lait pourtant à moitié plein. Heureusement, la casserole ne se renversa pas. Mais pourquoi n’avaient-ils pas un four à micro-ondes comme tout le monde ? Timoteo ne comprenait pas cette sombre histoire de qualité de vie, de savoir prendre son temps le matin. Papa et maman gagnaient pourtant assez d‘argent, ils n‘étaient pas des assistés. Plus tard, il aurait trois fours à micro-ondes. Il détestait attendre que le lait chauffe.

La porte s’ouvrit. Timoteo se préparait à faire sa figure des mauvais jours. Il voulait dormir dans son lit. Il voulait finir la partie de Monopoly avec Guo. Il voulait que le soleil revienne. Il en avait assez de cette guérilla où personne ne vous préparait votre chocolat. 

Mais ce fut en pure perte. Ce n’était pas maman qui venait enfin lui beurrer ses biscottes qu‘il ne faisait que casser. Un torrent de mots doux envahit la petite cuisine. Des bras l’enserrèrent fort comme jamais.

Affligé, Timoteo réalisa à quel point tout allait de travers. Il n’avait pas dormi dans son pyjama Spiderman préféré, sa mère ne l’avait même pas embrassé ce matin et le malheur régnait dans le couloir.

Une douce chaleur traversa son anorak, le réconforta. Timoteo ne reconnut la jolie Li Mei qu’à sa chevelure noire aux longues mèches violettes. Elle était devenue affreusement vieille. Non que Timoteo n’aimât pas les personnes âgées des trois immeubles d’à-côté classé "zone résidentielle senior", il ne se moquait jamais d’eux. Mais Li Mei n’était plus Li Mei.

- Timo, tu n’as rien ! Comme je suis contente !

- Mais non ! J’étais avec Timothée Titan et mon père il a trouvé le truc, suffit de tout éteindre et on craint plus rien sous la couette. Et toi, il y a des morts à ton étage ?

- Mon oncle… Tu sais, il habitait le cinquième, à côté de la folle du Guangxi. C’est horrible, mais c’est passé maintenant. C’est passé…

- Tu viens me garder ?

Timoteo n’eut pas de réponse. Li Mei reçut un appel et répondit vivement, debout contre l’étroite porte-fenêtre, guère plus large que la frêle jeune femme. D’un coup, la pièce s’obscurcit. Timoteo éclaira et alla s’occuper du lait qui menaçait de déborder.

Li Mei parlait avec cet accent traînant qui déformait les mots. Timoteo ne parvint pas à suivre la conversation et renonça finalement à savoir avec qui elle parlait. Les couteaux de feu étaient passés. Ils ne reviendraient plus jamais, la vie allait reprendre son cours normal. Discrètement, Timoteo changerait ses pantoufles Pokemon pour des chaussures d’hiver. Il serait ainsi prêt à sortir à la première occasion qui se présenterait.

- Timo, je reviens le plus vite possible, ne bouge pas de l’appartement, tu as compris ?  Li Mei, voici un peu d’argent. Si vous pouviez veiller sur ma femme, c’est très éprouvant pour elle… Et sortir le linge de la machine, merci.

Papa enfila sa veste, n’oublia pas sa mallette. Timoteo changea de station pour trouver une nouvelle chanson.

On ne peut pas changer le business plan si près des Fêtes ! Tu imagines si tout le monde s’arrêtait à la moindre catastrophe ? Tu me rends folle, ce n’est pas une catastrophe, un tremblement de terre ou je ne sais pas quoi, personne n’y comprend rien ! Calme-toi, je vais d’abord faire des courses. J’appellerai Wang à dix heures. S’il m’affirme que tout va bien à l‘usine, je rentre, d’accord ? Si tu veux. Prends bien du lait, des pâtes, les choses de base. Et garde tes deux portables ouverts !

La porte d’entrée claqua. Maman vint à la cuisine, sortit deux autres bols à dragon.

- C’est bien mon chéri, tu t’es préparé ton déjeuner.

D’un coup, Li Mei s’assit, envoyant messages sur messages sur son portable. Maman ne retrouvait plus le café, se trompant de placard. 

- J’ai appris pour ton oncle, je suis désolé pour toi…

- Ce n’est rien. Il est mort en héros, c’est ce que ces crétins du Parti vont encore nous sortir !

- Tu peux me garder Timoteo un moment ? Je ne sais pas quoi faire, cette réunion au foyer des femmes paraît importante…

- Allez-y, Madame Perrichon. Sinon, vous allez déplaire, on va vous montrer du doigt. Moi, je suis juste bonne à me taire ! Faut pas être jeune par ici, faut être vieux. Il y a eu des morts à l’Université, partout en ville, c’est complètement dingue ! C’est vrai ce que raconte votre mari, c’est une arme ? Mais pourquoi attaque-t-elle tout le monde ? Pour moi, c’est Washington !

Timoteo finit son chocolat et ouvrit le pain d’épice Prosper pour en remplir de pleines poches de son anorak. Les Galettes du Cotentin n’avaient pas passé la nuit.

- Où vas-tu, Timo ?

- Je vais avertir papa de la terrasse ! Il faut lui dire de ne pas acheter de poulet !

- Mais qu’est-ce que tu racontes ? Reste avec nous, je t’en prie…

Renfrogné, Timoteo se réfugia dans sa chambre. Il était bien condamné à rester à l‘appartement. Cette guérilla devait cesser ! Il ne pourrait pas baisser sa musique, ce Chang ! C’est insupportable, tous ces punks sous nos fenêtres ! Sa Chery QQ6, Madame, c‘est tout ce qu‘il possède…

Malgré le froid, Timoteo ouvrit la fenêtre. L’enivrante odeur de saucisses grillées monta, délicieuse. Chang et ses amis motorisés avaient rallumé leur barbecue bricolé avec des bidons. Il devait absolument parvenir à descendre.

Surtout, Timoteo détestait que papa et maman ne l’emmènent pas faire les courses. C’était aussi chouette que le ping-pong ou le Monopoly. Il n’avait surtout jamais compris l’intérêt d’aller en promenade en forêt où il n’y avait rien à faire, même pas du toboggan ou du mini golf. Chez papi et mamie, la balade d’après repas était un vrai calvaire. Heureusement qu’il jouait avec Dagobert.

- Je m’en vais au foyer. Tu restes bien avec Li Mei ! Je remonte vite.

- Oui, maman…

Dans le couloir, Timoteo put enfin enfiler ses chaussures d’hiver avant de retourner à la cuisine. Comme Timothée Titan pour s’enfuir des geôles de l’Empereur Isotop, il devait trouver une astuce pour rejoindre Guo. C’est qu’il n’avait pas le Chaméléon pour l’aider.

Li Mei grignotait les biscottes une à une, la tête baissée. Son affreuse tête d’adulte. À ce rythme, papa devrait en racheter dix paquets.

- Timo, tu sais ce qui me ferait plaisir ? Que tu me fasses un joli dessin.

Timoteo n’eut pas à répondre. On sonnait à la porte d’entrée.

- J’vais ouvrir, mange tes biscottes !

Miracle, maman n’avait pas poussé le verrou trop haut pour lui avant de sortir. Timoteo n’eut qu’à tourner la clé. La terrible nuit sous la couette fut instantanément oubliée. Plus besoin d’astuce ! Equipé des pieds à la tête contre le froid, Guo, son meilleur copain du onzième, venait le chercher ! Un bonnet de laine dissimulait sa chevelure en brosse et son blouson gris n‘était pas de la dernière mode. Obstinément, ses parents lui refusaient mieux. Parait-il qu’ils économisaient pour ses futures études en marketing.

- Alors, t’es pas mort, le français ?

- Bin, non. Et chez toi ?

- Rien du tout, on s’est défendu ! Mais Madame Zhào, elle est morte…

Timoteo n’en revint pas. Madame Zhào, la cheftaine autoproclamée de l’étage, qui vérifiait chaque heure l’état du vide-ordures et descendait trois fois par jour enguirlander le concierge, Madame Zhào était découpée. Elle n’obligeait plus maman à lui acheter des billets de la Loterie pour les orphelins des mines de charbon.

- Tiens, prends mon pain d’épice. Bouge pas, je reviens !

Il lui manquait l’essentiel pour poursuivre leur conversation faite de bric et de broc. Timoteo fonça dans sa chambre prendre ses trois mini dictionnaires d’anglais, de mandarin et de cantonais. Ils alourdissaient les poches de l’anorak, mais rendaient bigrement service.

Il lui restait à persuader Li Mei qu‘il pouvait sortir, vu que la guérilla était finie. Mais Timoteo s’arrêta dans son élan. 

L’on pleurait dans la cuisine.

Désemparé, Timoteo ne pouvait ni rester, ni partir.

- Je vais écrire un mot à maman !

- Comme tu veux le français, mais vite…

En une ligne, Timoteo indiqua qu’il était avec Guo du onzième, puis posa le mot sur le meuble à chaussures avant de refermer la porte d‘entrée.

- On va où ?

- On descend, on a rendez-vous avec la bande du troisième, chez Gros Bang. Ils comptent les cadavres qu’on emmène ! Le gouvernement dit que ce sont plus les nôtres, qu’ils vont les autopsier. Tu sais ce que ça veut dire, autopsier ?

Timoteo eut beau tourner les pages de son dico dans l’ascenseur, il ne trouva rien. Ça devait être terrible d’être autopsié. En même temps, on était mort.

Le portable de Guo sonna, reprenant le générique de "Heng, le petit pêcheur de perles", dont il ne manquait pas un épisode.

- On descend vous rejoindre ! Je suis avec le français. Combien ? Timo, vingt-trois découpés et deux crises cardiaques !

- Tu les as vus, les couteaux de feu ?

- C’est pas des couteaux, c’est des sabres japonais ! Le cousin de mon père qui sert dans la Marine dit qu’il faut bombarder tout de suite, sinon, on va se faire avoir ! Depuis Fukushima, le Japon est fichu, tu comprends ? Ils vont tout envahir, vu que leur pays va crever. Il leur faut de la place.

Les explications de Guo lui paraissaient confuses. Il aimait bien comme lui les dessins animés japonais. L’angoisse le prit d’un coup. 

- Je veux pas aller dans l’autre immeuble ! Ma maman va s’inquiéter…

- C’est la guerre, on n’aura pas droit à une fessée, allez viens ! Ton père doit être content, il est prioritaire ! Moi, le mien, il doit rester à la maison, il va perdre des sous ! 

- C’est quoi prioritaire ? Bonjour Madame Hóng.

- Ne trainez pas dans les couloirs, rentrez chez vous, les gamins ! Mettez un masque, c’est la pollution qui nous attaque ! Nous n’aurions jamais dû industrialiser le pays, il fallait laisser ça aux sauvages d‘Amérique !

Guo tira Timoteo par la manche. Gros Bang pouvait décider d’une expédition sans les attendre.

- Oui, Madame Hóng ! Elle raconte n’importe quoi, c’est la folle du cinquième ! La priorité, c’est l’alimentaire, la production militaire, l’électricité et l’industrie du jouet vu que c‘est bientôt votre Noël ! C’est le Président qui l’a dit ce matin.

- C’est vrai ? C’est super !

- Si tu le dis. Mon père, il est représentant en cosmétique pour chiens. Tu penses, si c’est utile quand y’a la guerre !

- Moi, je croyais que c’était une guérilla…

Guo précédait Timoteo sur la passerelle à ciel ouvert qui reliait leur immeuble "Le ciel bleu" au bâtiment voisin "Conquête de l’Espace". Papa sera soulagé, l’industrie du Jouet était prioritaire ! C’était très important, l’industrie du jouet.

D’ailleurs, papa justement revenait. Il gara sa voiture à côté de l’enfilade de voiturettes "Pizza Cavazzano", en sortit visiblement énervé. Papa l’aperçut et lui ordonna de ne pas bouger, grimpant rapidement les marches.

- Timo, Qu’est-ce que tu fais là ? Où est maman ?

- On va voir des copains avec Guo…

- Ce n’est pas le moment, les supermarchés sont gardés par l’Armée, et interdits aux étrangers ! J’ai rien pu acheter, c‘est vraiment scandaleux ! Je ne sais pas ce qui m‘arrive, j’ai un mal de crâne, moi…

Timoteo n’eut pas le temps de conseiller à papa de prendre un cachet d’Aspirine, ni de lui apprendre la bonne nouvelle pour les jouets. Juste en face, un homme jaillissait de chez lui, hurlant de terreur. Bousculant un jeune couple avec une poussette, il se précipita vers la passerelle. Timoteo s’accrocha à la veste de papa. Une boule de feu suivait le monsieur au-dessus de sa tête.

- Reculez, reculez les enfants ! C’est pas possible, ça recommence !

Le monsieur sembla vouloir prendre l’escalier, puis se ravisa. Toujours survolé de la boule de feu, il courait, la cravate dénouée, appelant désespérément au secours.

Guo s’enfuit en courant vers le premier ascenseur. Maman pourrait tout voir. Papa avait sorti son portable et mitraillait la scène tout en reculant, obligeant Timoteo à en faire de même.

D’un coup, l’homme cessa de crier, geignant de manière incompréhensible. Il tomba à genoux sur le béton de la passerelle, s‘arrachant les cheveux. Puis la tête du monsieur explosa, salissant tout.

Libérée, la boule de feu reprit son vol et rejoignit sereinement l’étage suivant. 

2 490 mots / 14 365 signes

 

 

A suivre…

 

Synopsis de travail des 20 épisodes

Premier jour

Un petit garçon, Timoteo, vit avec sa famille expatriée de France à Zhenzhen.

Le soir, ses parents l’ont envoyé se coucher seul. Quelque chose de grave est arrivé.

Au matin, il trouve ses parents en train de pleurer. Effrayé, il retourne dans sa chambre, ouvre la fenêtre. En bas dans la rue, l’immense écran diffuse des images de gens découpés par des couteaux de feu…

Second jour

Ses parents contactent la famille en France. Le phénomène meurtrier et inconnu s’y est déroulé. Ils ne savent pas quoi faire. Timoteo se réfugie dans le visionnage du dessin animé de son héros favori, Timothée Titan. Le phénomène arrive sur la Chine !

Toute la petite famille se cache donc dans leur petit appartement, en espérant échapper à la mort qui rôde…

Troisième jour

Les autorités chinoises se veulent rassurantes. Le père de Timoteo part acheter de quoi tenir un siège, sa mère se rend à une réunion de femmes de l‘immeuble. 

Timoteo, lui, sort de l’appartement familial avec son copain Guo.

Mais voilà que son père revient, furieux. Les supermarchés sont interdits aux étrangers.

Le père de Timoteo a de plus en mal au crâne, lorsque la tête d‘un voisin explose…

Quatrième jour

Ayant tout de même pu se ravitailler au magasin de la rue commerçante au prix fort, le père de Timoteo a lui aussi la tête qui explose dans la nuit, comme nombre d‘habitants de l‘immeuble. Complètement affolée, la maman de Timoteo l’emmène chez une voisine.

Les voisins et Li Mei l’aident à nettoyer l’appartement.

Le matin, Timoteo repart avec Guo rejoindre la bande du Gros Bang qui compte les nombreux morts emmenés par l‘Armée, tentent de chaparder dans les appartements des disparus.

Les autorités affirment faire face au Phénomène naturel inconnu et meurtrier, répétant qu‘il y a très peu de morts en Chine.

L’activité économique reprendra d’ici peu, certainement…

 

Cinquième jour

Au pied des immeubles, la jeunesse désœuvrée qui n’avait pas d’avenir continue à boire de la bière et à écouter du Heavy Metal dans leurs voitures. Rien ne semble avoir changé pour eux.

Papi et mamie en France vont bien. L’appart semble comme avant, avant que la tête de son père explose. Timoteo prend son petit déjeuner seul avec sa mère qui ne sait plus quoi faire, rester, tenter de partir du district de Nanshan, mais où, Hongkong ? Se réfugier à la cave ? Les aéroports sont provisoirement fermés. Timoteo n’a plus le droit de sortir, même pas d’aller voir Guo.

Dans la journée, les couteaux de feu réapparaissent, tuent à nouveau, tandis que d’autres têtes explosent, toujours des adultes. Sa mère déjà  dépressive  sombre dans l’apathie.

Cette fois-ci, le pouvoir reconnaît une certaine ampleur du phénomène… Discours d’un nouveau Premier Ministre. L’on suppose le précédent ,victime des lumières.

Sixième jour

Il n’y a plus de bus, presque plus personne ne circule sur les routes, tant par manque d’essence que par la diminution de la population. Les morts se succèdent dans les immeubles, partout en ville et dans le monde.

Li Méi, la jeune fille qui gardait Timoteo la journée lorsque ses parents travaillaient, s’est jeté par la fenêtre de désespoir. La mère de Guo meurt elle aussi.

Timoteo tente de rejoindre la bande du Gros Bang, sans grand succès malgré l’aide de Guo. On se méfie de lui, l’étranger.

Sa maman décide brusquement de s‘enfuir, de rentrer en France. Il faudra que Madame Chē la raisonne pour éviter qu’elle ne mette en danger Timoteo. 

Beaucoup de personnes tentent de se prémunir contre le phénomènes meurtrier suivant leurs idées les plus farfelues et inutiles. Beaucoup laissent des messages sur les réseaux sociaux, des vidéos, malgré l’interdiction  de certains  mots et sites…

La plupart n’attendent plus la mort chez eux. Ils préfèrent laisser ouverte leur porte, s’en vont attendre le destin à la campagne, au bord de mer, malgré les appels des autorités à rester à son poste. Leurs biens matériels sont laissés aux survivants.

Le travail se meurt littéralement. La planète sombre dans l’inactivité…

Septième jour

En revenant des toilettes, Timoteo trouve sa mère découpée devant la télévision. Des spots prodiguent divers conseils, mettre un sac sur la tête en cas de mal de tête pour éviter de salir et ne pas rester en pleine rue, garder sur soi un papier indiquant sa confession, son adresse, qui contacter en cas de décès...

Il trouve refuge chez Guo, dont le père part pour la plage. Il ne veut pas que son fils le voie mourir. Désemparés, ne réalisant pas ce qui arrive, les deux enfants se retrouvent seuls. Madame Chē prend soin d’eux du mieux qu’elle le peut.

Au pied des immeubles, les pizzerias et restaurants divers cuisinent pour les survivants, stockent dans les réfrigérateurs. Chaque profession tâche de se rendre utile, de laisser une dernière trace sur Terre…

Timoteo et Guo finissent la soirée avec la jeunesse qui fait une fête sur le toit d’un immeuble, musique à fond. Ils détestaient ce monde qui ne voulait pas d’eux, pourquoi le regretter ? Beaucoup tout de même se droguent, se saoulent pour oublier, le nihilisme a ses limites…

Au-dessus de Shenzhen, de la baie des perles et de Hongkong, c’est une féérie de lumières meurtrières, tandis que la bande au Gros Bang pille avec d‘autres les appartements des morts dans une frénésie de biens domestiques…

Huitième jour

Le concierge a la tête qui explose.

Désormais, il n’y a quasiment plus d’adultes. Ne restent que les enfants et les personnes âgées. Tout  le monde à la télévision est vieux. Partout dans le monde, c’est la même situation, ne restent plus que des vieilles personnes et des enfants sidérés.

Tout est allé si vite.

Une à une, les centrales nucléaires sont fermées par précaution, les centrales à charbon et les barrages fonctionnent encore, ainsi que le gaz, mais pour combien de temps ?

Le froid s’installe dans certains immeubles, gagne les habitations. Cohabitent encore sans trop d’affrontement ceux qui parviennent à s’organiser et les désespérés, les pilleurs.

Timoteo ne supporte plus de rester dans l’appartement, où sa mère a été tuée. Il va habiter avec Guo chez Madame Chē.

Le Gouvernement continue à annoncer les nombreuses tentatives de l’Armée de l’Air pour  éradiquer les lueurs meurtrières, tandis que des brigades de volontaires d‘anciens et d’adolescents épargnés regroupent les cadavres et creusent des charniers au bulldozer dans les jardins publics. Mais impossible de tout faire, l‘on se contente de dégager certaines voies importantes de circulation et un ou deux quartiers où vivre sans craindre les épidémies…

Abattu, Timoteo va rejoindre Chang dans sa voiture sur le parc à stationnement. Une longue discussion philosophique lui fait du bien.

Neuvième jour

Les lumières meurtrières semblent être parties…

Les personnes âgées apparemment épargnées décident de regrouper les enfants et de s’en occuper. La bande à Gros Bang résiste, mais cède finalement. La peur de rester seul en ville est trop grande. Gros Bang décrète qu’il lui faut une base stratégique de repli.

Suivant les recommandations diffusées les jours précédents, les vieux  regroupent les enfants pour lutter contre les rudesses de l’hiver et attendre le printemps le moins mal possible. Ils commencent à leur apprendre également le strict nécessaire pour qu’ils puissent survivre,

Les retraités aux métiers les plus importants, médecins, horticulteurs, vendeurs de graines, prévoient ce qu’il faudra faire au printemps où la nature offrira de nouveau de quoi se nourrir. Tout Shenzhen deviendrait un immense jardin, ils ne peuvent admettre de quitter leur ville…

Mais l’agriculture n’a guère de succès, les enfants ne veulent pas renoncer encore à leur métier de rêve.

Aidé par Madame Chē, Timoteo fait donc comme Guo sa maigre valise, qu’il destinait au voyage de Noël, et quitte l’immeuble en minibus bourré de pizzas, pour le quartier de Shekou celui des artisans, du le vieux port, à où habitent les expatriés.

Mais avant, il téléphone à papi et mami. Eux aussi accueillent des enfants chez eux… mais au moins sont-ils encore vivants.

Dixième jour

N’aimant guère la campagne, ne voulant pas quitter non plus la ville, Timoteo a choisi comme Guo d’apprendre le bricolage sur les quais où restent l’artisanat local de Shenzhen. Cela leur change de l’école…

Souci, très peu d’enfants veulent aller à la campagne apprendre l’agriculture…

Joie quelque peu dérisoire, Timoteo et ses camarades logent dans un paquebot, un vieux paquebot français racheté pour en faire un, restauré, coincé entre les immeubles. Cela évite d’avoir à loger chez des morts.

Madame Chē est nommée Capitaine…

Timoteo croit un moment qu’il va pouvoir repartir en bateau pour la France… Très déçu, il va pleurer à la proue, où il retrouve Wiebke, une camarade de classe, fille de l’importateur de voitures allemandes à Shenzhen, qui croit dur comme fer que Dieu punit les hommes du mal qu‘ils font à la Nature. 

Ce qui reste du gouvernement annonce que les pandas des zoos ont été relâchés dans la nature, en espérant qu’ils survivent…

Pour ce qui reste d’Humanité, une nouvelle vie commence.

Onzième jour

Jugés sérieux par les anciens, Timoteo avec Guo font un tour en ville pour aider à récolter tout le matériel possible dans les magasins. Quelques vieux laissent des mots d’excuses pour prendre sans payer…

Tout se passe dans un semblant d’ordre tendu. Timoteo retrouve ses magasins et marques préférées, Carrefour, Ikea, Decathlon, qui le rassurent.

La petite troupe passe devant la fresque vandalisée de Den Xiaoping en centre-ville, très ému. Toute la jeunesse, y compris Chang, s’est regroupé sur le parc à stationnement d’un supermarché encore chauffé. On entend leur musique à des kilomètres. Leurs réserves de bière paraissent inépuisables.

Les jeunes et parfois moins jeunes pilleurs continuent leur activité de razzia. Chaque bande choisit un immeuble, cassent les cloisons entre appartements et s’installe dans un étage entier.

Le groupe de Timoeto tente de les éviter au possible.

Un passage par une grande librairie permet à Timoteo de récupérer tous les livres en français qu’il peut emmener, même les livres d‘adultes. Il hésite sur de gros dictionnaires, bien utile pour communiquer mais lourds. Tous veulent prendre des livres. Car le livre continuera à fonctionner, lui, contrairement à toute l’électronique qui nécessite de l’électricité.

Plusieurs voyages sont nécessaires pour tout ramener au paquebot. Ils trouvent même un cochon coincé dans un appartement.

Timoteo croise un très rare adulte encore vivant, un employé de banque. Devenu dément, il se balade avec un fourgon et distribue de l’argent à qui en veut pour relancer l‘économie…

Douzième jour

Timoteo est trop jeune pour la soudure. Mais il commence à apprendre le bois, à découper, coller, réparer. Cela lui plaît bien, mais sent bien que les vieux qui lui lèguent leur savoir sont très inquiets. Ils bricolent un système de défense sommaire du paquebot… 

Plus au calme, Timoteo et Guo se remémorent leur vie d’avant. D’avant douze jours seulement… Tout le monde savoure le cochon, préparé dans les cuisines du paquebot. Une partie est gardée pour les jours suivants.

La bande du Gros bang réduite aux plus âgés s’en va de son côté, sans prévenir. Madame Chē n’a rien pu faire pour les retenir, ils sont trop forts physiquement pour s’opposer à eux.

Petite balade en ville, au milieu des nombreux cadavres qui n’ont pu être enlevé, ou s‘accumulent à certains endroits. Heureusement, le gel permet de ralentir leur pourrissement, mais guère la propagation d’épidémie. Par précaution, on boit l’eau de pluie.

Il reste encore quelques chats, des chiens de compagnie, des oiseaux qui recherche la compagnie humaine disparue ; mais plus de poules, de cochons. Les premiers gros prédateurs arrivent de la campagne.

La balade dans Shenzhen se fait au son du Heavy Metal. Quelqu’un joue du piano, là-haut dans un immeuble, tandis que les écrans intactes continuent à diffuser leurs publicités... 

Treizième jour

Les lumières reviennent dans la nuit. Elles s’attaquent cette fois-ci aux anciens, aux personnes âgés, aux vieillards dont beaucoup n‘ont pu fuir leur hospice.

Le paquebot n’est plus un refuge. Des cris réveillent les enfants. Terrifiés, ils n’osent plus quitter leurs cabines. 

Comme les autres personnes âgées, Madame Chē est retrouvée découpée…

Une fois les lumières meurtrières plus loin en ville Timoteo tente de suivre le drame de la passerelle avec ses jumelles. Il finit par appeler papi et mamie en France. Il a peur de savoir. C’est un gosse qui lui réponds. Papi et mamie sont morts. Un gosse lui raccroche au nez, le traitant de sale chinetoque…

Timoteo, Wiebke et Guo ne savent plus où se réfugier. Que faut-il faire des cadavres des vieux, que vont-ils manger ? Même Qi, la jeune fille qui prend en charge les plus petits, est dépassée par les évènements.

La logique est terrifiante. Après les adultes et les personnes âgées, ce sera bientôt le tour des enfants…

Quatorzième jour

Le silence sur Shenzhen est effrayant.

Plus de Heavy Metal sur la ville. Plus d’autos, plus de bus, plus de livreurs ; plus de train, de métro.  Hongkong semble morte aussi. Plus un cargo, plus un ferry sur l’eau, tous rentrés au port. On peut sans doute désormais franchir librement la frontière entre les deux villes. Mais à quoi bon ?

La bande du Gros Bang repasse devant le paquebot, mais Qi refuse qu’ils montent. Ils repartent  furieux, promettant de revenir.

Timoteo se fait son petit déjeuner malgré tout, rituel rassurant, avec l‘avant dernier pot de confiture qu‘il a dissimulé aux autres et ne partage qu‘avec Guo. Déjà, il n’y a plus de pain. 

Guo, lui, s’est mis en tête d’appeler le monde entier, pour avoir des nouvelles, et note scrupuleusement tous ses correspondants.

Ils vont mourir et cette idée n’est  tout  simplement pas admissible.

Timoteo voudrait repartir en ville à la recherche de vieux survivants. Mais Qi refuse.  Il s’inquiète surtout pour les punks, pour Chang. Eux aussi sans doute sont morts, puisqu’il n’y a plus de musique.

L’angoisse grandit, devient presque insupportable. Seront-ils  à leur tour victimes des lumières, des couteaux  et des boules de feu ? Et, s’ils sont épargnés dans l’immédiat, que se passera-t-il lorsqu’ils grandiront ?

Quinzième jour

Reste-t-il quelques personnes âgées ? Il faut en avoir le cœur net, récupérer aussi de la nourriture, du papier toilette, toute sorte de choses utiles.

Qi organise donc une expédition sur les quais et en ville. Les plus grands parviennent à conduire des voitures. Timoteo insiste, il veut passer là où sont les punks. Peut-être voudraient-ils bien venir au paquebot ? Ce sont les derniers adultes en ville. 

Malheureusement, ils sont morts ou disparus. Chang a la tête explosée à côté de sa Chery QQ6... Qui sera ramené au pied du paquebot.

Un chien suit Timoteo, qui décide de le garder avec lui, de le ramener au bateau.

Qi décide de faire une halte, de regarder un film chez quelqu’un qui a laissé sa collection de films à qui veut bien en profiter. Ils ont tous besoin de se détendre, de ne plus penser à l’avenir. Mais aucun film ne peut les faire rire ; tous rappellent le passé.

Soudain, du bruit les distrait. Le contenu des tiroirs, des placards de l’appartement s’envole…

C’est la débandade, les enfants s’enfuient pour rejoindre le paquebot.

Seizième jour

Le spectacle est permanent, plus effrayant que la Mort elle-même.

Tout ce que contiennent les immeubles, les magasins, les cargos, les bâtiments officiels s’envolent pour ne jamais retomber, des chaises de bistrots aux ouvre-boîtes électriques, aux téléviseurs. Les pilleurs eux-mêmes ne peuvent sauver l’essentiel de leur butin.

Tout y passe, le ciel en est comme bouché, empêchant les oiseaux de voler, cloués au sol et énervés.

Puis les bicyclettes, les tricycles légers de livraison s‘envolent à leur tour. Un gamin est inconsolable. Son tricycle Batman s’est envolé. Il a tout fait pour le retenir, mais il a dû céder.

Sur le paquebot, c’est le branle-bas de combat. Les enfants parviennent malgré tout à enfermer quelques portables, caméras, lecteurs de dvd, livres et surtout des conserves, des ustensiles de cuisine et de bricolage, tout ce qui peut être utile.

Timoteo sauve ses albums de Timothée Titan. Mais le dilemme est le même pour tous; faut-il sauver ses effets personnels ou ce qui sera utile à la communauté ?

Dix-septième jour

Toute la nuit, les panneaux publicitaires géants, les voitures se sont envolées. La Chery QQ6 de Chang aussi, impossible de la retenir… Les enfants parviennent tout de même à attacher un tricycle "Pizza Cavazzano" avec des cordes dans un garage.

La bande du Gros Bang revient au paquebot. Il y a des malades à bord, ils menacent de prendre d’assaut le navire, mais c’est impossible. Qi leur refuse l’accès, la santé des enfants dont elle a la charge passe avant tout. 

Elle finit par tirer sur eux avec un pistolet qu‘elle a sauvé. Gros Bang fait tirer aussi mais en pure perte. Faute de pouvoir monter à bord, ils grimpent à pied dans un immeuble voisin et tirent de plus haut de manière vengeresse.

Tous les enfants doivent se réfugier à l’intérieur.

Qi tente de faire le point, de veiller au bon ordre du paquebot, avec le plus grand mal…

Un enfant passionné d’astronomie a sauvé un télescope trouvé à bord. La bande de Gros Bang partie, on le monte sur le pont au soir couchant.

Le télescope ne s’envole pas, comme prévu. Apparemment, désormais seul ce qui est lourd prend le chemin du ciel.

En cherchant à observer ce que deviennent tous ces objets, les enfants découvrent un fleuve jusqu’au soleil ; un fleuve constitué de la production industrielle mondiale…

Dix-huitième jour

Les pylônes de lignes électriques, les camions, les trains, s’envolent à leur tour.

Les réseaux sociaux, le téléphone ne fonctionnent cette fois plus. L’électricité est coupée, ne revient pas.

Faute d’ascenseurs, les immeubles deviennent inhabitables dans les étages. Shenzhen n’est plus qu’un cimetière de tours…

Guo est totalement abattu, coupé du monde sur le paquebot, lui qui se réjouissait de rester au contact avec d’autres enfants du monde.

Qi ne peut plus utiliser son ordinateur portable, est obligée de revenir au stylo et au cahier, le peu qu’elle a pu sauver. À cause de son âge, quinze ans et presque une adulte, elle a peur d’être tuée à son tour et veut laisser les instructions aux enfants qui savent lire. Timoteo lui ne déchiffre pas les idéogrammes, mais se fait expliquer pour fabriquer des bougies, s‘occuper de légumes au printemps, etc...

Il ne reste plus grand-chose à manger à bord, mais à part les plus petits, personne ne songe vraiment à leur estomac, cherchant une ultime explication. Les lumières peuvent être comme une punition divine, une arme inconnue qui a échappé à tout contrôle. Mais que les objets partent, s’en aillent dans le ciel dépasse l’entendement.

Le fleuve vers le soleil, devenu décharge de l’Humanité, ne fait que grossir.

Dix-neuvième jour

Les cargos du port s’envolent à leur tour.

Les enfants réalisent qu’ils habitent peut-être le dernier bateau du monde. Le paquebot, coincé entre les immeubles, reste malgré tout, sans doute considéré comme un bâtiment. C’est la seule explication logique qui leur vient.

Il a été décidé que les plus grands repartent en ville recueillir tout ce qui est mangeable et ramener le maximum d’animaux, des chiens, des poulets, un nouveau cochon. Ils ne trouvent  pas grand-chose. C’est trop tard en vérité, tous les animaux domestiques, les poules ont déjà  été mangés ou tués par des animaux sauvages.

Nulle  trace de la bande du Gros Bang…

Un nouveau bébé est mort, faute de soins. Restée à bord, Qi le cache aux autres et va le déposer tout au fond du bateau avec les autres. Bientôt, il n’y aura plus de lait en poudre et froid, les bébés refusent de le boire. Elle continue d’organiser le rationnement. 

C’est bientôt Noël. Il n’il n’y aura pas de cadeau, pas de repas chez papi et mamie. Ou bien Noël est déjà passé, Timoteo n‘en sait rien. Emmitouflé dans des couvertures, il relit dans sa cabine les aventures de Timothée Titan qu’il avait emportées avec lui. Il n’a plus rien d’autre à faire. Ne lui reste plus qu’un pot de confiture. Qi lui a assuré qu’au printemps, elle lui apprendrait à faire des confitures, comme sa mamie les faisait.

Guo, lui, fait la longue liste sans fin de tout ce qui est perdu, à l’aide d’un dictionnaire et l‘affiche dans la salle-à-manger du paquebot.

De son côté, Wiebke, n’arrête pas de prier, de demander pardon, certaine que Dieu a puni les Hommes pour tout le mal qu’ils ont fait aux animaux.

L’expédition de retour dans l’unique tricycle "Pizza Cavazzano" sauvée ne ramène pas grand-chose. D’ailleurs, il n’y a presque plus d’essence pour le faire rouler.

Le soir, le fleuve vers le soleil se fait moins large, s’amenuise, puis disparaît...

Vingtième et dernier jour

Une fine neige fragile s’est mise à tomber sur la baie des perles. Des loups sont aperçus rôdant sur les quais. Les enfants attendent la mort, attendent les lumières, les couteaux et les boules de feu.

Mais rien ne vient. Rien ne viendra peut-être. Dans la nuit, un bref instant de clarté a illuminé le ciel tout entier puis les lumières s’en sont allés dans les étoiles.

En compagnie du chien qui ne le quitte plus et qu‘il a nommé Dagobert, Timoteo rêve éveillé de la boulangerie française. Un souvenir l’envahit, sa mère lui tapant sur les doigts pour avoir volé et avalé un croissant. Il se met à pleurer. Il n’a plus de mère et plus rien à voler. Et il a faim. 

Guo rêve lui de partir, de rejoindre d’autres enfants, ailleurs. Mais il doit attendre le printemps. Peut-être trouvera-t-il un âne, un poney pour voyager ?

Qi, elle, se met à la comptabilité, celle des graines qui plantées au printemps donneront des légumes.

Chaque enfant est perdu dans ses angoisses, cherchant péniblement un sens à tout ce qui ce qui est arrivé, imaginant ce qu‘il va faire une fois l‘hiver passé. S’il passe l’hiver.

Tous sentent confusément que la ville n’est plus un endroit pour eux. Il faudra revenir à la campagne, redevenir paysan et dans leur esprit déchoir.

En attendant, il faut bien se nourrir. Reste surtout à savoir qui se sent capable de tuer le chien du français pour manger…

FIN

Note d’intention 

L’Apocalypse donc, rien que ça…

*

Ne pas oublier qu’étymologiquement, l’Apocalypse signifie révélation, transition entre deux états, et non pas seulement catastrophe et destruction dans l’acceptation actuelle.

Il y a un après Apocalypse.

Le roman doit donc non seulement aborder une immense catastrophe, mais également ce qui en résulte.

*

Écrire sur l’Apocalypse de fin 2012 seule ne suffit évidemment pas. C’est même par principe absurde. On n’écrit pas un roman sur un phénomène, mais sur une société, sur ses contemporains. Sinon, le roman se démoderait certainement très vite…

Quel est donc l’Apocalypse que nous redoutons aujourd’hui ? Qu’est-ce qui peut bien terrifier nos contemporains, quelle est la grande peur ?

La bombe atomique ? Le conflit récurrent entre l’Inde et le Pakistan persiste mais heureusement ne paraît pas dégénérer. La bombe iranienne reste lointaine, hypothétique.

Le dérèglement climatique ? Pour l’instant, la menace reste vague, mal aisée à ressentir pour le grand public occidental. Et puis comment faire une Apocalypse climatique en 20 jours, si elle était de nature réelle ?

Non, la véritable frousse, c’est la fin du Capitalisme ! Mon Dieu, par quoi pourrait-il bien être remplacé ? Et il ne s’agit pas là bien évidemment de le confronter au communisme, qui n’est pour résumer qu’un Capitalisme Etatique, un système également basé sur l‘industrialisation à outrance.

L’après Capitalisme, puisqu’il aura bien lieu un jour ou l’autre, reste un abîme, un gouffre idéologique, une impossibilité mentale, un inconcevable.

Le roman sera donc être une métaphore de cette après Capitalisme, terriblement angoissant, même s’il ne s’agit aucunement d’en faire le sujet visible. Tout cela se joue en arrière-fond, empreint de poésie destructrice…

*

L’Apocalypse implique dans la tradition des récits mythologiques et du film catastrophe de la destruction, beaucoup de destruction…

Un choix très important consiste donc à décider de ce qui va être détruit, ce qui indique ainsi sinon une explication du moins un sens à l’Apocalypse.

*

Question fondamentale, au-delà de l’idée, quel type de récit conviendrait le mieux ? Le choix paraît se réduire entre deux possibilités.

Premièrement, aller vers le purement rationnel. Le roman pourrait narrer l’effondrement de la société industrielle par le détail. Mais c’est évidemment impossible en 20 jours, tournerait à l’absurde. Le lecteur ne pourrait y adhérer. Une centrale nucléaire peut exploser, par cent à la fois… Tout récit doit donner l’illusion de la vraisemblance.

Deuxièmement, le roman peut prendre la forme d’un conte fantastique, où l’Apocalypse n’est pas expliquée, pas justifiée. La liberté narrative y est bien plus grande, le mystère plus épais… C’est ce que j’ai retenu.

Ce sera au lecteur de se faire sa propre opinion, de projeter ses propres fantasmes dans le récit. Il connaîtra la terreur, l’insondable. L’essentiel est de faire ressentir l’extrême difficulté pour des humains de prendre conscience de la fin apocalyptique de la société dans laquelle ils vivent et de s‘y résoudre.

Logiquement, seuls les humains et les réalisations industrielles et capitalistes du monde entier seront atteints. Tout le reste, faune, flore et géologie ne sont pas touchés.

Apocalypse sélective donc…

*

Ensuite, où situer l’action ? Un seul lieu clos est insuffisant. Sur 20 épisodes, il faut un voyage, une exploration, une fuite devant le danger, même si la fuite se révèle vaine et sans espoir…

Le concours étant français, axé sur le quotidien, il faut donc prendre des français, mais les décaler. Une famille partie travaillée en Chine, au Japon, en Asie serait très bien.

L’autre avantage de cette famille expatriée est d’aborder une autre manière qu’européenne de réagir à une apocalypse en cours, selon une autre manière de voir le monde.

Mais est-ce bien vrai ? Serait-ce si différent qu’en Europe ?

Attention à trop d’exotisme. le roman doit rester universel et simplement exploiter un lieu, en l’occurrence une ville asiatique.

*

Il me semble pour poursuivre que cette contrainte des 20 derniers jours est excellente, mais qu’écrire un compte à rebours est banal, et relève du genre film catastrophe… Ces jours qui passent demeurent l’axe central du récit feuilletonnesque mais sans vraiment être précisés.

Restons dans la sensation, pas dans le calendaire…

*

Toujours à propos du temps qui passe, ma première idée venue à été de faire du personnage central un jeune enfant, un petit garçon de 6, 7, voir 8 ans.

C’est la meilleure solution à mes yeux, car un enfant n’a qu’une vague idée de la mort, ne perçois pas le temps comme un adulte, vit presque au jour le jour, en attendant des dates mythiques, comme son anniversaire, le début des vacances, noël qui justement tombe le 25, juste après le 21 décembre…

Un enfant peut aussi tout naturellement s’inventer des histoires, trouver des parades psychiques contre le malheur plus facilement qu‘un adulte…

Comme durant une guerre, l’enfant vit l’Apocalypse en cours comme une grande aventure, qui ne serait être totalement sinistre.

*

Clairement, le roman pour être équilibré et ne pas ennuyer le lecteur doit suivre deux grandes courbes qui se croisent.

Une courbe décroissante, celle de la population adulte qui est décimée par l’Apocalypse en cours. La terre, la ville asiatique où réside le jeune enfant, se dépeuple, se vide.

Une courbe croissante, celle de la socialisation du jeune héros. Paradoxalement, plus l’Apocalypse avance, qu’il y a de morts y compris ses parents, il multiplie les rencontres. L’enfant découvre la solidarité, le danger et explore la ville qu‘il connaissait peu.

Libéré du carcan familial, de sa vie bien réglée d’enfant unique d’expatriés, il peut redécouvre une forme de liberté.

Notre jeune héros ne s’enfonce pas uniquement dans le malheur, il s’ouvre au monde, le nouveau monde d’après l’Apocalypse, d‘après le Capitalisme.

*

Finalement, la ville retenue est Shenzhen en Chine, cité de plus de dix millions d‘habitants qui jouxte sur le continent Hongkong. 

Pourquoi elle et pas une autre ?

C’est tout d’abord une ville qui accueille réellement nombre d’expatriés, français et autres. La vraisemblance est donc là.

Ensuite et surtout, c’est l’une des villes symboles d’un capitalisme triomphant. Devenue en 1979 zone économique spéciale dans le cadre de la politique d’ouverture aux capitaux étrangers en Chine impulsée par Den Xiaoping, Shenzhen maintient un délirant taux de croissance d’environ 25% par an…

En à peine 30 ans, elle est passée d’un bourg agricole à une ville parfois sans âme architecturale, fait d’alignement d’immeubles d’habitation, avec tout de même de vieux quartiers.

La Chine est paraît-il l’avenir du monde, un modèle à suivre… Situer l’Apocalypse capitalistique en ce lieu est donc parfaitement logique et résonnera dans l‘esprit de chacun.

Symboliquement, le capitalisme, c’est la Chine, même si évidemment, ce système économique tend à dominer l’ensemble du Globe.

*

Détail amusant de Shenzhen, un véritable paquebot d’origine française transformé en restaurant est situé au beau milieu d’immeubles qui ont gagné sur le port.

Je peux donc inverser le mythe de l’Arche de Noé. Les enfants rescapés vivent à bord, tandis que la faune prend possession de la ville, du monde laissé à l’abandon…

*

Situer une histoire au bon endroit, au bon moment, avec les bons personnages, c’est déjà une bonne part du travail.

Gulzar Joby

gulzar.joby@gmail.com

Feuilleton "Les aventures de Wictorius du Futur" à suivre, nouvelles publiées et CV littéraire sur le blog :

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