Toile de fond

joowe

Un matin gris comme l’humeur d’un lundi…

Un bus égrenant ses arrêts en cohues et fétides effluves et déversant enfin pensées assoupies et mines tristes sur le béton de l’ombre d’une gare…

Son pas machinal un instant s’alangui, son regard saisissant au loin un rouge vif laissant s’échapper une étincelle de vie dans ces lieux sombrement quelconques : une femme pressée portant mallette et dossiers, une femme de dos, en manteau rouge.

Toute la journée cette image le hanta et revint dans ses pensées comme un air de musique entendu le matin et que vous fredonnez tout le jour. Absent, comme étranger à ce qui l’entourait, cette scène s’imposait sans cesse dans ses pensées : cet être en rouge dans une foule grise. Sans trop comprendre pourquoi cela l’avait tellement marqué, il y voyait un signe, un appel, ce contraste à peine entrevu l’attirait comme une beauté secrète.

Le soir même il avait esquissé cette scène banale étrangement restée si présente dans ses pensées. Le hall de gare, l’escalier, la foule et la femme de dos, il fut soulagé de trouver tout cela si commun et s’en fut se coucher calmement. Mais dans ses rêves, il vit cette femme se retourner faisant figure de diable brandissant ses dossiers en guise de fourches.

Ne trouvant plus le sommeil, il se leva au milieu de la nuit. Pinceaux, palette, toile, il installa tout avec frénésie, son dessin devait devenir un tableau, il lui fallait figer dans la toile cette femme au manteau rouge afin qu’elle ne puisse plus se retourner, faire d’elle une image, rien qu’une image, la sortir de lui-même, s‘en délivrer.

Il ne vit pas le jour se lever, oublia le temps sous ses pinceaux envieux, sa fatigue sur sa palette impulsive , sa faim dans les plis turbulents d’un manteau court.

Son œuvre terminée, il s’effondra, épuisé, mais exorcisé, enfin!

A son réveil il s’inquiéta du jour, de l’heure et de prévenir de son absence ceux qui étaient en droit de s’en inquiéter. Il prétexta une rage de dents et la recherche vaine d’en dentiste disponible. La vérité eut été inavouable et bien plus confondante qu’un mensonge.

Il entreprit de reprendre son apparence habituelle et en éliminant quelques tâches de peinture, il réalisa que c’était la première fois qu’il commençait et finissait un tableau en une seule fois. Mais, était-il vraiment terminé? Il ne se souvenait plus très bien… non, il n’irait pas vérifier, pas maintenant. D’ailleurs, il n’était pas sec, trop tôt pour des retouches, en fallait-il d’ailleurs? Pour s’en assurer, le cœur battant, ses pas le guidèrent vers la femme au manteau rouge …

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