Torse de femme

elise18

d'après la toile de Félix Vallotton, Torse de femme

Perversion

Elle est belle, me dis-je.

L'innocence de l'enfance est encore là, sous les traits dévastés. De sa candeur n'émerge que la mélancolie. Du rouge de ses joues, qu'une profonde colère. Colère qu'elle a tenu à garder secrète. A garder enfermée. La clé sur la porte a dû ensuite se perdre. Et le feu allumé brûle maintenant les corps. La chair lacérée de toutes ces femmes qui ne verront pas le jour.

Penchées, mutilées ou avortées.

Le peintre que je suis les devine. Cette jeune femme, aux bras nus, aux bras roses et ronds me révèle son être, m'ouvre impunément son ventre, sa vérité. Elle avoue, sous silence, par son dos voûté, ses épaules baissées, la soumission qui la hante. Elle hurle sa pudeur malmenée.

Elle n'est pas ici par choix. On l'y a traînée.

Jetée dans l'arène par une mère-reine. Jetée sous les esquisses du peintre, à la merci d'une possible étreinte.

Meurtrie, saccagée par la détresse, la jeune fille ne semble plus vouloir lutter. Elle laisse la mère, assise sur le sofa de cuir, la transpercer du regard, imaginer les mains qui vont plus loin, qui transgressent et déchirent.

Elle ne peut plus rien contre ce qui l'oblige et la sidère.

Contre ce qui viole.

Les poings serrés sur sa poitrine racontent la honte, l'indignité.

Le tissu se froisse, les mains, les siennes, sont moites.

Les miennes me démangent. J'écoute son corps bavard.

J'entends la douleur infernale et me lève. Raccompagne la mère juchée sur ses escarpins et drapée dans sa superbe et sourde estime. La prie de bien vouloir attendre là. Dans ce couloir sombre, sur ce banc de marbre bleu glacé. Je lui recommande de rester à l'écart. En dehors. Et de me laisser faire mon travail.

Et je reviens.

Je peins.

Les épaules baissées, le dos voûté, les femmes en feu, la chair lacérée.

J'ouvre la porte, j'offre la parole. Je place les mots dans les bouches bâillonnées. Permets les cris et la révolte.

Je les redresse.

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