Transformation

petisaintleu

Le déconfinement était prévu pour le 11 mai. Je cumulais tous les facteurs pour terminer aux urgences, antichambre du cimetière. J'avais peur.

J'avais 50 ans. Oui, j'avais beau me le cacher, j'avais l'âge de mes artères et le covid-19 se moquait totalement que depuis une décennie je jouasse au vieux beau.

J'étais un homme. Autant dire que confiné et vautré toute la journée sur mon canapé à mater pour la 12000e fois la finale de la Coupe du monde 2018 une bière à la main, il m'était extrêmement difficile de respecter les gestes barrière, trop habitué à mes gratter les glaouis et à me curer les narines. Et, bien évidemment, j'étais hypocondriaque.

J'étais obèse. Avant l'enfermement, j'avais un corps de rêve. Mais je m'étais fait un nouvel ami, le frigo. Dans les supermarchés, je n'avais pas les moyens de m'acheter des fraises de Plougastel. Je m'étais rapatrié sur la charcuterie bourrée de phosphate, le coca et le chocolat à l'huile de palme. Ma balance avait rendu l'âme. J'étais incapable de rentrer dans mes jeans taille basse et je me contentais de porter un boxer – bien pratique pour me gratter les glaouis affalé dans le canapé à mater pour la 12000e fois la finale de Coupe du monde 2018 – et un T-shirt.

Enfin, j'étais un père de jeunes enfants qui ne tarderaient pas à retourner à l'école, propageant avec toute leur innocence le virus en tripotant tout ce qui se présentait sur leur passage.

Résumons : j'étais vieux, j'étais un homme et j'étais gros. J'étais donc statiquement dans le viseur pour que la Faucheuse me proposât un aller simple vers la mort.

Il me restait un atout de taille : je n'étais pas une buse.

Il me restait une solution : changer de sexe, maigrir et rajeunir. Et, accessoirement, me débarrasser de mes enfants.

J'ai contacté trois cliniques de chirurgie esthétique. Aucune n'accepta de m'hospitaliser en urgence. Tous les médecins avaient migré vers les hôpitaux publics pour aider dans la lutte contre cette saloperie. Mais n'imaginez pas que ce fût par philanthropie. Seuls le pragmatique et le cynisme les animaient. Il était pour eux urgent que leur clientèle botoxmisée ne passe pas l'arme à gauche.  C'est la raison pour laquelle on les trouvait en première ligne. Question psychologues, ce n'était guère plus brillant. Pas un ne s'intéressait à mes angoisses existentielles, préférant s'occuper des paranos qui pleuraient de ne plus pouvoir aller faire pisser Mirza à tout bout de champ.

Heureusement, j'ai une bonne mémoire. Je me souvins de Michel Strogoff qui passait à la télé quand j'étais gamin, se faisant brûler les yeux au fer rouge. Armé de tout mon courage et de vodka, je mis un couteau au four à 250°c. Une fois la bouteille terminée, je l'en sortis. Les abats terminèrent dans la gamelle de mon chat qui ne se formalisa pas que mon timbre de voix eût baissé de quinze octaves.

Il est humain que l'opération entraîna des conséquences physiques et mentales. J'abandonnai les Bleus pour une rétrospective des championnats du monde de patinage artistique. Il y eut des résultats relativement positifs. Je fis des économies sur la mousse à raser. Mon dos me fit un peu moins souffrir. Je constatai que mes membres supérieures compensèrent au centimètre près la disparition de mon membre reproducteur pour en gagner vingt. Je n'avais plus à me baisser pour ramasser mes caleçons – à vrai dire, je les avais remplacés par les culottes en coton et les strings de mon épouse – quand ils traînaient dans le salon. Quant à mes enfants, ils hésitaient à m'appeler Pamam ou Mampa. J'ai pu noter que je n'avais pas perdu mon sens de l'humour. Je leurs ai dit que la deuxième dénomination me convenait car je ne suis pas une mythomane.

Ma progéniture est aujourd'hui dans une famille d'accueil. À la rentrée de septembre, je n'avais pas prévu ma transformation. Quand je voulus les récupérer le midi, on me le refusa, car je n'étais pas inscrite sur la liste des personnes autorisées à les récupérer.

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