Transparence

Martin Berard

Je ressentis soudainement mes genoux s'entrechoquer, comme s'il était arrivé quelque chose de mal, ce sentiment de culpabilité m'envahissait et pourtant, j'étais enfin libre. Je me retrouvais enfin seul au volant de cette voiture, sans personne pour m'indiquer où aller. Cette sensation disparaissait timidement derrière un frissonnement, je sentais cette fois-ci monter en moi l'adrénaline, comme à chaque grande étape de la vie où l'on redevient le temps d'un instant, naïf face à ce monde si grand. 

La jauge d'essence m'indiquait qu'il ne me resterait plus beaucoup de temps à frissonner avant que les lois de la physique ne rattrapent mon élan de naïveté. L'après-midi était sombre et froid, un homme sorti du magasin de la station-service me faisant signe de ne pas me servir seul, je compris en regardant sa main s'auto-désignant qu'il allait s'en charger. J'avais fait un détour pour trouver une station essence, j'étais arrivé dans la ville d'Orsha, une trentaine de kilomètres seulement me séparaient maintenant de la frontière russe. J'avais passé beaucoup de temps dans ce pays depuis l'éclatement du bloc Soviétique.

Cette architecture, cette ambiance quelquefois glaciales qui autrefois me terrorisaient m'étaient avec le temps devenues familières. Je m'étais attaché à ce peuple, ils avaient quelque chose que nous n'avons plus en Europe occidentale, tout était simple, triste quelquefois, mais d'une simplicité redoutable qui rendait la vie plus paisible.  

Le passage en Russie n'était désormais qu'une simple formalité, étrange pourtant pour un homme tel que moi, de fuir vers ce que je m'étais tant acharné à combattre, vers cette politique opaque qui m'avait tant répugné et que je voulais vaincre. Quand j'y réfléchis, je me rends compte que c'est la suite normale des choses, je n'ai su faire que cela, évoluer dans un milieu opaque en existant le moins possible. Alors c'était cela fuir, se cacher encore une fois, mais à la seule différence que j'étais aujourd'hui maître de ma fuite, rien n'avait été préalablement écrit. 

Je repris la route plus que jamais décidé à mener à bien ce que j'avais entamé, les kilomètres passèrent mais cette longue ligne droite me semblait interminable. 

Je ne voyais que des champs et une forêt dense autour de moi.

Le trafic s'intensifiait, le passage de la frontière n'était indiqué que par un simple panneau, il n'y avait effectivement plus de contrôle douanier depuis la création d'un espace économique commun entre ces nations ce qui n'était pas sans me déplaire, moi qui suis si épris de transparence. J'avais tout de même prévu un nouveau passeport, dans le cas d'un contrôle une fois en Russie, j'étais désormais Isaac Nicolaï, un ressortissant russe né à Saint Pétersbourg. Il me restait encore une dernière formalité à accomplir, trouver un véhicule immatriculé en Russie pour essayer encore une fois de n'éveiller aucun soupçon  en cas de contrôle. Et me revoilà hors de ma route, dans la ville russe de Yartsevo qui n'inspirait pas grande confiance. Ses usines désaffectées aux briques rouges, des immeubles rongés par la pauvreté, le symbole d'une reconstruction n'ayant jamais pris. J'attendis la tombée de la nuit pour faire l'échange de voiture, je laissai les clefs de ma Ford sur le siège conducteur en me disant que les propriétaires de ma nouvelle voiture seraient heureux d'en trouver une flambant neuve à la place. Je commençais à m'humaniser à ma façon, il fut un temps où je n'aurais pas ressenti un tel sentiment et fait disparaître toute trace de mon passage, mais quel risque y avait-il ici ? Personne n'est plus à ma poursuite désormais. Je n'eus même pas à crocheter la serrure, la porte n'était pas verrouillée, une dizaine de secondes me suffirent pour démarrer le véhicule en créant le contact avec les fils sous le volant.  

Il était tard, je décidai de passer la nuit dans cette usine désaffectée que j'avais aperçue en arrivant à Yartsevo. L'endroit était presque effrayant, et rassurant à la fois puisque personne ne viendrait dans un endroit pareil à la tombée de la nuit. J'étais une nouvelle fois seul dans l'ombre, invisible, tapi dans un coin de cette grande pièce me demandant ce que l'on pouvait bien produire ici à l'époque, en cette Russie communiste. Le vent s'engouffrait dans ces vitres brisées rendant l'endroit glacial et bruyant, la couverture trouvée dans ma nouvelle voiture me fut d'un grand confort, mon visage se dérida peu à peu et mes joues devinrent plus souples.

Je me mis à sourire, je pouvais, désormais à l'abri, penser longuement à cette dernière tâche qu'il me restait à accomplir, la retrouver elle.

Synopsis 

Nicolas Gallois, est un ressortissant français, agent de l'OTAN, envoyé par l'Organisation sur le territoire Biélorusse après l'éclatement du bloc soviétique. Ce fut un agent double également intégré au KGB (Biélorusse). 

Spécialiste des relations entre l'Europe occidentale et la Russie, il est également agent de terrain, son infiltration au sein du KGB Biélorusse avait pour but de surveiller les actions des renseignements Russe et Biélorusse après la répartition de la force armée de l'ex URSS entre les nouveaux États indépendants. Après 10 ans d'infiltration, Nicolas va décider de quitter cette vie où il n'est plus libre du tout, où sa couverture pourrait tomber d'un jour à l'autre. Ayant tout abandonné lors de son recrutement, il se lança à la recherche d'une femme, Anya Adamovitch, qu'il n'a jamais réussi à oublier, celle avec qui il comptait bien passer le restant de ses jours quand ces hommes étaient venus le chercher. 

Nicolas va retrouver ce qu'il avait laissé il y a dix ans, mais tout semble différent.

Les mentalités ont changé, les endroits également. Son amie Anya a refait sa vie, le pensant mort depuis des années, elle le rejeta ne comprenant toujours pas la cause de ce départ si brutal. La fuite qui lui paraissait si idyllique se transforma alors en cauchemar, Nicolas retomba soudainement sur une réalité parallèle, dans laquelle il se trouva une nouvelle fois emprisonné. Que lui reste t-il  d’autre que la fuite ? Solution au problème et nouveau problème à la solution, Nicolas se retrouva face à son destin. Il choisit cette fois-ci de vivre simplement comme tous ces gens autour de lui, comme il l'a toujours rêvé, ici à Moscou. Mais il manquait toujours une chose à sa vie rêvée, l'irremplaçable Anya. 

Son passé va rapidement le rattraper, sa double identité va être découverte par les services secrets Biélorusse. Ils vont retrouver sa trace en Russie, découvrir sa nouvelle identité et le pourchasser sans jamais réussir à mettre la main sur lui. Nicolas n'étant  plus si efficace qu'il l'était avant cette année de repos, il considéra qu'il ne pourrait leur échapper indéfiniment et décida de régler le problème à sa source en reprenant du service. Ils vont alors toucher à la seule chose que Nicolas ne peut pas contrôler, ses sentiments. Les renseignements biélorusses vont enlever Anya et s'en servir d'appât pour attirer Nicolas dans leurs filets. 

Après avoir retrouvé son amie, Nicolas va se rendre compte qu'il avait été dénoncé par une personne de son organisation, il va ainsi découvrir tout un réseau de corruption au sein de l'Organisation.

Tout avait été en réalité fait pour l'écarter de la cellule corrompue. Après avoir mis Anya en sécurité, il va se rendre au siège de l'Organisation à Bruxelles se faisant passer pour un diplomate Ukrainien de façon à établir la preuve de l'existence de ce réseau souterrain. 

Alors c'était cela fuir, être mis de côté et revenir terminer sa mission, rendre publique l'existence de ce réseau. La justice n'est pas le combat de l'agent Gallois dans cette affaire, la gloire n'était pas son fort, mieux valait rester en dehors du remous qu'une telle déclaration aurait pu engendrer. Nicolas comprit qu'il n'y avait pas d'alternative, s'il voulait qu’Anya ait une vie sans danger, il devait rendre la main et disparaître. N'est pas maître de sa fuite qui veut, il suffit d'y croire pour la vivre. 

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