Transport amoureux
jh-dreamy
2006, Paris, quartier d’été. Retour de festival, les copines remontées à Nancy, moi j’avais récup un deux-pièces à Goncourt en échange de mon duplex-terrasse-vue sur mer. Le soir, il y avait ciné en plein air à la Villette, le jour il faisait trop chaud, la capitale vautrée dans l’apathie, j’essayais vaguement de me concocter un prog en attendant l’orage. Le matin, lire Libé à la terrasse des Folies, du trottoir émanaient les odeurs de bière renversée. C’est ce que j’ai répondu au mail de Chris, qui me racontait les apéros de vacances, la fatigue du retour, les trucs lénifiants d’été où rien ne se passe, juste dormir et picoler. Dans Libé comme tout le monde je lis les messages, bouteilles à la mer du hasard, combien de chances pour que le destinataire tombe dessus ? Par jeu, j’envoie à Chris :
> Re-moi
> Dans le Libé d'aujourd'hui, enfin le message que tu attendais et qui
> semble t'être destiné... Cours l’acheter !
Franchement qu’est-ce que je foutais à Paris, désoeuvrée comme ça. J’aurais pu les suivre. Je lisais Entre les murs en me demandant si vraiment c’était une bonne idée ce concours de prof. Mais j’allais quand même pas vivre hors les murs encore de longues années, Français de l’étranger : l’éternel entre-deux, le confort suspect. Peut-être j’aimerais ça, vivre ici, Paris l’été ça rime à rien mais quand tu prends le rythme c’est autre chose. Belleville-Faubourg du temple, l’aventure au coin de la rue. L’ambiance cosmopolite. Le soir j’écoute Culture en fumant des Marlboro à six euros cinquante, seules clopes trouvables au Zorba. Réponse de Chris.
> L'horreur
> comme je voulais acheter Libé au tabac-presse du coin, j'ai été prise en otage
> par un mec avec un flingue et une cagoule, je viens de passer une heure et
> demie au commissariat Lobau pour témoigner. J'ai cru que mon heure avait
> sonné, je me suis barrée en courant avec le mec dans mon dos qui aurait pu
> me tirer dessus.
> Je me suis retrouvée au Shopi d’en face à hurler : aidez-moi ! Les flics l'ont
> chopé, ouf... Le mec était déjà connu, ça doit pas être la première fois qu’il
> braque des commerces comme ça, ils l’ont coursé et embarqué, il avait juste
> changé de chaussures.
> Je suis encore un peu sous le coup de l'émotion, et Laura m'attendait chez moi
> sans savoir ce qui se passait. Du coup, je n'ai pas Libé, donc pas d'annonce,
> alors je veux bien que tu me la recopies. Par contre, j'ai eu ma dose
> d'adrénaline pour l'année.
Oh merde. Le jour le plus chaud de l’été, faut qu’un dingue secoue la torpeur, j’ai pas réalisé tout de suite, un braqueur de bureau de tabac un 26 juillet à Nancy, on sait pas ce qui peut lui passer par la tête. Un coup à voir ma copine faire les gros titres pour un message qui ne la concernait même pas.
> C'est fou cette histoire ! C'est qui ce malade ?
> Allez je te recopie cette annonce qui m'a encore fait bien rire :
> « J'ai envie de courir nue sous la lune avec toi. J'aimerais me réveiller chaque
> matin à tes côtés. Je t'aime infiniment. De Laura à mon Amour Chris. »
Blague de potache et serial killer de quartier, ça sent la série B.
Rue Bichat, toujours pas l’ombre d’un. Je replonge au cœur de la ZEP, tu parles d’une lecture de vacances. Et puis Entre les murs ça dit pas tout, maintenant que je suis sur le terrain je vois bien. Aujourd’hui au secrétariat du collège y avait trois flics pour des gamins de 5e, ceux qui racolent à la récré pour un réseau de prostitution.