Très mauvaise blague
cheikh-yourbadi
On devait désormais les appeler « les Orlanducci ». C’est ça la Corse ; on change de nom mais pas de famille. Jean-Charles venait d’épouser Pauline Castelli, son premier amour du lycée Vincensini. « C’est sa franchise et son honnêteté dans ce monde d’hypocrites qui m’a déterminée à le choisir, confiait-elle alors à ses collègues du bureau de Poste de Folelli qui étaient invités à son mariage, et certainement pas son côté bimbo pétasson, vous savez le genre de mec à pouvoir se regarder dans la glace pour vérifier que sa mèche est en place pendant que vous entretenez une conversation sérieuse avec lui. » Elle tomba enceinte dans la foulée. Il était là avec elle, dans cette chambre de l’hôpital de Bastia, le jour où le bébé venait au monde. Il sortit du ventre et les infirmières l’emmenèrent aussitôt.
Vingt minutes plus tard, le professeur Paul-Marie Santucci revenait dans la salle de travail avec le visage fermé, avant d’annoncer d’un ton grave et solennel : « Les Orlanducci, j’ai une mauvaise nouvelle pour vous. » Pétrifiés par le dispositif de terreur installé par le médecin, les nouveaux parents ne surent que répondre ; et, de fait, c’est un silence à la tonalité exacerbée en tristesse et accompagné d’un effet accentué de time stretching qui fit office de réponse. « Ce que je dois vous annoncer est difficile à entendre, mais c’est mon devoir de le faire », surenchérit-il. Jean-Charles murmura soudain : « Allez-y docteur, nous vous écoutons. » Il prit un élan d’inspiration forcée, se gonfla la poitrine avec l’air ambiant en qualité de succédané de courage, et dit : « Alors, vous devez savoir que votre progéniture est diminuée... Il faut comprendre par là que votre enfant n’a pas de jambes. » Un cri strident fut instantanément expulsé par la gorge de la patiente du service de néonatologie, antérieur à une pluie de pleurs relatifs à l’horreur dont cette information rendait compte. « Et moi qui voulais l’inscrire au Sporting... », expliquait le père désemparé, essuyant une larme au coin de l’œil et s’exerçant à remonter une sécrétion nasale dans son lieu d’origine par dignité réflexive sans doute. Il faut dire que c’était de tradition séculaire que de suivre les performances du dauphin dans les stades de foot de l’île, peut-être plus encore même que de lui inculquer les valeurs de week-end du village (chasse aux grives et processions mystiques). « Docteur, a-t-il au moins les autres membres ? – Non. » Les données atroces eurent-elles à peine le temps de parvenir à l’intellect et d’affliger d’irréversibles flétrissures à l’honneur civil que, les bras croisés, le représentant du corps médical ajouta : « à vrai dire, votre enfant n’a ni membres, ni même tête. » Dans une mise en scène sordide, Dr Santucci claqua des doigts et une infirmière vint aussitôt, portant soigneusement un petit coussin à motif d’hôpitaux, sur lequel était disposé une oreille. Oui, n’était là que l’organe servant à l’écoute. Proposé à la vue du jeune couple, dont la première expérience parentale se réduisait à cette tragédie ignoble, ce morceau de chair ne manifestait aucun signe de vie. Peu importe, c’était leur enfant et la promesse implicite de le chérir coûte que coûte était déjà fermement tenue. Les yeux imbibés, ils se mirent à asséner, à l’unisson, le verbe rassurant que leur instinct leur guidait : « Ange, nous sommes tes parents et nous sommes là pour toi... » Le médecin leur coupa tout à coup la parole : « Ne vous fatiguez pas, il est sourd. »
C’est alors que ce dernier produisit une nuée terrifiante de rires, grondante comme le tonnerre : « Ha ! Ha ! Ha ! Mais non les jeunes ! Je vous faisais marcher ! Ô zitelli, c’est une blague ! Ce n’est pas votre enfant ! » Ce qui devait être la dernière farce du Docteur Santucci avant sa retraite (il s’agissait en effet de son ultime accouchement) était sans doute la pire de sa carrière d’enculé. Connu pour un humour qui n’amusait malheureusement que lui-même, un autre fait de gloire est qu’il avait fait croire à ses deux filles jumelles Aurélie et Aurore, jusqu’à leur majorité, par gratuite méchanceté, qu’elles étaient nées siamoises, fausses preuves à l’appui (photos et documents officiels) et qu’on les avait séparées chirurgicalement à l’âge de deux ans (tout simplement parce qu’il n’avait guère digéré le fait que son ex-femme, leur mère, était partie avec un brancardier de la Polyclinique de Furiani). Les Orlanducci, dans un état de mixture psychologique bouillante, à la fois décomposés et rassérénés, attendaient qu’on leur amène leur fils. « Allez, calmez-vous... Restez là, je vous apporte votre progéniture », dit le médecin. Il revint avec un nourrisson paisiblement assoupi et confortablement ancré dans ses bras poilus. Soudain, Dr Santucci, inattentif au sac de nœuds de fils électriques qui s’étendaient parterre, se prit les pieds dedans et s’étala de tout son poids sur le sol ; le bébé, projeté par la violence du choc, atterrit dans un tiroir ouvert, lequel était plein de scalpels et autres outils contendants. Un hurlement parental ponctua le moment. Ramassant son corps à l’aide de ses coudes fatigués, il tendit la main et proclama : « C’est bon ! Ne vous inquiétez pas, il était déjà mort ! »
Très bon texte!!! Racine t'es qu'une merde sans goût!!!
· Il y a plus de 10 ans ·joubert
Acide, monsieur, ceci est acide, et j'aime boire les ciguës terribles.
· Il y a environ 11 ans ·jean-baptiste-machen
Tes textes sont vraiment de très mauvais goût.
· Il y a environ 11 ans ·jean-jacques-racine