Troubles et Conséquences - Chapitre 3

Jeff Legrand (Djeff)

Je continue de partager avec vous mon travail de réécriture en cours, ici le 3éme chapitre où je continue d'installer le contexte relationnel. Ce n'est pas le texte définitif, mais on s'en rapproche.

Joyeux anniversaire


David dévale les escaliers, surexcité, dans son costume de Iron Man. Le jour est à peine levé. Aujourd'hui, il fête ses huit ans. Il reçoit ses amis à l'appartement, puis ils vont passer le week-end à Disneyland. Il n'arrête pas d'y penser depuis qu'il a découvert les réservations sur le compte email de sa mère. La filouterie est indéniable, mais cela devient difficile de lui cacher quoi que ce soit, notre fils est intelligent, curieux, et très impatient. Je comprends sa mère qui a été en colère, consternée de le voir « fouiller » dans ses affaires. J'ai assisté à une mise au point animée, avec pour conséquence le verrouillage de l'ordinateur. David était monté dans sa chambre, tête basse, mais j'ai pu lire un brin de fierté dans le regard de Laure. Il maîtrisait l'ordinateur comme moi les billes à son âge. Nous devons l'admettre, il grandit.

Je n'arrive pas à lui en vouloir, cette indiscrétion lui a permis d'être heureux près de quinze jours, plutôt qu'un seul week-end. Sa mère lui a prévu d'autres surprises, il n'est pas près de descendre de son petit nuage.

Elle comme moi sommes heureux de le voir ainsi, sa candeur comme bouclier aux événements de la vie. Nous n'avons hélas pas cette chance et, d'une certaine manière, la lui envions. Cela nous permettrait d'oublier que c'est le premier anniversaire que nous ne préparons pas ensemble. Que nous ne fêterons pas ensemble. Je sens qu'elle aimerait penser autrement, partager avec moi ses idées comme elle pouvait le faire avant d'apprendre la vérité. Elle m'aurait pris dans ses bras ou posé sur ses genoux après le coucher de David. Le regard joyeux, elle aurait été fière de me raconter ses trouvailles. Mais c'était avant. Aujourd'hui, elle fait tout pour m'éviter, et je sens que je vais bientôt devoir partir, je lui dois bien ça. Ma place dans ce salon comme dans son cœur se rétrécit. Si tout est terminé c'est de ma faute, et si elle veut tourner la page, je ne peux que l'accepter. Il ne faudrait pas que sa nostalgie, mêlée à une profonde amertume, ne se transforme en neurasthénie, comme cela est le cas pour moi. Je souffre de voir ma vie défiler, de voir les conséquences de mes actes impacter tout ceux qui m'entourent.

En ce jour spécial, tous nos ressentiments sont mis de côté, aidés par les cris des enfants qui rythment les combats des supers héros, à l'étage. L'ambiance est aussi légère dans le salon. Les quelques parents qui accompagnent la troupe finalisent l'organisation et la répartition des tâches. Entre le spectacle de clown de la mère de Sophie et celui de magie du père de Félix, j'éprouve des regrets à savoir que je ne les accompagnerai pas. Je vais passer le week-end seul, nouvelle mise à l'épreuve punitive que je me dois d'assumer, maintenant que j'ai compris. Le principal reste que David puisse vivre l'anniversaire de ses rêves, et sa mère s'y emploie avec une bonne humeur crédible, utilisant toute sa panoplie d'armes factices pour la faire paraître. Je lui suis reconnaissant de sa pugnacité à rechercher le bonheur de notre fils, cette quête devenant un moteur pour trouver le sien. Quoi qu'elle puisse bien penser aujourd'hui, j'espère qu'un jour elle comprendra. Ou, au-moins, qu'elle oubliera. Oubli comme pardon sont des ancres que l'on traine. J'ai réussi à lâcher les miennes, c'est au tour de Laure de s'y employer.

Le lendemain, le doux bruit de la clé dans la serrure me réveille et me ramène à la réalité. La porte s'ouvre et laisse place à un énorme ballon Iron Man qui monte au plafond, attaché au poignet de David. « Allez, file petite canaille, je t'avais dit d'y aller avant de partir ! Et fais attention avec ton ballon ! » crie Laure à David qui court déjà vers les toilettes.

Elle est fatiguée, normal après une telle journée. Les frasques de notre fils lui permettent de garder le sourire. Elle est en train de trier les sacs posés sur la table, remplis de cadeaux et de souvenirs, quand David revient dans le salon, s'essuyant les mains sur son costume.

— Maman, maman, je peux montrer mes cadeaux à Papa ?

Une mimique de haine marque le visage de Laure et me foudroie. Le vert de ses yeux tourne au noir quelques dixièmes de seconde, elle respire et se reprend :

— Chéri, il est tard, il faut encore que nous mangions. Et puis nous ne savons pas ce qu'il fait, tu pourrais le déranger.

Comment le pourrait-il ? Ma vie lui est vouée, je n'ai d'autre souci que de le voir grandir et s'épanouir, réussir sa vie comme je n'ai su le faire avec la mienne. J'aimerais qu'il vienne me montrer ses cadeaux, qu'il me raconte sa journée, comme Laure pouvait le faire aussi, avant. Même s'il ne peut tout entendre, il n'est pas dupe et connaît la vérité. Ce n'est pas pour autant qu'il n'a plus besoin de parler à son père. La honte, le mépris, la misanthropie sont autant de maux qu'il ne connaît pas encore.

— Allez, va te mettre en pyjama, je te prépare des pâtes au jambon.

— Avec du ketchup ?

— Oui, avec du ketchup. Et maintenant file te préparer !

Elle se rue sur lui dans de grands gestes, ponctués par une attaque de guili-guili. Leurs éclats de rire me ramènent à des pensées plus positives, portées par leur complicité grandissante.

Dans un océan de solitude, je suis coulé par quelques vagues, porté par d'autres. Je navigue à vue sans savoir où je vais.

  • Mais tu joues avec le lecteur ?!!! Ou je suis trop curieuse, ou je ne lis pas assez vite !

    · Il y a presque 10 ans ·
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    Sylvie Loy

  • Je suis d'accord avec Marjo, c'est un chapitre beaucoup plus doux que les précédents, mais d'autant plus poignant. On ressent bien la différence entre l'amour parental et la haine/indifférence dans le couple.

    · Il y a presque 10 ans ·
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    jasy-santo

  • Chapitre très "doux", l amour du père pour son fils est très bien décrit, je retrouve cette sensibilité que j aime beaucoup dans tes autres textes...on se demande où va aller cette histoire, ça intrigue...:-)

    · Il y a presque 10 ans ·
    Zen

    marjo-laine

    • Merci ! Ça va aller à droite, à gauche, monter, descendre. S'obscurcir. S'éclaircir, peut-être. Ta curiosité me touche en tous cas !

      · Il y a presque 10 ans ·
      U3w9e40p

      Jeff Legrand (Djeff)

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