Mille visages

Fanny Chouette

Une claque humaine, 10 jours par an. Le bout du Monde est à deux pas.

Il faisait bien moche quand tu as posé tes valises trop lourdes sur le goudron ravi, ce jour-là.  Ton regard balayant cent fois les alentours, détaillait d'abord chaque parcelle de ton environnement, je te revois comme si c'était hier ; tu souriais. Tiens, faisons comme si c'était vraiment hier, juste pour le vivre encore. A l'échelle des choses qui comptent, on a cinq minutes d'avance. 

Des mois que tu entends parler de cette petite ville. D'elle, tu sais surtout qu'elle flotte au coeur de la patrie des bonnes assiettes. Peut-être t'es-tu renseigné sur nos volcans endormis qui dans la brume lancent des vagues sur le paysage. C'est joli crois-moi, plus encore quand le Soleil leur fait de l'œil. 

Cinq minutes passent et déjà tu ne m'écoute plus, tu t'habilles, te recoiffes et t'échauffes, la parade va commencer. Tu es beau comme le Monde. La carte postale, tu danses dessus.

Des mois que j'entends parler de toi. Toi que je vois maintenant défiler sous mes yeux. Tu es des centaines à la fois. Tu souris tu chantes fort, tu frappes du pied et le monde autour t'aspire.
Tu rends le Soleil aux volcans, la brume ne fait plus un pli. Bienvenue chez nous. Déjà, la musique qui résonne. 

J'ai bien essayé de les compter, tes visages. 

Une première fois tandis que tu te jouais des projecteurs, j'ai eu tout le loisir de percevoir l'écho de ton palpitant  aux aguets. La salle est pleine et toi tu inspires. Les silhouettes que tu distingues savent que tu viens de loin, ou peut-être un peu moins ; qu'importe puisque les volcans chuchotent.  

Tu apparais chaque fois plus beau, plus vrai, sous les mille facettes que tu délivres. Chaque virgule est propice au changement, pourtant toi, insolent, tu restes le même. Je te reconnais partout, tout le temps. Tu es le Monde. 

Et ce fut comme ça des jours durant. Chaque heure te métamorphose ; comment fais-tu pour nous emmener si loin ? Parfois seul le silence a les mots justes, alors on reste muets, imbéciles heureux devant ton grand art, celui de ne rien nous cacher. Des sourires en cascades,  des accolades et des yeux doux, aussi. Alors, on n'est pas bien chez nous ? 

Bien sûr certains matins succédant à trop de soirs, tes traits jouent les gros durs. Mais un sourire suffit à te rendre un  teint radieux. Le Monde n'a pas d'âge, et il te va si bien.  

Le  temps est dangereux quand on le vit si fort. A l'aube de ton départ, j'ai la sensation de ne t'avoir jamais connu. Quand les heures comptent, le regard s'adapte sans cesse. Ainsi je veux te détailler encore et encore, apprendre une fois de plus ce que je sais déjà, pour que tu te souviennes. 

Et puis ce soir, la brume qui dormait sur les volcans est venue se loger dans nos pupilles, pour un instant. Ça fait quelque chose. Tes mille visages ont à la nuit tombée les joues et les yeux rosés. Tu es beau à regarder, à sourire en reniflant !  
Puis à l'unisson, on se dit qu'on arrêterait bien le temps encore quelques heures. Alors on chante, et puis partout je te croise, tu veux en savoir plus sur les volcans, on danse sans savoir où l'on va et on rit. 
Tes visages sont comptés.

Et déjà, dans un sourire malmené, tu fermes tes valises et guettes le premier avion. Tes milliers de pupilles par le hublot, tu te fiches de la destination. Puisqu'on a chanté, dansé sans vouloir s'en aller, qu'on a ri à ne pas savoir ou aller. Car même si le Monde ne s'est pas fait en dix jours, on trouvera le temps d'en faire le tour.

On se reverra. 


(c) 2015.
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