Tu comprendras quand tu seras grande, princesse
Alice Neixen
L'inconnu me fixe, je dois avoir encore de l'eau accrochée au bord de mes cils. C'est compliqué d'expliquer à un inconnu qu'on fait des réserves pour plus tard.
Je garde mon silence buté, ou butoir peut-être, je crois que je perds même mes mots.
- C'est pas grave, je dis.
Sans me regarder cette fois, il allume une cigarette, inspire, quand on dit ça c'est jamais vrai, expire.
Je lui dis que j'aime pas les gens qui parlent comme des télégrammes, entre deux actions comme des STOP affligeants. Ça le fait sourire.
- Ça n'empêche pas.
Il a une voix grave et très douce, captivante.
- Vous êtes très cliché pour un inconnu. Ça fait sauter des barrières d'habitude ?
La cigarette tressaute, un peu de cendres s'en échappe. Le sourire en coin s'exclame :
- D'habitude oui, on devient très routinier quand ça marche.
- Je crois que la routine c'est surtout un truc d'homme.
- Donc c'est grave, finalement. Tu as changé d'avis sur un cliché. Tu vois que ça marche.
J'aimerai fusiller son sourire du regard pour lui montrer qu'il a tort, mais il disparaît et ses yeux prennent le relai.
- Un cliché, c'est pas une certitude, j'ai dit en m'adressant à la cigarette. Il vous faudra bien une personne avec qui ça ne marche pas.
Il gonfle ses poumons, bloque sa respiration, et des volutes de fumée s'échappent de ses lèvres et ressemblent à un baiser qui s'éternise au bord.
Le baiser souffle qu'on a pas besoin d'échecs pour confirmer une théorie, que c'est une invention des physiciens pour justifier des dépenses inutiles sur des erreurs de calcul.
- D'abord, vous êtes ringard, maintenant vous êtes railleur. Pasteur a inventé le vaccin contre à la rage à partir d'un erreur de calcul comme vous dites. On a découvert aussi par erreur que l'Amérique n'était pas en Inde. Et encore l'...
Je m'arrête net sous l'effet appuyé de son regard qui me fixe étrangement. Mal à l'aise, je lui demande s'il ne pense pas que l'erreur est une caractéristique humaine.
Il jette alors sa cigarette, écrase le mégot sous son pied et épilogue très doucement :
- L'erreur, comme la certitude et le cliché sont humains. L'essentiel, ce n'est pas les mots que l'on emploie pour qualifier les choses mais plutôt ce qu'ils nous permettent de réaliser. On se rencontre par erreur, on s'aime par certitude et on se quitte par cliché. Quand tu seras grande princesse, tu comprendras.
Il est monté dans son train, et j'ai pensé "tu comprendras quand tu seras grande" c'est plus qu'une erreur certaine de cliché.
''une erreur certaine de cliché'', et certainement un cliché erroné! :)
· Il y a plus de 12 ans ·amouami
Je rejoins un peu ce que dit Rudy Soret, il y a beaucoup de douceur dans vos textes - à l'image de vos commentaires, finalement - et une certaine fluidité... Puis des formules marquantes : "sauter des barrières d'habitude" ou "ses yeux prennent le relai"...
· Il y a presque 13 ans ·Bref, je reviendrai vous lire :)
Adeline
Merci à vous 2 pour les mots laissés! Je n'aime pas vraiment les mots agressifs, et j'aime la légèreté qui croit en tout et contraste avec les idées reçues. Jean-Louis, j'admets que c'est court, je n'ai pas l'habitude d'écrire des dialogues alors je m'y met doucement :)
· Il y a presque 13 ans ·Alice Neixen
C'est très court, mais j'ai aimé le rythme, les mots.
· Il y a presque 13 ans ·Jean Louis Michel
Une ode à l'humilité? Pour tous? En tout cas, c'est rafraichissant ce texte qui remet les gens à leur place sans agresser les consciences.
· Il y a presque 13 ans ·terosse