Tu l'attendras, dis?

eaurelie

Tu l'attendras doucement, hein. Elle sera tellement heureuse de te revoir.

Je vis dans une mauvaise réalité. Un mauvais rêve où je ne me souviens plus bien d'où était le réel au milieu des songes. Je n'arrive pas à savoir le jour que l'on est. Je regarde ma plaquette de pilules pour savoir. C'était hier qu'on a pleuré. On a pleuré beaucoup, çà a fait mal au ventre et à la gorge. çà a piqué, brûlé, souillé beaucoup de cols blancs et de mouchoirs en papier. Mais la réalité peine à s'inscrire devant cette jolie caisse de bois. Devant ces heures qui se sont écoulées, depuis. Je suis à la peine. La peine parce que je n'arrive pas à fixer la date et l'heure. Mon futur dans les minutes à suivre. La peine parce que je pense à ma tante. Je pense à sa douleur et aux mots que je n'ai pas su dire. Parce que les mots de réconfort m'avaient déplu pour Granny. Parce que les mots me fatiguaient, l'obligation d'écouter des mots mille fois foulés aux dents me lassaient. Je voulais seulement pleurer. Alors la voir perdre son amoureux. La voir le perdre aussi vite, aussi brutalement, aussi stupidement, çà brûle.

La rencontre a délié les langues. Le soir, avant. La nuit, le matin, la pause à midi. On a parlé, demandé pourquoi. Et au final, cette embolie si terrifiante d'immédiateté a des raisons à plus ancien terme. L'épée de Damoclès ne s'abat pas sur nous sans raison. Eh non. Non, elle s'abat puis on réalise que la corde qui la tenait suspendue s'était effilochée avant. Manque de soins, de conscience, de respect. Manques.

Je ne sais pas bien où me situer sur la trame Temps. La journée d'hier fut immense. Peu de sommeil, beaucoup de marche, de soleil, de pleurs. D'attentes. Beaucoup d'heures à regarder passer la France aussi.

Il a fallu récupérer un chat à la voix complètement cassée à force de miauler. Il a fallu se relever après s'être assise.

La nuit fut lourde. Sommeil très lourd, pensées de plomb. Corps immobile. Et le réveil.


Les enterrements, même.. si on ne connaissait la personne que depuis une toute petite après midi passée ensemble; les enterrements épuisent, dérangent et mettent à mal les édifices bringuebalants sur lesquels on vit.


J'ai entendu sa voix plusieurs fois. On se dit juste qu'il est derrière la porte, parti en déplacement. On se dit qu'il va revenir. C'est compliqué d'admettre un deuil. Mentalement parlant. Granny est partie depuis deux ans et pourtant, je ne suis pas certaine d'en avoir terminé. On s'habitue à l'absence grâce au rythme de nos vies. Mais où se trouve l'acceptation? çà doit valoir pour les personnes avec qui on vit tous les jours.

Et tu sais, je pouvais pas le dire parce qu'il est encore en vie. Mais la séparation d'avec l'Ancien s'est vécue comme un deuil. Je savais que je n'allais jamais le revoir. Le réconfort vient de la certitude qu'il est vivant quelque part. Mais.. je me dis çà aussi pour Granny et pour Laurent.

Par contre, la douleur.. La douleur m'a tenue pendant près de deux ans. Et je sais que j'ai passé la phase d'acceptation il y a peu. Je me rappelle. J'étais sous ma douche et j'ai réalisé que j'avais passé le cap.

Alors quand Céline est venue me dire qu'Elle voulait récupérer la voix sur son répondeur, j'ai eu tellement mal. Tu sais, on est plus jeunes, des bébés à côté de son historique et de sa vie mais il y a des douleurs universelles. Et cet aveu, cette volonté de garder sa voix.. çà m'a déchirée. Elle dort dans ses vêtements. S'engonce dans ses souvenirs.

Il ne faudra pas la laisser faire. Il faut pas qu'elle tombe plus bas encore.


Mais quelle ... déception. De voir que Dieu n'est pas miséricordieux, qu'il n'est pas bon, n'est pas juste ni même aimable. De voir que le destin peut s'acharner. Elle avait assez perdu de vie à pleurer et souffrir. C'était son tour de bouffer la vie à s'en faire exploser et ce, jusqu'à sa mort à elle. Et au final, après seulement 5 ans, elle retombe et tombe, tombe, tombe, tombe et tombe encore. A s'étrangler dans des "Et si?", à se massacrer la tête avec des souvenirs.

Mais quel.. Gâchis. Immonde destin répugnant et injuste.


Céline a lu Ses mots à Sa place. Ce furent des mots d'amour déchirants. Des mots qu'on lit tous les jours, des mots pour de vrai sur l'amour du quotidien. Ce fut ce quotidien si intime tellement mis à nu dans la crudité grisâtre de la mort. Cet aveu d'amour sans bornes, si chastement dissimulé quand on venait les voir. Mais non, elle l'aimait à la folie. Sans limites sinon celles de ses battements de coeur.


Je te demande juste de l'attendre, d'accord? Attends là. Et veille sur elle. Montre toi quand tu le peux. Accompagne-la sur chaque pas et dans chaque direction qu'elle fera. Et comme maintenant, tu n'as plus de limites corporelles, tu pourras être à trois endroits à la fois. Pour les accompagner au jour le jour dans l'acceptation et dans la construction de leurs vies. Parce que tu ne verras pas leurs mariages, pas leurs enfants. Tu ne seras jamais grand père. Jamais vieux.

Pff. Mais quelle ... injustice. Dieu, vraiment, tu me déçois.

  • A l'autre bout du monde chante Emily Loiseau...Je m'y suis reconnu.
    Votre texte est magnifique.Je m'y suis également reconnu...Merci pour cette lecture, vraiment merci..

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Mickael Froideval

  • Dieu n'y est pour rien. La mort fait partie de la vie. Il m'a touchée ce texte, ta révolte aussi, et ta peine que l'on peut toucher, elle est chaude et solide. Mais elle se dissoudra. Ce n'est pas le temps qui fait l'acceptation. C'est l'amour que l'on a en soi. Et la confiance. Et ce qu'on fait de ce qu'on a. Le passage sur la voix sur le répondeur, et les vêtements... il m'a bien remuée en tout cas. Merci du partage. Berce un peu ta colère. La vie a besoin de toi.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    ellis

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