Ulysse et Poseidon
walkman
Ça y est, tout est très clair. J'ai la tronche d'un linge pas repassé depuis des lustres, bouffi d'humidité. Et c'est quoi cette odeur dans mes sillons ? Pouah ! Sûrement des vermines pour me tenir compagnie, des comparses probables dans mon étau de tristesse. Dans le miroir rogné par la crasse, de ce petit local, mon sort semble scellé. Et ce sont bien mes sortilèges qui m'ont servi de piège. Loin, là-bas, au delà du bocage, loin très loin de ce que j'étais. Mon illustre, mes illusions, la dernière fois que j'ai eu la sensation d'être à l'intérieur de moi-même. Pas nécessairement bien au point de couler des sourires mièvres, mais au moins d'accord avec ma carcasse. Encore préservé du cafard et de mon insalubrité. Hôte d'autre chose, d'espoirs quelconques mais qui tiennent leur rôle de phare le temps qu'ils éclairent ; avant de donner le relai à d'autres. L'époque moins glauque où on pouvait encore apercevoir quelqu'un au fond de mes yeux. À l'endroit où, là, il n'y a plus personne. Dépourvu de tout, mes iris ont du mal à se poser quelque part. Sans doutes accablées par toute cette fièvre putride.
J'ai écoulé mon temps. D'abord en buvant le contenu de mon sablier, comme Elle me l'a justement rappelé. Puis après m'être enivré les sens exagérément, j'y suis allé d'autres torpilles pour la pétarade de mes grains. On me ramassera à l'aspirateur, en même temps qu'on nettoiera la chambre. J'aurais bien songé à crever dans mon sang, mais c'est-à-dire que je suis déjà à moitié poussière. Et je me ferai happer sans avoir résolu le mystère. Où bordel part se planquer l'amour quand il s'en va ? Sous quelle putain de planche ?
Je m'apprête à me mentir quand j'envisage que ce qu'il m'arrive je le dois au malheur. C'est moi, tout connement, que j'ai esquinté d'irrévérence, de poésie de comptoir. C'est moi qui me suis abattu. Et sans l'espèce de courage ironique qu'exige un suicide. Non. Toutes ces mers à boire je les ai faites seul. Le miroir me rappelle que pour ma traversée j'ai joué tout autant Ulysse que Poseidon.
Dernièrement, je suis arrivé au bout. À esquisser une poésie funeste, j'y ai glissé une prophétie cruelle. Et courant le lièvre de mon amour déchu, j'ai dégommé la carapace que formait mon auto-torture. Me résigner, c'était mourir et je le sens que mon âme a quitté le port. Les moindres détails de ma peau ont grisé dans la dernière averse. Je sens mes os à la merci du vent. Et mes organes ne pleurent plus leur manque. Tout a séché, si ce n'est mon visage qui expulse les derniers vestiges de ma sueur. La saleté de gant de toilette délavé sera mon suaire et, même là, j'ai l'impression que c'est à moi de me sentir honoré. Bordel mais quel bordel ! Si je sais comment je m'y suis pris avec lucidité, le pourquoi me glisse entre les mains. Pourquoi était-ce ? Les chants des sirènes me racontaient des sornettes quand ils narraient le caractère lyrique de mon sordide talent pour la débauche. Certes les moments qu'elle provoquait furent pour certains de joyeux hasards à la mélodie romanesque. Des drôleries de tous genres, de l'absurdité sanctifiée. Mais à y regarder le résultat à travers ce miroir, on tend à l'opprobre.
Plus encore lorsque Lenny Grohl ouvre, en l'arrachant, la porte des chiottes provoquant mon renversement. Je me retrouve le cul mouillé sur le pont du Unicorn, les yeux bovins et hébétés par ce qu'il vient de m'arriver. La chute est sans douleur mais le regard empli d'appréciation de ce trou du cul serre fort ce qu'il me reste d'orgueil.
« Beh alors ! Papy Parker ! Qu'est-ce que tu foutais tout ce temps aux chiottes ? On a la nausée ? »
Je lui aurai bien botté le cul si j'avais mis moins de vingt secondes à me relever.
« C'est à force d'écouter vos foutus ballades à longueur de journée.
- Ok. Et la tache sur ton cul ? Tu t'es pas pissé dessus au moins ? »
La jeunesse qui se targue d'avoir le monopole du bon mot parce que le public est aussi sot que lui. Lenny et ses compères vivent désormais dans leur couronnement perpétuel où nul n'ose plus rien dire qui les fâcherait. Alors il se permet un zèle de beauf en feignant d'être rester l'ingénu.
« T'es qu'un macchabée, Lenny, diagnostiqué-je. Et j'en connais un rayon en mort lente.
- Allez, ça va ! »
Et il me tape sur l'épaule avant de s'enfermer avec le miroir de vérité, me laissant avec mes répliques et mes jurons dans les embruns. J'ai regardé vers les côtes aussi visqueuses que mes derniers fluides et j'ai remonté péniblement vers la cabine où le reste des pressés de mourir festoient en beuglant. Autour de la petite table, ils jouent aux cartes. Et ils sont ancrés là comme la table ancrée dans le sol. J'ai comme un vertige, alors je retourne serrer la rambarde dans mes paumes. Croyant m'accrocher à quelques choses de fixe, je ne suis ni plus ni moins qu'amarré aux flots. Mélodie journalière, je crains. Les horizons sont gris pour le ciel aussi. Rien à espérer, que les vagues, et celles-ci ne charrient rien. Alors mon esprit flanche et s'en va harponner des pensées incongrues. Du genre « est-ce que les villes bâties le long des routes ont été conçues pour durer l'éternité ? ». Non parce que, franchement, elles n'ont pas 100 ans qu'elles sont déjà mourantes. Tout y a fermé ou presque. Les rades font mal au cœur et les âmes qui s'y attardent sont pestilentielles. Des bâtiments aux vitres fêlées, des murs écaillés, peinturlurés de graffitis sans idée. Quels sont ceux qui ont pondu ça, franchement ? Des gens comme Lenny Grohl. Lui qui ressort des chiottes comme s'il avait triomphé à Wimbledon. Ces gens vivent dans l'illusoire permanent. Ça ne durera pas, ducon. Ta gloire a un goût de mouche à merde. Et je ne me dis pas ça qu'avec le fiel du mépris. J'y mets aussi un petit truc compatissant. La vie ça chavire. Et ta bouée c'est ce que t'es, ta capacité à pas écraser tout le monde. À rester dans ton coin, laissant les fleurs et les crachats qu'on t'offre sur le côté.
Mais Lenny est même du genre à écraser les trucs longtemps. Alors il me tape sur l'épaule.
« T'inquiète ça va passer, dit-il de ce qu'il interprète comme un mal de l'instant.
- C'est une prophétie pour qui ? »
Il rit. Il ne sait faire que ça. Tant mieux ou tant pis. Il ne se posera pas la question. Sa vie c'est que des blagues superposées. L'une après l'autre. Enfilées sur la corde à laquelle il se suspendra. Peut-être pas littéralement. Mais quand il essaiera de retrouver son illustre à lui, dans une télé-réalité. C'est ça qu'il me renvoie. On ne conquiert rien si on est conquis.
En attendant c'est à mon présent que je reviens. Et à ce paysage de mer inhospitalière qui lui convient parfaitement. J'y ai mes rengaines et un naufrage à finir.
« Allez Papy, rentre ! gueule encore l'autre en revenant pour me servir sa tape sur l'épaule. »
Je l'ai balancé par-dessus bord. Mais, sympa, j'y ai aussi envoyé une bouée. C'est certain que ce trou du cul superficiel n'aime pas les abysses. Tellement con qu'il beuglera que j'ai voulu le tuer. Pas foutu qu'il sera de se rendre compte qu'il vient d'apprendre à nager.
Moi j'aurais pu l'écrire, ta pensée, si j'étais pas si conne.. ça me touche vraiment ton texte ... au tréfond d'une méduse sans son radeau...
· Il y a plus de 3 ans ·flodeau