Un amour en cage

valjean

 Je n’imaginais pas que ses cheveux auraient un toucher si doux. J’ai rêvé si fort de mes doigts sculptant sa chevelure rousse et légèrement ondulée que j’ai imaginé leur odeur, leur longueur quand ils glissaient sur mes bras, mais pas leur texture.

Je reviens de si loin avec Géromine. Géromine était guide. Drôle de nom pour une jeune femme. Elle était guide dans les musées et animatrice pour le public enfantin dans ces mêmes musées.

C’est ainsi, qu’au gré de mes visites, je la retrouvai présentant une exposition sur l’expédition de La Pérouse au musée de la Marine, un atelier de blasons médiévaux pour la classe de grande section de mon fils au château de Vincennes, ou expliquant le destin de quelques uns des tableaux des impressionnistes au musée éponyme à Giverny. A cette occasion, j’eus le sentiment qu’elle m’avait reconnu. Elle appuyait ses sourires dans ma direction, quérait mon approbation du regard lors de ses explications et j’eus l’impression qu’elle me frôlait sciemment en se déplaçant entre les différents tableaux.

Et moi, comment je réagissais à de telles sollicitations ? Laissez moi vous avouer tout d’abord que j’ai toujours eu du mal à aborder les femmes malgré ou à cause de l’admiration que j’ai pour elles. Du machisme à l’envers en quelque sorte. J’avais encore plus de mal quand je les trouvais belles et que leur regard était brillant.

Ce qui était le cas de Géromine.

Adolescent, j’étais du genre à approcher avec une ruse de sioux (d’ou mon visage rougissant) une jeune femme, me glissant d’arbre en arbre ou de porche en porche pour lui demander en bredouillant l’heure qu’il était.

Les choses ont peu changé. J’ai cependant découvert il y a quelques années comment l’alcool pouvait me désinhiber et faciliter mes contacts avec ces êtres inaccessibles et séduisantes.

Alors j’ai beaucoup bu, et miracle aidant, beaucoup conquis. Un vrai chasseur, j’étais devenu.

Quelques années plus tard, je me suis marié, sans me souvenir comment j’avais pu conquérir celle qui allait devenir ma femme : l’alcool probablement : la recette était fatale.

Nous avons divorcé assez rapidement, seul l’ivresse de la conquête m’intéressait, je ne faisais plus d’effort une fois le joli poisson ferré, et le poisson finissait par s’échapper.

Comme je m’étais promis de ne plus boire, je me suis demandé alors si et comment je pourrais de nouveau séduire une femme.

Il y a parfois des hasards heureux dans la vie.

Responsable du service du personnel à la direction des affaires culturelles de la ville de Paris, je dus me substituer à ma collaboratrice chargée de recrutement qui partait en retraite.

D’abord bougon à l’idée de la charge de travail qui m’attendait, sans aucune compensation financière, je m’aperçus vite l’intérêt de cette deuxième fonction pour moi.

Et ceci très rapidement, au vu des nombreuses candidatures féminines qui atterrissaient sur mon bureau.

Soudainement, j’eus l’impression de devenir le roi du pétrole : les femmes venaient à moi, dans une démarche de séductrice pour obtenir l’emploi recherché.

Quel est le rapport avec Géromine, me direz vous ?

Lors de notre troisième rencontre à Giverny, je m’étais décidé à l’aborder, en lui assurant que ma démarche était uniquement professionnelle, que je souhaitais savoir quel était son cursus, et qu’elles étaient ses espérances professionnelles.

Un vrai entretien professionnel quoi.

D’abord méfiante et surprise de mon intérêt soudain pour sa personne, elle me répondit en me détaillant son cursus et son intérêt pour l’art.

Je lui avais ensuite fait part de ma qualité de recruteur et de la possibilité que j’aurais à lui proposer un emploi plus stable que les CDD qu’elle accumulait

Je sentis que le poisson avait mordu.

Enfin, je le pensais, il manque parfois des ingrédients dans la recette d’un séducteur.

Elle mit longtemps à m’adresser sa candidature, me mettant dans un état d’anxiété insoupçonnable qui me conduisait à vérifier plusieurs fois par jour ma candidathèque.

Son dossier de candidature me parvint plusieurs mois plus tard.

J’étais décidé à lui faire payer son impertinence en ignorant son dossier, mais fort de mon angoisse ancienne et par peur qu’elle ne se désintéresse de moi, je la reçus rapidement.

Quelle rencontre ! Imaginez une jolie nymphe rousse, grande à la blancheur calculée, les yeux rehaussés de bleu, la gorge dégagée, mais sans excès, dans une belle robe blanche dévoilant des chevilles aux fines proportions.

Imaginez ce regard, habitué à moduler ses expressions, avec les différents visiteurs qu’elle accompagnait au cours de sa journée dans la découverte des œuvres d’art.

C’était Géromine, naturellement séductrice, et j’eus l’impression que c’était moi qui était ferré au cours de cet entretien et non elle

Et si la recette m’avait été fatale à moi, cette fois ?

Je rédigeai sur le champ un contrat d’embauche, sans même prendre le temps de la réflexion, ni de fixer de période d’essai ainsi que je procédais d’habitude : elle était recrutée comme guide accompagnatrice dans les musées de la ville de Paris.

Sur le moment, elle me fit part de toute sa reconnaissance, ajoutant ; ce qui me contraria sur l’instant, que cela lui permettrait de partir une semaine de vacances au Maroc avec son ami.

Je me persuadai que ce n’était qu’une passade et qu’en me fréquentant, elle finirait qu’à se rendre compte qu’il était plus intéressant d’être avec moi. Qu’elle fasse son expérience.

Elle reviendrait, déçue de cette aventure avec cet étudiant post acnéique. En revenant, elle me sauterait dans les bras.

Ce ne fut malheureusement pas le cas.

Pire même.

Quand je la rencontrai, prétextant l’absence de la copie de son dernier diplôme à la signature de son contrat, elle me sembla très froide, répondant évasivement à mon souhait de partager un repas avec moi, ou, s’il elle ne pouvait vraiment pas, un café. Ce serait toujours cela de gagner avec elle.

Je ne la revis pas pendant longtemps, mes messages sur son adresse électronique et sur sa boite vocale restaient vains.

Je m’étais résigné à l’oublier, d’autant plus que j’avais noué d’autres contacts tout aussi prometteurs.

Aussi, ne fus je même pas surpris, quand je reçus sa lettre de démission, où elle prétextait qu’elle ne pouvait plus mener de front études et accompagnements dans les musées.

Une semaine après, je m’en souviens encore, c’était le premier jour de l’été, elle me téléphona, pour me dire qu’elle acceptait mon invitation à déjeuner, dés midi.

J’acceptai immédiatement, invoquant un rendez vous chez mon ostéopathe pour ne pas assister à une réunion et la retrouvai à ce restaurant italien caché dans une ruelle discrète où je n’invitais que les jeunes femmes que je souhaitais séduire.

Elle était bien présente, m’embrassa ardemment sur la joue, en posant la main sur mes épaules, tout en me demandant, si cela ne me dérange pas qu’un copain se joigne à elle.

Qu’auriez vous fait ? Moi je donnai mon accord, tant que j’étais avec elle peu m’importait qu’elle soit accompagnée.

Son copain, de son prénom Salvatore, arriva, me salua très rapidement et n’échangea pendant le repas qu’avec Géromine.

Celle-ci apparemment gênée, s’adressait à nous deux indifféremment, frôlant à dessein sa jambe contre la mienne et finit par me dire que Salvatore était comme moi, un peu introverti, ce qui ne l’empêchait pas d’être brillant et de pouvoir ainsi parfaitement la remplacer dans les musées. Elle répondait de lui.

Salvatore fut embauché, sans grand enthousiasme de ma part.

Mes craintes se confirmèrent rapidement : Salvatore était éternellement en retard, ne maîtrisait que le français et l’italien, ce qui était un comble pour un étudiant prétendument polyglotte, et était fort peu polis avec les visiteurs.

Je fis part de mes craintes à la boite vocale de Géromine qui ne répondit jamais à mes préoccupations.

Pour la première fois depuis que j’étais en charge du recrutement à la direction des affaires culturelles, je dus même engager une procédure de licenciement contre ce jeune homme, qui eut l’audace de poursuivre la Mairie de Paris, aux prud’hommes, en vain.

J’étais décidé à ne plus me laisser manipuler par Géromine, après tout elle avait l’âge qu’aurait pu avoir ma fille, si elle avait existée.

Un mercredi soir, c’était le jour où j’avais pris l’habitude de rester plus longtemps sur mon lieu de travail, j’eus la grande surprise de voir Géromine frapper à ma porte et rentrer.

Le regard langoureux comme jamais il ne l’avait été, un décolleté vertigineux dévoilant des seins encore plus galbés et généreux que je ne les aurais imaginés, elle était venue pour me vamper.

Elle ne s’en cacha pas, même si sa visite était motivée par les excuses qu’elle avait à me fournir du comportement de Salvatore.

Quand je me rappelle de cette soirée, là dans ma cellule, je pense à la volupté de ses baisers, à ses caresses expertes sur mon corps qui n’attendait que cela depuis ma naissance, sachant éveiller des ondes de désirs en des endroits que je ne pouvais soupçonner.

Je pense aussi à son corps exalté qui m’accueillit toute cette nuit, à ses yeux embués et cette jouissance sans fin.

Géromine s’installa petit à petit dans l’appartement, gardant sa chambre de bonne « pour y entreposer ses cours ».

Je menais le jeu, j’avais trop été déçu par des hors d’œuvre indigeste, et un plat du jour décevant que je ne pouvais pas ne pas apprécier tous ces desserts qu’elle me prodiguait nuit après nuit, dans des étreintes sans cesse renouvelés, où je pouvais faire part de toute ma créativité.

Pourquoi l’éternité n’est elle qu’un instant sans cesse repoussé ?

Géromine découcha, prétextant les partiels qui approchaient, et la nécessité de se concentrer dans son appartement.

Elle alla même jusqu’à me demander de me mettre à disposition son appartement l’espace de quelques jours, pour disait elle recevoir des amies de lycée, qui auraient été trop à l’étroit dans son appartement.

Le tout avec une main glissée entre mes jambes, j’acceptai comme j’avais tout accepté d’elle jusque là.

Je me retrouvais en plein mois d’août caniculaire à dormir sous une soupente surchauffée alors que mon appartement douillet était occupé, à contempler les photos de Salvatore punaisées sur les murs.

Les amies de Géromine, me disaient elles, prenaient du bon temps à Paris, il me fallait garder patience.

Je gardai donc patience, jusqu’au jour où mon centre des impôts me contacta, me demandant, sous peine de redressement fiscal un document justifiant une demande d’abattement.

Avez-vous déjà été victime d’actes de traîtrise de la part de vos proches et éprouvé le désir de vous venger sur le champ ?

Quand j’ouvris la porte de mon appartement, en ayant conservé une clé, et que je découvris Géromine couché dans mon lit, avec Salvatore et un autre homme, toute la rage et la frustrations accumulées depuis de trop nombreuses années se libérèrent.

Je chassai violemment les deux intrus, attrapai Géromine par ses si beaux cheveux et l’entraînai sans ménagement, sans craindre ses cris et les réactions de mes voisins, l’obligeant à gagner le coffre de la voiture.

Je savais précisément ce que je voulais faire pour ne plus souffrir.

400 kilomètres plus loin, j’arrêtai ma voiture,  et en extrait Géromine sans même m’enquérir de son inconfort pendant le trajet. Ne m’avait elle pas souffrir depuis de nombreuses mois ?

Je connaissais une petite crique dans la baie de Cancale, où se trouvait un parc à huîtres abandonné de longue date.

Géromine, pieds nus me suivait péniblement dans la dune, gémissant dans une nuit profonde où ses cris étaient étouffés.

Ma rage étant décuplée, je déchirai ses le peu de vêtements qu’elle avait sur elle quand je l’avais enlevée et l’attachai, mains derrière le dos, à un poteau couvert d’algues, dont la base reposait en partie dans la mer.

Je liai ensuite chacune de ses jambes ouvertes à un autre poteau, parce qu’il « n’y avait que la mer qui ne lui était pas passée dessus » et m’assit à coté d’elle attendant les vagues qui déjà commençaient à remonter.

C’est à ce moment que je commençai à lui caresser les cheveux : Géromine était à moi, et la mort ne nous séparerait pas car j’étais déterminé à mourir avec elle.

Géromine pleurait, me suppliait me faisant part de tous ses regrets, alors que l’eau caressait déjà ses seins que j’avais tant admirés, et que je lui disais combien je l’aimais en l’embrassant sur sa nuque.

Ce qui se passa après, je ne me rappelle pas ou plus.

J’ai du finir par lui couper les liens car je revois encore sa tête disparaître sous les vagues, et moi pensant que finalement je ne me sentais plus capable de mourir, et que je voulais que nous restions ensemble.

Je la revois juste, enveloppée dans une couverture de survie, soutenue par deux pompiers, alors que deux gendarmes m’emmènent, les mains menottées.

Cela fait cinq ans déjà. J’ai écopé de 10 ans de prisons pour tentative d’homicide volontaire avec des circonstances atténuantes, notamment le fait que j’avais fini par détacher ma victime et un témoignage en ma faveur de Salvatore, appuyant lui aussi le caractère désinvolte de Géromine.

Depuis je n’ai pas quitté ma cellule, je ne veux pas me confronter à la laideur des autres détenus et ne penser à elle jusqu’à ce que nous nous retrouvions.

Elle est venue au parloir une fois, me demandant si je pouvais lui laisser mon appartement pendant mon incarcération.

Depuis plus rien, pas de nouveau parloir ou de réponses à mes courriers. Ce doit être les gardiens, ils confisquent le courrier.

Géromine a choisi, je pense de garder l’appartement pour  le bichonner et pouvoir m’accueillir le jour où je reviendrai.

Je suis sur qu’elle m’aime, mais qu’elle ne me contacte pas, pour pas que je souffre.

Nous nous aimons, j’ai même gravé avec une pointe rouillée son prénom sur mon cœur. Cela s’est un peu infecté, mais cela m’a permis de penser encore plus à elle, et à ses beaux cheveux dont mes doigts miment inlassablement la caresse.

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