Un amour sans faille - Chapitre 1

audrey-constantine

Chapitre I

[00:23] complètement subversif, j'adore ce film

[00:24] avec l'altruisme, c'est sans doute ce qui nous manque le plus de nos jours

[00:24] l'altruisme est souvent un alibi (jean rostand)

[00:25] le bonheur est né de l'altruisme et le malheur de l'égoïsme (bouddha)

[00:25] rofl (rit à se rouler par terre)

[00:26] ok donc si théoriquement tu devais, dans l'absolu hypothétique, et là je spécule, pirater un serveur, tu le ferais pourquoi ?

[00:27] pour être meilleur, m'informer, affronter l'adversité, sortir de ma zone de confort...

[00:27] et défendre une cause ?

[00:28] la mienne uniquement ce qui n'empêche pas qu'elle puisse aussi servir à d'autres, c'est ce qui se passe dans le film d'ailleurs : il récupère le marais, séduit la fille et, par effet collatéral, libère le peuple

[00:28] très cynique j'ai un peu de mal à y croire... mais je vais écouter la morale du film et ne pas me fier aux apparences ;-)

[00:29] tu es ingénieur sécurité irl* ? (*dans la vie réelle)

[00:29] oui

[00:29] tu bosses dans quel secteur ?

[00:29] dans un groupe, ils font un peu de tout, et toi ?

[00:30] je cherche du taf atm (en ce moment)

[00:30] je peux faire passer ton CV dans ma boite si tu veux

[00:30] c'est quoi son nom ?

[00:30] le T group

[00:31] mouhaha ils ne font pas vraiment dans l'altruisme ceux là ;-)

[00:31] et alors ? tu réserves ton individualisme à ta vie privée et tu ne travailles que pour la bonne cause ?

[00:32] je ne fais que constater les limites de ta $olidarité

[00:32] aoutch ! tu fais aussi dans le coup-bas alors ?

[00:33] que veux tu, nous ne sommes pas tous inspirés par de nobles sentiments, ce qui m'amène à la deuxième morale du film : s'accepter tel que l'on est

[00:33] un vrai petit ogre... et tu es vert aussi ?

[00:33] pourquoi crois tu que je ne trouve pas de travail ;-)

***

J'entendais les bouillonnements de la cafetière qui venait de se déclencher, le réveil allait sonner d'une minute à l'autre. L'odeur du café commençait à se répandre dans l'appartement. Je glissais un bras hors de la couette pour attraper la télécommande des volets roulants et faire entrer le soleil, ou plus exactement aujourd'hui, la luminosité d'un soleil voilé par les nuages bas d'un mois de novembre. Blottie au fond de mon lit, je me sens si... Le réveil sonne, il est 8:00, c'est parti.

Café, PC, consultation de ma boite mail, pas de mail d'Harlock, pas de CV, survole de l'actualité, quelques étirements et c'est parti pour vingt minutes d'entrainement sur mon tapis de course.

J'avais encore passé une excellente soirée avec Harlock. Cela faisait quelques semaines que nous nous retrouvions régulièrement à discuter de tout et de rien dans des salons de discussion sur internet. Hormis nos activités de hackers qui d'ailleurs nous avaient permis de nous rencontrer, nous n'avions, de toute évidence, pas beaucoup de points communs. Mais le courant passait entre nous. Je ne saurais expliquer ni pourquoi, ni comment mais l'échange avec lui était naturel et réjouissant. J'étais en train de tomber amoureuse d'un homme que je n'avais jamais vu, mais depuis hier soir, je caressais l'espoir d'en savoir plus sur lui grâce à son curriculum vitae. Peut-être y aurait-il une photo, peut-être était-il trop beau, ou très laid... Il n'y aurait sans doute pas de photo.

Trois kilomètres plus tard, je prends la direction de la salle de bain. Douche, deuxième café, dressing, je glisse iPhone et eReader dans mon sac à main, il est 9:20, en route. Petit crochet Chez Charlie, le meilleur boulanger du quartier, pains au chocolat magiques, métro.

J'adorais mon boulot et il payait bien. J'avais deux amis sincères et maintenant Harlock, ma vie était parfaite. Si ce n'est un tout petit détail... La sécurité informatique est un milieu d'hommes : personne ne s'attend à ce que l'ingénieur ou le pirate informatique de l'autre côté de l'écran soit une femme et... Harlock non plus. Plus le temps passait et moins j'avais envie de lui faire part de ce petit détail. Mais je le devais si je souhaitais permettre à notre relation d'évoluer dans une nouvelle direction. Je retournais toutes les possibilités dans ma tête :

je suis une fille

gné ?

  :-o

  omg (Ô mon dieu)

naaan j'déconne

Trop direct. Visons une approche plus en douceur :

[23:02] il faut que je te dise quelque chose, je n'ai jamais eu l'occasion de t'en parler avant et je le regrette, il faut dire que d'habitude je le garde pour moi, c'est vrai après tout ça regarde qui hein, enfin bref, maintenant je veux que tu le saches et comme cela fait un petit moment que nous discutons tous les deux, je ne veux pas que tu crois que je t'ai menti ou que ça doit changer quelque chose entre nous, enfin voilà, juste pour clarifier les choses, je suis une fille

[23:30] harlock ça va ?

[23:31] tu es là ?

Pathétique. Je dois lui montrer que je reste avant tout un hacker :

fyi iamof je suis un motos (Pour ton information, en fait, je suis un membre du sexe opposé)

hein ???

Non, définitivement. Pourquoi pas naturelle et cool :

btw (au passage) mon p'tit nom c'est Cathleen

ah bon, ça existe aussi pour les hommes ?

euuuuuh

C'est foutu.

***

- Mokas d’Éthiopie ? s'exclama Gérald en me tendant le mug Pac-Man tandis que j'entrais dans le bureau.

- Pains au chocolat ? je rétorquais en brandissant le sac de Chez Charlie

- Dix heures tapantes Cat, ajouta Gérald en plongeant la main dans le sac, tu ne peux pas continuer comme ça, tu dois changer tes habitudes, être moins ponctuelle, moins prévisible.

- Et puis quoi ? répondis-je, boire un café froid en arrivant au boulot ?

- Tu leur facilites la tâche, ajouta-t-il, je suis sérieux !

Gérald parlait des agents de la DST et de la DGSE. Il pensait très sincèrement que la Surveillance du Territoire ou la Sécurité Extérieure pouvaient s'intéresser à mon cas. Il était aussi persuadé qu'ils avaient mis sa ligne sur écoute. Paranoïaque ? Non pourquoi ?... A sa décharge, il faut bien admettre que lorsque l'on est capable de mettre une ligne sur écoute, pirater une boite mail et s'introduire sur des serveurs gouvernementaux, il est plutôt naturel de penser qu'ils pourraient vous rendre la pareille.

- Fous-lui la paix Dgé, putain, laisse-là s'assoir et bouffe ton pain au chocolat bordel.

Benoit venait de réaliser un exploit : prononcer cette phrase avec un pain au chocolat dans la bouche, et ce, sans incident majeur. Benoit était, avec Gérald, mon collègue et mon meilleur ami.

Chaque jour de la semaine nous nous retrouvions au « bunker », le service de sécurité informatique de l'entreprise. L'accès au service s'effectuait par une porte blindée. De l'autre côté, une pièce où les écrans avaient pris la place des fenêtres. On se croyait dans un mini centre de commandement militaire si ce n'est que pour tout uniforme, Benoit portait un tee shirt Mario Bros et Gérald un tee shirt sur lequel il était écrit « Rejoins le côté obscur, on a des cookies ». Travailler avec Gérald et Benoit, c'était plutôt rafraichissant. A gauche de cette pièce, il y avait une salle serveurs et à droite, le bureau vitré de notre chef, Pierre Catel.

C'était Pierre qui m'avait recruté quatre ans auparavant. J'avais beaucoup appris en travaillant à ses côtés. Aujourd'hui, il considérait que l'élève avait dépassé le maître et m'avait confié la gestion opérationnelle du service. C'était lui, aussi, qui m'avait permis de décaler mes horaires de façon à commencer le travail à 10:00. C'était un homme judicieux, un chef génial.

J'allais me diriger vers son bureau pour le saluer quand son téléphone sonna. Quelques instants plus tard il raccrocha et sorti de son bureau :

- C'est la direction, a priori il y a un problème, ils me demandent de monter immédiatement.

Tandis qu'il se dirigeait vers la sortie, il ajouta en souriant,

- Soyez sages.

Personne ne vous convoque pour vous faire des éloges sur la qualité de votre travail. Pierre avait beau garder le sourire, ce genre d'appel ne présageait rien de bon, je devais en savoir plus :

- Dgé, tu pourrais accéder au système de conférence dans le bureau de la direction et ouvrir une écoute s'il te plait ? demandais-je.

- C'est comme si c'était fait, répondit Gérald.

Pierre était calme malgré le ton véhément de la direction. Des informations financières confidentielles avaient été dévoilées à la presse dans la nuit. L'ensemble de la presse numérique était en train de relayer l'information, l'action de la société était en chute libre.

Tandis que Benoit consultait les rapports d'alertes, il mit le doigt sur une intrusion qui avait échappé à l'équipe de nuit. Le pirate avait effacé toutes ses traces derrière lui à l'exception d'une seule chose, un étrange message :

« Visitez Tgroup, c’est un monde parfait ! Chez nous on te croque chez le juge de paix ! Pas de blague, pas de vague, ne marche pas en zigzag. Tgroup est un monde parfait ! Ne saute pas les talus, lave tes pieds, lave ton... Nez ! Tgroup est... Tgroup est... Tgroup est un monde... PARFAIT ! »

- Ça ne serait pas une réplique de Shrek ? s'interrogea Gérald perplexe.

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