Une nuit dans un pub irlandais
Nicolas Theroude
La lourde porte en chêne grince mais finit par céder sous l'impatience que j'ai à découvrir ma chambre. S'ouvre ainsi, à mes yeux étonnés, ce qui ressemble plus à l'arrière-boutique du pub qu'à une chambre. Je suis sur le point de refermer la caverne d'Ali Baba des amateurs de houblon quand un large tonneau attire mon attention.
-"Surement la réserve du patron", me convaincs-je.
Attiré par ce trésor, je décide tout de même de m'en approcher. Qu'elle n'est pas ma surprise, la barrique est ouverte dans la largeur et cache un épais matelas.
Un rapide coup d'oeil aux alentours confirme alors mes premières impressions. La pièce ruissèle d'objets à la gloire de la bière et d'ailleurs, même l'odeur le rappelle : un savant mélange de houblon et de bois. L'odeur typique des pubs, la transpiration en moins. Un cadre de sous-bock orne le mur du fond dans lequel des dizaines de brasseurs ont pris leurs habitudes. Une demi-douzaine de fûts sont également entreposés sur lesquels trônent fièrement les vestiges de la gloire passée du tenancier qui, d'après les multiples trophées, possède un certain talent dans la fabrication du breuvage. La lumière tamisée donne à l'ensemble le charme d'une belle brune. Celle-là même qui m'enivra quelques minutes auparavant, lorsque j'étais attablé sur le tapis poisseux du bar qui avait, de toute vraisemblance, vécu sa vie autour de blondes pétillantes et de brunes alcoolisées.
Je décide alors de m'introduire dans mon repère. Mon double mètre se plie tant bien que mal afin d'attendre le fond du tonneau, pour m'apercevoir de la qualité de la literie. Je flotte, comme dans la mousse épaisse d'une Guinness.
Après un bref mais intense instant de repos dans mon sarcophage irlandais, je me résous à m'extirper de ma cachette afin de profiter de l'ambiance à quelques mètres de là. Je remarque alors, une fois sur pied, que plusieurs tonneaux ont été déplacés, laissant apparaitre ce qui ressemble à une trappe. Une nuée d'interrogations me vient subitement, auxquelles je ne peux répondre. Je suis, de ce fait, tiraillé entre demander à mon hébergeur des explications et aller explorer moi même ce que me réserve cette découverte. Je ne suis pourtant pas un Indiana Jones des temps modernes ni un Saint Brendan de Clonfert du 21éme siècle mais mon instinct me pousse à choisir la deuxième solution.
Je tire d'un coup sec sur les poignées apparentes et les deux battants ne résistent pas. Je penche ma tête au dessus de l'entrée et découvre un large escalier en pierre. Mon courage me rappelle alors de ne pas commencer à descendre pendant que ma curiosité pose le premier pied dans le trou. Le long escalier en colimaçon ne me propose guère plus de choix : remonter sur le plancher des vaches ou continuer mon voyage vers le centre de la Terre. Des bougies, disposées à intervalles réguliers, permettent de fendre la pénombre sans risquer de débouler la tête la première tandis que l'étroitesse du seuil des marches pousse à penser le contraire. Je marche depuis plusieurs minutes déjà dans ce dédale et c'est au moment même où le découragement me guette que j'aperçois le bout du chemin.
Mon premier sentiment est une immense déception. En effet, alors que mon expédition doit me conduire vers le Graal ou le jardin d'Eden, ce sont les égouts qui se trouvent face à moi. Le large couloir vouté possède deux rives bétonnées séparées par un cours d'eau noirâtre dans lequel certains animaux doivent y trouver leur compte. Les émanations n'y sont pourtant pas désagréables et rappellent étrangement celles de la bière, une fois sortie du fût. L'endroit est, de surcroit, d'une propreté insolente, ce qui me parait en totale contradiction avec le lieu. Je décide de faire quelques pas de plus dans la grotte afin de me persuader que je n'y trouverai rien d'exceptionnel. Je m'y aventure donc, tant bien que mal, dos courbé, afin d'éviter les pierres apparentes du plafond, lorsque mon pied se prend dans un tuyau. Je titube, essaye de me rattraper au mur, fais un tour sur moi-même, tente lors d'un dernier effort de tomber sur le sol avant de me laisser aspirer par l'eau stagnante. Je suis alors comme happé et dans l'impossibilité physique de me remettre à flot. Alors que le tourbillon m'entraine par le fond, il m'a donné la possibilité de goûter cette vase obscure qui m'éclaire de façon subite sur la vraie utilité du lieu. La bière...
Un vaste réseau sous-terrain parcoure la ville dans lequel les pubs peuvent s'approvisionner en Guinness. Une sorte de nappe phréatique pour alcoolique. Ce tuyau, raison de ma découverte, en est la preuve.
Tandis que j'approche irrémédiablement du lit, un dernier éclair de lucidité me traverse et me fait me questionner sur le bien fondé de tout ceci. C'est alors qu'une forte douleur au front me fait ouvrir les yeux.
Je viens de me cogner dans mon tonneau. Décidément, ce séjour en Irlande commence sous les meilleurs auspices.
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