UN COEUR ESSEULÉ

franck75

Un cœur esseulé

     La scène se passe dans mon immeuble pendant la canicule de juin dernier.

     Ce soir-là, je m’apprête à me coucher quand des cris m’attirent à la fenêtre. Dans la pénombre, je parviens à les localiser : ils viennent de l’autre côté de la cour, deux étages plus bas. Ce sont des cris dont on ne peut ignorer l’origine. Il ne s’agit ni d’un meurtre, ni d’une crise de nerfs, mais d’un coït en bonne et due forme. Une conclusion d’autant plus facile à tirer que des commentaires in situ sont fournis par la femme. Un vrai porno sans l’image. Depuis les préliminaires jusqu’au climax, quelque trente minutes plus tard, c’est un vrai festival de soupirs, de gémissements, de halètements, de hurlements parfois, accompagnés des commentaires les plus suggestifs. On apprécie dans l’immeuble. Au-dessus de chez moi, des jeunes applaudissent la performance. Un excellent moment en vérité.

     Des images plein les yeux, je me glisse dans mon lit. Et c’est alors que cinq minutes plus tard… bis repetita ! Les cris, les gémissements, les “ Oh oui, oh oui ! ” “ Encore ! encore ! ”... Je me lève d’un bond. Mais enfin, mais c’est pas possible. Aucun type ne peut assurer comme ça. Il faut qu’ils soient plusieurs et qu’ils se passent le relais... Ou bien, ou bien... Et c’est là que j’ai compris. Deux mots d’abord sur l’occupante de l’appartement. Quarante quarante-cinq ans, petite, plutôt laide, habillée comme une grand-mère ; depuis deux ans que je la croise dans l’immeuble, je ne l’ai jamais vue au bras d’un homme, jamais. Cette femme est du bois dont on fait les vieilles filles.

     Soit, mais ça n’empêche que même une fille moche peut faire monter chez elle le premier venu. Après tout, les types en manque et pas trop regardants ne sont pas une denrée rare. Oui mais deux hommes à la fois, voire plus... c’est difficile à croire. Si c’était le cas, à un moment donné, les types se seraient montrés à la fenêtre pour prendre l’air ou fumer une cigarette. Et entre deux glapissements, ils auraient bien glissé deux ou trois mots, ne serait-ce que pour nourrir l’échange. Or rien. On ne percevait qu’une voix, celle de ma voisine. Alors quoi ? Alors, j’en suis arrivé à la conclusion effrayante, terrifiante, que la femme était seule et qu’elle simulait. Des simulatrices, tous les hommes en ont connu, mais des comme elles ça dépasse l’entendement. Pourquoi faisait-elle ça ? Pour conjurer sa solitude ? Pour donner le change aux occupants de l’immeuble ? Parce qu’elle n’en pouvait plus et qu’elle demandait de l’aide ? Allez savoir ce qui se passe dans le cœur d’un femme esseulée...

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