UN CONCOURS DIFFICILE
noirdelaseine
UN CONCOURS DIFFICILE
J’aimerais bien participer à ce concours qui demande d’écrire une histoire vraie, vécue et, depuis que j’en ai lu le règlement, j’essaie de raconter ma naissance très particulière et même fabuleuse, sans résultat, en raison de ma paresse ou de mes activités plus distrayantes, mais aujourd’hui je suis à bout de patience et je me menace d’employer la force s’il en est besoin, au point d’appeler la gendarmerie pour m’y contraindre, bien que je n’aie aucune sympathie pour ce corps d’armée qui se conduit comme une troupe d’occupation pour réprimer les jeunes gens coupables d’avoir oublié leur justificatif d’assurance alors que la sécurité, la vraie, contre les voyous, les voleurs, les casseurs eh ! bien elle n’est pas assurée tandis que le pauvre jeune homme, ou femme - je ne suis pas sexiste - qui n’a pas d’assurance, se voit confisquer son véhicule et ses points de permis sont amputés et parfois il doit regagner, malgré cette amputation, à pied son domicile distant de plusieurs kilomètres, en pleine nuit s’il n’a pas un téléphone portable qui lui permettrait d’appeler qui un frère qui un ami prêt à le rejoindre pour le raccompagner chez lui par cette nuit dangereuse, à cause des voyous, des voleurs, des pirates de la route qui sévissent en toute impunité, au point que la gendarmerie est non seulement inutile mais complice de ces criminels, au point qu’on ne serait pas étonné de voir ces militaires profiter de l’aubaine pour dresser au frère ou à l’ami compatissant et généreux qui vient sauver le malheureux une contravention, s’il a le malheur de klaxonner pour signaler son arrivée alors qu’il est soi-disant interdit de klaxonner la nuit en raison des perturbations causées au sommeil des animaux décimés par la pollution et à ceux qui, nocturnes et rapaces comme le hibou, pourraient être dérangés dans leur chasse au mulot, à la souris verte qui courait dans l’herbe et que les gendarmes attrapent par la queue pour des accouplements que la morale m’interdit de décrire, et je peux ainsi imaginer toutes ces personnes réunies au bord d’une route de campagne qui ne devrait laisser entendre que le doux murmure du vent dans les feuilles de peupliers, les crissements itératifs des insectes et le cri bref et glaçant d’une proie surprise qui meurt sous le croc du prédateur, rassemblées oui par un froid de plusieurs degrés au-dessous de zéro alors que j’entends les supplications des inculpés, les ordres gutturaux des valets du pouvoir et le cliquetis des menottes qu’ils exhibent comme s’ils allaient se livrer à de perverses déviations mais ce sera pour une autre nuit, entre potes, sorte de Walpurgis de l’esprit de corps car il leur suffit présentement de jouir de leur autorité puissante, qui gonfle comme un sexe devant leurs victimes agenouillées au bord du fossé, résignées à recevoir une pénétration soit sexuelle soit d’une balle dans la nuque, qui prient un Dieu qui s’en lave les mains d’opérer un miracle, au moins de leur offrir une opportunité qui leur permettrait d’échapper à l’ire des gendarmes, mais le despote divin Se moque de leurs vœux avec une splendeur comique, en déléguant un ange sous l’apparence d’un marchand de bière tombé du ciel pour distribuer des packs de Kro aux militaires, et l’on peut imaginer la mortification, ressentie comme une insulte, des martyrs qui les voient décapsuler les canettes et trinquer à la ronde avant de les téter comme d’un sein métallique ou, pour les plus obsédés, lécher la mousse issue de cette matrice d’alu avant de lancer des rôts qui empestent jusqu’au trône du Seigneur, si puants qu’Il en est offensé et qu’Il Se venge - car Dieu n’est pas bon, Il s’en vante - en évacuant fissa son représentant en produits alcoolisés pour envoyer sur terre à sa place, illico, un Juste parmi les Justes, celui qui saura vaincre Sodome et baiser Gomorrhe par l’éclair de son esprit et le tonnerre de ses modulations sonores et c’est ainsi que je suis moi-même propulsé sur le terrain pour délivrer les victimes de leurs apprentissages amers et les militaires de leurs armes sévères et, afin d’exhiber la force avec laquelle j’entends leur apporter salut et punition, je me jette sur la barre fixe installée dans mon escalier et opère six tractions, bien que je m’arrête habituellement à trois, quatre les jours où la gravitation est plus faible en raison de l’allégement de la planète grâce aux fusées garnies de clowns blancs qui échappent à l’attraction terrestre et enfin, cet exercice accompli, ayant respiré successivement par chacune de mes narines tout en louchant de mes deux yeux, j’investis mon esprit dans une entreprise de désherbage et dépollution de mon cerveau qui me permet d’utiliser les dividendes amassés dans mes neurones pour lancer une O.P.A. réussie contre la sclérose des prolétaires, les gerçures des extrémistes et l’aphasie des intellectuels, gagnant de quoi fêter joyeusement ma vie pétulante au moment exact où Mireille me hèle pour me lancer :
« Mais tu n’as donc pas entendu sonner ? Voici : je te présente le gendarme Michel, qui t’apporte paraît-il des nouvelles inimaginables. »
Et l’homme de l’Armée de terre bien qu’en bleu marine porte la main à son képi et me tend un papier à l’en-tête du Tribunal de Police, sur lequel je peux lire ma condamnation à cinq jours d’incarcération, pour refus de règlement d’une contravention de 14 euros.
« Mais c’est plus qu’une erreur ; c’est une blague » parviens-je à murmurer.
Et le gendarme, compatissant avec cependant un zeste de raillerie dans le regard :
« Ne vous inquiétez pas. Vous n’irez pas en prison. Vous en êtes dispensé, en raison de votre âge. »
Et aussitôt Mireille :
« Mais c’est bien sûr ! Bon anniversaire, Coco ! Merci gendarme, je l’avais oublié. »
Et elle se lance à mon cou, tandis que le musagète rusé tient absolument à me serrer la main, ce que je n’ose lui refuser afin de pouvoir le raccompagner par la pogne vers la porte avant qu’il ne se jette sur Mireille pour l’embrasser ou pire, peut-être.
Moi aussi j’avais oublié mon anniversaire. Et dire que je voudrais me souvenir de ma naissance. La dire. L’écrire. C’est pas gagné. Il vaudrait mieux que je raconte l’histoire de cette contravention. Au moins, ça c’est du vrai, du vécu…